Prédication sur Ac 3.1-9 et Es 35.1-7a
Hors des sentiers battus.
Bien-aimés du Christ.
Pour certains, l’été est l’occasion d’aller à la découverte de nouveaux horizons, ce qui peut élargir aussi nos perspectives, notre façon de voir les choses, en particulier quand ces horizons nous font découvertes une autre façon de vivre. Je termine ce matin ma série intitulée Vive la liberté retrouvée en vous proposant de prendre un sentier intitulé : hors des sentiers battus. Y rencontrerons-nous des surprises ? Vous me le direz à la sortie. Prenons le chemin du texte biblique.
Il est la 9e heure de ce jour où l’on apporte à l’entrée du temple de Jérusalem un homme infirme. La 9e heure, c’est aussi l’heure où Jésus cria à Dieu Pourquoi m’as-tu abandonné ?. C’est l’heure où il y eut des ténèbres sur toute la terre. L’heure où le Fils de Dieu ne fut apparemment pas exaucé. Oserais-je dire que c’est l’heure de la tristesse de Dieu face à l’humanité ?
Dans le judaïsme du temps de Jésus[1], c’est aussi l’heure où avait lieu le sacrifice du soir au temple, avec la prière du peuple. On croyait que la prière de ce moment était reçue par Dieu avec une faveur particulière. Donc c’était la prière la plus fréquentée. Pas étonnant que l’homme soit déposé à ce moment pour réclamer l’aumône. Mais pour Pierre et Jean, il y a ce souvenir très fort que c’est le moment où Jésus s’est heurté au silence de Dieu pour devenir notre Sauveur. Quand la souffrance et la compassion du Fils rencontrent notre détresse pour nous donner la vie.
Cet homme est incapable de marcher depuis la naissance. Enfant, il n’a donc jamais pu jouer avec ses copains. Il ne s’est jamais promené. Il n’a pas pu découvrir le monde. Il n’a jamais pu marcher. Il est totalement dépendant des autres. Et on le transporte, comme un sac de patate qu’on dépose là, à la Porte dite la Belle. La Belle pour un lieu de misère. Ça me fait penser à ces publicités pour hôpitaux où on voit des gens tout sourire et en pleine forme comme s’ils étaient dans un resort de vacances. Bref, cet homme ne voit que les jambes des gens qui entrent dans le temple, et les sous qui tombent dans le pli de son manteau. Et si les sous ne viennent pas, l’homme les réclame, comme un dû[2]. Le grec laisse entendre que cet homme n’est pas là pour recevoir l’aumône, mais pour la prendre. Comme pour dire : parce que je suis dans la détresse, vous me devez l’aumône, vous me devez l’inclusivité. Mais attention : le grec étant d’une richesse incroyable, aumône signifie aussi miséricorde, compassion. Il a cherché longtemps la compassion, et s’est résigné à l’aumône. Ce n’est pas les pieds brassant la poussière sous son nez qui sentaient la compassion. Il s’est résigné à l’aumône qui lui est jetée comme une façon d’accomplir un devoir religieux, de soulager la conscience des donateurs. À sa place, que ressentiriez-vous ? Il s’est résigné à trouver sa survie dans ces aumônes.
Et voici que Pierre et Jean arrivent et l’invitent à sortir des sentiers battus : Regarde-nous, tourne tes yeux vers nous, cesse de regarder par terre. En lieu et place d’une piécette : un regard. En lieu et place d’une aumône, un intérêt manifesté pour lui, mendiant devenu part du décor.
Il s’attend alors de nouveau à recevoir ou à prendre quelque chose d’eux. Mais zut ! Ils n’ont rien à lui donner. Ni or ni argent. Rien de ce qui est la solution habituelle pour cet homme. Rien de ce sur quoi il compte normalement. Il n’est plus dans la situation de prendre. Pierre et Jean n’ont pas d’aumône. Ils ont la compassion et la vie à donner et cela ça ne se prend pas, ça se reçoit. Ils lui offrent le relèvement, la résurrection, un horizon nouveau. Celui que le Christ Ressuscité donne. Et là, il n’y a plus de mot, il y a juste un bond. Le grec utilise pour parler des pieds le mot basis, base. Ses bases sont raffermies. Ses bases peuvent le porter. Il n’y a plus de mot, mais des sautillements telle une source d’eau qui jaillit au printemps[3]. C’est comme si cet homme retrouvait d’abord le goût de la miséricorde avant de retrouver la vie, la santé.
