Ingrid Betancourt fut otage des FARCs durant plus de 6 ans (2002-2008). Pendant ces années, elle fut maintes fois déplacées d’un camp de la guérilla à un autre, toujours au milieu de la forêt amazonienne. Elle raconte sa captivité dans un livre intitulé Même le silence a une fin. Afin de s’aider à survivre, elle s’était établie un rituel qu’elle respectait quand cela était possible : au matin, un temps de lecture, un temps de gymnastique, une douche, un temps de prière.
Dans son livre, elle nous raconte son cheminement dans la prière. Dieu ne répond pas toujours comme nous aimerions. Mais…
Lorsque je revenais de la douche, je m’asseyais les jambes croisées dans la position du lotus et me laissais aller à une méditation qui n’avait rien de religieux mais qui aboutissait invariablement à une conscience indubitable de la présence de Dieu. Il était là. Ce Dieu partout, trop grand, trop fort. Je ne savais pas ce qu’Il pouvait attendre de moi et encore moins ce que j’étais en droit de demander. Je pensais Le supplier de me sortir de ma prison, mais je trouvais immédiatement que ma prière était trop petite, trop mesquine, trop tournée sur mon petit moi, comme si penser à mon propre bien-être ou solliciter Sa bienveillance était mal. Peut-être aussi que ce qu’Il voulait me donner, je n’en voulais pas. Je me souvenais d’avoir lu dans ma Bible, dans une Épître aux Romains, que l’Esprit saint nous secourait dans notre besoin de communication avec Dieu, sachant mieux que nous ce qu’il nous convenait de solliciter. J’avais pensé à ce moment-là, en le lisant, que je ne voulais pas que l’Esprit demande pour moi autre chose que ma liberté. Et l’ayant formulé ainsi, j’avais compris que je ratais l’essentiel, qu’il y avait probablement autre chose de supérieur à ma liberté qu’il pourrait chercher à me donner et que j’étais pour le moment incapable d’apprécier.
J’avais des questions. Toujours pas de réponses. Elles me poursuivaient durant ma méditation. Et dans cette réflexion circulaire qui se prolongeait jour après jour, je voyais défiler les faits de la journée, que je décortiquais avec précision. Je m’arrêtais pour analyser certains moments. Je réfléchissais au sens du mot « prudence » ou du mot « humilité ». Tous les jours, dans un regard, dans l’intonation de la voix, dans ce mot utilisé de travers, dans le silence ou dans le geste, tous les jours je me rendais compte que j’aurais pu agir différemment et mieux faire. Je savais que la situation que je vivais était une opportunité que la vie m’offrait pour m’intéresser à des choses qui me rebutaient d’habitude. Je découvrais une autre façon de vivre, moins dans l’action et plus dans l’introspection. Incapable d’agir sur le monde, je déplaçais mon énergie pour agir dans « mon monde». Je voulais me construire un moi plus fort, plus solide. Les outils que j’avais développés jusqu’à maintenant ne me servaient plus. Il me fallait une autre forme d’intelligence, une autre sorte de courage et plus d’endurance. Mais je ne savais pas comment m’y prendre. Il m’avait fallu attendre plus d’un an de captivité pour que je commence à me remettre en question.
Dieu avait sûrement raison, et l’Esprit saint devait bien le savoir, puisqu’Il s’obstinait à ne pas vouloir intercéder en faveur de ma liberté. J’avais encore beaucoup à apprendre.
Même le silence a une fin, Gallimard, collection Folio, 2010, p.272-273.
Photo : Ingrid à sa libération.