Prédication Jeûne Fédéral[1] 2024 sur Habakuk 1-3

Dans notre monde déroutant, vivre par la foi; mais quelle foi?

Bien-aimés du Christ,

Nous avons beau avoir la foi, affirmer que nous faisons confiance en Dieu, que nous lui avons confié notre vie, il nous arrive parfois de nous interroger face à des circonstances que nous traversons ou devant l’état de ce monde : Jusqu’à quand, Seigneur, appellerai-je au secours sans que tu écoutes, sans que tu sauves ?… Pourquoi gardes-tu le silence quand un méchant engloutit un plus juste que lui ?… (1,2 ; 1,13). Ces questions sont le signe d’une foi qui ne se voile pas la face.

Le prophète Habakuk a ceci de particulier qu’il est le prophète qui ne prononce pas d’oracle, mais qui nous ouvre son cœur et nous montre ses questionnements. En cela il nous est précieux.

Habakuk a très à cœur – au point qu’il en parle comme d’une charge[2], d’un fardeau – la situation que traverse son pays, le royaume de Juda autour des années 600 av. JC. Il vit douloureusement la violence, l’idolâtrie, l’opportunisme politique, l’injustice et l’exploitation des plus pauvres par les riches, et le droit remplacé par la loi du plus fort. Ça lui fait mal de voir dans quel état déplorable est la société de son temps. Parce que… Habakuk n’a pas juste une foi soucieuse de son salut personnel, il est soucieux du salut de son pays, de ses contemporains. L’esprit qui l’anime est aussi celui qui a inspiré le Jeûne fédéral.

Nous aussi, nous vivons parfois des situations personnelles qui nous sont douloureuse car nous avons à cœur telle réalité ou telle personne. Nous pouvons même être déboussolé par l’état de notre société. Mais l’avons-nous à cœur pour autant ?

Que fait alors Habakuk ?

Il prie et il interpelle Dieu en lui demandant des comptes. Il n’interpelle pas ses contemporains, mais Dieu. Il est un rare, voire le seul prophète à adopter cette attitude. Il recevra une réponse qui ne lui plaira pas du tout et qui va le déconcerter : Dieu lui dit que la situation va encore s’aggraver. Est-ce que cela t’es arrivé ? Tu pries pour un sujet ou une personne et la situation s’aggrave.

Que fait alors Habakuk ?

Il interpelle encore Dieu avec l’attitude suivante : Je vais me placer à mon poste de garde, je vais me tenir sur le rempart ; Je guetterai pour voir ce qu’il dira contre moi et ce que je répondrai au rappel à l’ordre ou ce que je reprendrai de mon reproche (2,1). Il s’attend à un reproche pour avoir osé mettre en question le Seigneur et sa façon de faire. Il est aussi prêt à revoir son opinion. Prière humble, mais déterminée, attentive à la réponse à venir. Dieu lui fait comprendre qu’au milieu du désastre, le juste vivra par sa foi. Et ici, Habakuk peut nous interpeller sur 2 points.

Le 1er point. Son attitude à veiller dans la prière et à attendre activement la réponse de Dieu. Quelles auraient pu être ses tentations pour l’en détourner ?

  • Lorsque nous sommes confrontés sur la durée à l’adversité ou lorsque nous avons l’impression que la partie est perdue face à un problème, à une question, aux orientations de ce monde, la tentation est de s’enfermer dans ce que j’appellerais un égocentrisme spirituel. Mon christianisme va se limiter à une foi personnelle qui va m’aider à vivre ma petite vie. Non parce que je suis égoïste, mais par lassitude devant des problèmes qui me dépassent, des souffrances sur lesquelles ma petite personne n’a pas prise, des tendances sociétales que je ne peux changer. Donc, ma foi se concentre sur moi et mes problèmes personnels. Une indifférence au monde s’installe. Serait-ce ta tentation devant le monde dans lequel tu vis ?
  • Face aux questions que nous posent les souffrances et les déviances du monde, et nos propres difficultés, face aux multiples pourquoi qui se présentent à notre intelligence, la tentation peut aussi être de se limiter à des réponses faciles. Ce n’est pas facile de confronter notre foi et ce que nous croyons du Seigneur à des réalités qui parfois les remettent en question. C’est facile de dire Tout concourt aux biens de ceux qui aiment Dieu, pour dire tout finira bien. C’est même une insulte à Paul qui a dit cette phrase avec le sens suivant : tout concourt à façonner en ceux qui aime Dieu un caractère semblable à celui de Jésus, à les rendre semblable à Jésus.
  • L’impatience peut aussi nous détourner d’attendre la réponse de Dieu. Une impatience qui finit par être indifférence au projet de Dieu. Comme les Hébreux au sortir d’Egypte. Le Ps 106,13-14 dit : Ils oublièrent vite ce que Dieu avait fait, ils n’attendirent pas qu’il achève son plan. Ils eurent envie de ce qu’ils n’avaient pas, au désert, ils mirent Dieu au défi. Une impatience qui finit par nous pousser à suivre nos propres voies.