Et nous là-dedans ? Nous… nous avons aussi nos soucis, nos problèmes, nos misères, et nous cherchons des solutions, nous attendons des solutions, nous réclamons des solutions. Nous les attendons des politiciens, de la science, de l’économie. Nous misons sur l’argent, sur nos assurances. Nous parions sur notre savoir, sur nos compétences, sur nos propres forces. L’horizon de notre salut ne se limite-il pas à ça souvent ? Nous avons peut-être prié, mais au final nous retournons à cet horizon. Nous avons prié, mais nous continuons à nous appuyer sur nos ressources habituelles, humaines et limitées. Notre liberté se limite à la largeur que nous donnons à notre horizon de salut. Je pense que cet épisode nous encourage et nous exhorte à 3 titres.
D’abord, à oser sortir des sentiers tracés par nos ressources habituelles, pour nous tourner vers le Seigneur. Retrouver le courage de la prière. Oser espérer de Dieu, attendre de Dieu, dépasser le cadre des solutions immédiates de ce monde. Nous appuyer sur les possibles de Dieu plutôt que sur les possibles de l’humain. Lever notre regard vers le Seigneur. Comme dit Esaïe aux Israélites entourés d’adversaires : Fortifiez–vous, soyez sans crainte… Voici votre Dieu… Le mirage se changera en étang (Es 35, 4 et 7).
Je crois que la mention de la 9e heure n’est pas anodine dans ce récit. L’heure où la noirceur a envahi le monde de Dieu, l’heure où la tristesse l’a submergé face à une humanité devenue aveugle à sa miséricorde et sa compassion, face à une humanité devenue aveugle à ses possibles à Lui. Dieu triste de ne pas voir l’humanité se tourner vers Lui pour recevoir de Lui ses solutions, son salut, sa délivrance, son rétablissement. Dieu se tient là avec ses possibles. Il est prêt à nous donner plus que ce que nous imaginons, mais aussi autrement que ce que nous imaginons. C’est aussi le 2e sens de la 9e heure. Dieu disposé à nous répondre. Dieu venant à notre rencontre.
Jamais, cet homme n’a imaginé que ce jour-là il retrouverait la mobilité, que l’aumône réclamée serait remplacée par la miséricorde, que le tintement des pièces ferait place à la liberté. Jamais, il n’aurait imaginé que ce jour serait le dernier passé enfermé dans son petit horizon de misère. Que ce jour serait le 1er jour du lien retrouvé avec son Créateur.
Ce récit nous invite à dépasser nos horizons de solutions habituels, nos ressources habituelles. Nos attentes face à Dieu sont-elles en deçà de ce qu’il a pour nous ? Lui, dont Paul dit, qu’il peut faire infiniment plus que ce que nous pensons ou demandons (Eph 3,20).
2°. Passer du dû au don : cela pourrait réveiller la gratitude. Pas simple dans un monde où tu paies pour être assuré, rassuré, pris en charge. Passer au don. Se laisser saisir par la foi de l’autre qui me donne sa compassion, sa présence. Le dû est le propre d’une relation réduite à son automatisme. Le don, la gratitude est le propre d’une relation reliant 2 êtres vivants, libres et sensibles. Dieu ne me doit rien. Il s’offre. Il donne. Il fait grâce. C’est pour ça qu’il mérite notre louange, notre merci. Le dû nous empêche la communion, l’amitié avec Dieu. La conscience de ses grâces nous y ouvre.
3°. La communauté croyante que nous sommes est invitée à s’interroger.
Quand j’aide, quand nous aidons, faisons-nous l’aumône ou exerçons-nous la miséricorde, la compassion ? Sommes-nous motivés par la compassion ou juste par l’habitude ou le devoir ? Sommes-nous habités par la foi pour l’autre et à la place de l’autre ? 3 Rendez fortes les mains faibles, affermissez les genoux qui vont trébucher ; 4 dites à ceux dont le cœur palpite : Soyez forts, n’ayez pas peur : il est là, votre Dieu ! (Es 35,3-4).
Je conclus. Souvenons-nous que le Seigneur nous veut debout, marchant, sautillant ou jaillissant de joie et le louant. Quand nous sommes à terre, cherchons auprès de Lui le chemin, la voix, la parole que nous avons ~ perdu en route et qui nous relèvera. Tôt ou tard, nous l’entendrons ou le ré-entendrons nous dire : lève et marche, va de l’avant.
Amen.
[1] Cf. Roland de Vaux, Les institutions de l’Ancien Testament, vol. 2, Cerf, Paris, 1991, p.365.
[2] Pas tant comme le dû qui lui revient, mais comme le dû que ces passants ont intérêt de lui donner pour être bien vu de Dieu – l’aumône étant un élément central de la piété juive. Un homme, privé de mouvement, dépendant des autres, mendiant…
[3] Le mot grec utilisé désigne aussi une source qui jaillit.