Prédication sur Marc 8.22-33
Drôle de prière pour un miracle.
Bien-aimés du Christ,
Une maman juive promenait ses 2 enfants à Central Park au cœur de Manhattan. A quelqu’un qui lui demandait l’âge de ses enfants, elle répondit : – Le médecin à 4 ans et l’avocat 2 ans et demi[1]. On peut au moins dire qu’elle voyait loin et connaissait déjà bien ses 2 petits.
Dans le récit de Marc, nous avons aussi une histoire de regard, de vue. En le méditant, j’y ai discerné comme 2 récits : celui d’une drôle de prière et celui d’un miracle.
En préliminaire, j’aimerais juste rappeler que les miracles de Jésus ont tous été bel et bien réels, mais qu’ils ont vocation d’être signes, c-à-d de nous dire quelque chose de nous-mêmes et de Jésus ; ils nous invitent donc à chercher leurs significations pour nous.
Débutons par la drôle de prière.
On amène à Jésus un aveugle pour qu’il le touche… Et Jésus le prend par la main pour l’emmener loin du monde, hors du village. Pourquoi Jésus ne le touche-t-il pas là, devant ceux qui intercèdent pour lui ? Pourquoi le prend-il à l’écart, loin de tous ?
As-tu déjà prié pour que Jésus touche un tel ou une telle ? Pour qu’il ou elle découvre ceci ou cela sur Jésus ou sur soi, qu’enfin ses yeux s’ouvrent ?
Qu’est-ce qui se cache parfois derrière notre prière ?
Parfois c’est : il a besoin de Jésus mais il ne le sait pas… OU : comment fait-elle pour vivre ce qu’elle vit sans Jésus ?… Parfois, ce qui nous habite tout au fond c’est que la personne pour qui nous prions n’a pas compris quelque chose, n’a pas compris l’amour de Dieu, ne sait pas ou n’a pas conscience de ceci ou cela, ou ne voit pas les choses comme nous les voyons – enfin, excusez-moi, plutôt ne voit pas les choses comme Dieu les voit – parce que… nous c’est un peu dieu. Alors, Seigneur, s’il te plaît, touche-le, touche-la.
Parfois, je me demande si lorsque nous demandons à Jésus de toucher un tel, une telle, nous ne sommes pas dans une attitude qui la toise, qui pose sur elle ou lui un regard entre guillemets de supériorité. Nous savons, nous avons déjà conscience que…, nous avons expérimenté Jésus, Dieu, etc.
Alors… peut-être bien que l’autre a besoin de Jésus, mais Jésus va répondre à notre prière en dehors de notre regard. De façon à ce que nous ne le sachions pas – histoire de travailler notre orgueil. Parce que, oui, il y a des drôles de prières, celles animées par une prétention mal placée. Cela interroge l’esprit qui nous habite tout au fond quand nous intercédons pour autrui[2].
Le contexte de notre récit pourrait aussi nous indiquer qu’il y a des prières que nous faisons pour autrui avec cette idée que si Jésus manifeste sa puissance ça convaincra cette personne : la prière comme démonstration de force, comme outil de preuve. Ou comme moyen d’accrocher à mon palmarès un exaucement de plus et de me dire tout au fond, bien au fond, ma prière est puissante. Jésus n’entre pas dans ce jeu.
Ça c’était le 1er point. Qu’est-ce qui nous anime quand nous intercédons pour quelqu’un ?
Le 2e c’est le miracle. Jésus rend la vue à l’homme, mais progressivement.
Le miracle, je pense, débute quand l’homme se laisse prendre par la main par ce Jésus qu’il ne connaît pas. 1er pas de confiance. Avancer avec un inconnu hors de son lieu.
Et ici c’est le grec qui m’a interpellé. On a plusieurs fois le même verbe grec voir blepw, précédé par des préfixes différents. D’abord, l’homme voit… il voit quelque chose… qui bouge devant ses yeux : des hommes qui ressemblent à des arbres. Puis, le français dit : il voit clair, en grec littéralement il voit à travers. Puis, on nous dit qu’il voit distinctement, en grec littéralement il voit dans, il voit à l’intérieur. Quelle guérison ! Jésus le conduit à voir les gens pas juste comme des personnes, mais à voir au-delà des apparences, à voir jusque dans leur cœur, si je puis dire. Jésus restaure profondément son regard. Il lui rend un regard vrai. Et ce n’est pas par hasard que Jésus le renvoie chez lui et lui recommande de surtout pas passer par le village. Il l’envoie d’abord chez les siens.
Miracle que nous somme invités à demander d’abord pour nous-mêmes avant de le demander pour autrui. Jésus guérit mon regard, montre-moi ce qui le trouble. Le regard que nous portons sur autrui est si souvent teinté de préjugés, de craintes aussi. Il est orienté par nos expériences passées, par les ouï-dire, les rumeurs et ragots colportés sur x y. Notre regard est aussi parfois orienté par des habitudes, comme celle de croire que nous savons mieux que l’autre ce qui le concerne. Et il arrive qu’un tel regard anime notre prière pour autrui. Un aveugle qui croit voir mieux qu’un autre aveugle. N’est-ce pas grotesque au final ?!
Ce n’est pas par hasard si le récit qui suit cette guérison nous montre un Pierre qui croit avoir saisi que Jésus est le Christ, le Sauveur, alors qu’en réalité il n’a pas compris car il projette sur Jésus un regard façonné par sa fausse-idée du Sauveur. Dieu ne fera pas l’économie de la souffrance. Jésus ira jusqu’au bout de son humanité pour nous dire l’amour de Dieu. Le croyant Pierre avait besoin que Jésus guérisse son regard et ça prendra du temps, ça passera aussi par son reniement et les larmes qui s’en suivirent.
Les larmes de la repentance nettoient notre regard pour une intercession
renouvelée, pour nous-mêmes d’abord et pour autrui ensuite. Amen.
[1] Tiré de La Bible de l’humour juif, Michel Lafon, Paris 2011, p.152.
[2] On pourrait se demander pourquoi cet homme est aveugle. Je suis tombé sur un article du Los Angeles Times sur un groupe de Cambodgiennes ayant perdu la vue après avoir leurs enfants être assassinés sous leurs yeux par les Khmers Rouges. Examinées par des médecins, d’un point de vue physiologique, leurs yeux étaient sains, mais elles ne voyaient plus suite à ce traumatisme. Qu’a-t-il vécu dans sa communauté ? Serait-il devenu aveugle suite à un vécu douloureux dans sa communauté ?
Voir : https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1989-10-15-mn-232-story.html, consulté le 20 août 2024.