Habakuk nous encourage à ne pas tomber dans ces pièges. Mais à être ce qu’on pourrait appeler des citoyens priant, des citoyens veilleurs, des chrétiens spirituellement courageux pour porter leurs questions au Seigneur. Habakuk nous encourage à ne pas déléguer ce rôle aux autres. Il se tiendra à son poste de garde. Ce n’est pas un autre. Il sera un priant solidaire de son monde, un priant solidaire des questions de son monde. Un priant qui ose prendre Dieu à parti en lui rappelant qui il est, mais en étant prêt à revoir son audace. Tous les prophètes ont été des citoyens priant. N’est-ce pas aussi le sens du Jeûne Fédéral, jour d’actions de grâce, de repentance et de prière?…

Habakuk nous invite aussi – et c’est mon 2e point – à écouter l’encouragement que Dieu lui donne : le juste vivra de sa foi. Le mot hébreu par foi se traduit d’abord par fidélité, constance, vérité. Dieu lui dit : Oui un temps difficile, plus difficile encore vient, mais le juste vivra de sa fidélité, de sa persévérance. Fidélité au Seigneur dont la sainteté et la justice me sont incompréhensible face à certaines injustices et certains dévoiements de notre société. Fidélité au Seigneur dont l’amour et la compassion me sont incompréhensible face aux guerres et horreurs de ce monde. Habakuk s’appuie sur Dieu, sur qui il est, même si cela suscite des questions. Comme Jésus dit : Celui qui persévérera jusqu‘à la fin sera sauvé (Mt 10,22 ; 24,13 ; Mc 13,13).

Dieu porte sa foi et suscite en même temps ses questions. Cette fidélité d’Habakuk n’est pas aisée, car elle est porteuse non seulement d’espérance, mais elle est aussi souffrance devant le mal. Quand on devient indifférent au mal c’est que notre âme est en danger de mort.

Ce qui est intéressant dans ces versets, c’est que les traducteurs de la LXX, l’Ancien Testament grec ont traduit différemment : le juste vivra de ma fidélité, dit Dieu. Voilà qui est encourageant. Ce qui nous porte dans notre engagement citoyen priant, c’est la fidélité de Dieu.

Habakuk s’appuie sur le Dieu qui a fait alliance avec son peuple, Yahvé. Dieu souverain : N’es-tu pas depuis toujours, Eternel, mon Dieu, mon Saint ? (1,12). Il s’appuie sur Dieu sa force (3,19). Il s’appuie sur Dieu qui reste souverain et fidèle à son peuple, même si les circonstances extérieures semblent dire le contraire. Il s’appuie sur le fait que Dieu est maître de l’histoire des hommes et de son histoire. Le juste vivra de ma constance, de ma fidélité, dit Dieu. Dieu qui ne veut que personne ne se perde. Dieu qui ne cesse de partir à notre recherche. Dieu qui, aussi, parfois conduit son peuple dans la précarité ou la difficulté pour réveiller en lui la prière.

Jésus a donné sa vie à la Croix non seulement pour nous individuellement, mais aussi pour ce monde qui parfois nous donne le vertige. Sa fidélité à son projet de salut est ce qui peut nous encourager dans nos questions face à ce monde et dans notre prière.

Amen.


[1] Le dimanche du Jeûne Fédéral, jour d’action de grâce, de repentance et de prière en allemand DBBTag a été instauré en 1832 par la diète fédérale, par un parlement qui avait conscience de sa responsabilité spirituelle. La Suisse traversait alors des changements importants : le parlement veut établir des principes comme l’élection du parlement par le peuple, la liberté de la presse et la liberté d’association, la séparation des pouvoirs… des éléments qui ne plaisent pas forcément aux anciennes élites aristocratiques. L’idée fut d’unifier les différents jours de jeûne cantonaux et de favoriser ainsi, par le spirituel, l’unité du pays. Le Jeûne Fédéral sera ancré dans la Constitution en 1848 après la Guerre du Sonderbund qui vit s’affronter les cantons catholiques conservateurs et les cantons protestants. Au sortir de cette guerre où les cantons protestants vainqueurs avaient confié le commandement de leurs armées à un catholique, le général Dufour, la conscience de l’importance du spirituel dans la vie publique du pays fut d’autant plus grande, que Dufour veilla à ne pas humilier les vaincus.

[2] C’est le sens 1er du mot rendu en français par menace, oracle, vision.