Prédication sur Luc 11.38-42 et 1Co 9,19-27 et 2Tim 2.5 (Ps 16).
Stop ! Quelle est / était ma mission 1ère ?
Bien-aimés du Christ,
Nous venons d’assister au JO de Paris qui ont vanté les exploits des uns et des autres, les records battus, la vitesse, la hauteur, la longueur, l’endurance, etc. etc. etc. Médailles et gloires pour certains, douleurs et déceptions pour d’autres, et un dur entrainement pour tous. Alors que j’actualisais mes leçons de caté, je suis tombé sur une interview de Michael Phelps, le nageur le plus titré de l’histoire avec 23 médailles d’or aux JO d’Athènes, Pékin, Londres et Rio. Sans parler des 26 médailles d’or acquises dans les différentes disciplines des championnats du monde entre 2001 et 2011. Et le voilà qui sombre dans une dépression et l’alcool entre Londres et Rio et qui confiera : Je n’avais aucune estime de moi. Aucune valeur personnelle. Je pensais que le monde serait meilleur sans moi. J’ai pensé que c’était la meilleure chose à faire : mettre fin à mes jours[1]. Un homme qui atteint les sommets de la gloire sportive et qui pense au suicide, tellement il se sent nul. C’est lors de son séjour en clinique qu’un ami, star du foot américain (Ray Lewis) lui offre un livre sur la foi chrétienne, qui le relèvera. Un livre qui, dira-t-il, lui a redonné un sens à sa vie, lui a fait prendre conscience qu’il avait encore une place sur terre. Pour cela, il lui faudra passer par cette pause de la maladie.
Joël Abati qui a conduit l’équipe de France d’handball à plusieurs médailles d’or a aussi connu la déprime au moment de sa retraite à l’âge de 40 ans et il dit dans une interview que c’est grâce au Seigneur et à sa pratique régulière de la prière et de la lecture biblique qu’il s’en est sorti. Il a été l’un des aumôniers des JO de Paris[2].
Cela nous amène gentiment au récit de Marthe et Marie. Le texte nous présente 2 femmes très différentes. Elles reçoivent Jésus et ses 12 disciples chez elles pour un repas. Et lorsqu’on connaît l’importance accordée à l’hospitalité au Proche-Orient, on peut imaginer l’agitation qui règne dans la cuisine. Pourtant, Marie va s’arrêter pour se mettre au pieds de Jésus et l’écouter, comme le fait un disciple. Marthe, nous dit le texte, s’agite, pire s’affole[3] dans les préparatifs et pique une colère contre Marie, une colère qu’elle verse sur Jésus.
Jésus lui répond qu’elle s’inquiète et s’agite, se trouble pour beaucoup de chose. Jésus laisse entendre, en grec, qu’elle s’inquiète pour son intérêt propre[4], comme si elle était passée de faire plaisir, de faire du bien à Jésus et aux siens à soigner sa propre image d’hôte, à montrer qu’elle sait bien faire. Marthe, en effet, signifie en araméen la maîtresse de maison. On comprend donc que Marthe souhaite que tout soit tip top.
La question n’est pas tant d’opposer activité et contemplation, comme
on aurait l’habitude de le faire avec ce récit. Sinon l’apôtre Paul ne se plairait pas à comparer 2x la vie chrétienne à une discipline athlétique demandant effort, abnégation et activité. La question est plutôt pourquoi Jésus défend-il ici le choix de Marie?
Marthe, Marthe, dit Jésus. Ça me fait penser à comment Dieu s’adresse à Moïse au buisson ardent : Moïse, Moïse… Au buisson ardent, Dieu rappelle à Moïse sa mission première : libérer Israël. Serait-ce que Jésus essaie de rappeler à Marthe sa mission 1ère : le recevoir, le mettre au centre, pas mettre le repas au centre ? Quelle est la bonne part qui échappe à Marthe ? J’aimerais m’arrêter sur 2 points.
1°. Un philosophe[5] écrit : Si nous prêtons attention à ce qui se passe dans notre esprit, dans notre cœur, très souvent lorsque l’inquiétude nous prend, lorsque nous perdons la paix, lorsque nous ne sommes pas tranquilles, nous nous rendons compte que les autres sont devenus peu à peu des personnes qui devraient tourner autour de nous. L’autre n’est utile que s’il accepte de tourner autour de nous[6]. Pour Marthe, tout va tourner autour du service qu’elle veut offrir et elle perd de vue la rencontre, avec Jésus, avec sa sœur et avec elle-même. Elle perd son assise. Marie choisit de s’asseoir pour être avec Jésus et les autres disciples. Elle y trouve son assise, ce qui la fait grandir. Elle fait une pause dans son service avant qu’il ne devienne activisme. Elle fait une pause avant qu’elle ne perde de vue la raison de son service. Avant qu’elle ne perde de vue sa mission 1ère. Quelle est ta mission 1ère à ne pas perdre de vue ? Au sein de tes activités, de ta vie bien remplie, quelle est ta mission 1ère, quelle était ta mission 1ère si tu l’as perdu de vue ?
Pour Paul, sa mission 1ère consiste à se faire tout à tous, à se faire proche des uns et des autres, à favoriser la rencontre véritable pour témoigner de l’amour de Jésus. Et il compare cette mission à une discipline sportive. Son but n’est pas d’être un super-croyant, hyper-spirituel, à la foi gigantesque, ni de faire du chiffre avec ses Eglises ; son but est d’être attentif à l’autre, c’est d’être à même de ne pas rater la rencontre. Derrière la discipline qu’il s’impose, derrière son agenda – Paul fut l’apôtre le plus actif du NT – il garde à l’esprit sa mission 1ère. Et sans aucun doute, cela se fait dans des moments de tranquillité, de prière, de méditation de l’Ecriture.
Marthe, Marthe… Jésus essaie de repêcher Marthe pour la ramener à la rencontre, pour la ramener au cœur de sa mission 1ère. Avec infiniment d’amour, il la ramène à la bonne part : il est la bonne part, comme le dit le Ps 16 – l’Eternel est ma part. Il la ramène à ce qui est le plus précieux : sa relation avec l’Eternel, car c’est dans cette relation qu’elle se retrouve.
2°. Marcus Raichle, neurologue et chercheur sur le cerveau, a découvert que notre cerveau fait un véritable travail de fond quand nous sommes tranquilles, que nous quittons le tourbillon de l’activité. Je le cite[7] : Comme un chef d’orchestre qui donne le rythme et rassemble derrière lui tous les instruments, il organise toutes les fonctions cérébrales pour se préparer lui et le corps à réagir à n’importe quelle situation. Sans lui pas de symphonie. Dans ce travail d’arrière-fond, le cerveau se réorganise et fait ce que les neurologues appellent un travail de consolidation de la mémoire. Nous n’en avons pas conscience, mais nous en remarquons les effets. Par ex. c’est dans le silence du matin ou juste après une sieste, ou dans un moment de silence que, soudain, il nous vient l’inspiration dont nous avions besoin, que nous n’arrivions pas à trouver tant que nous efforcions de la trouver[8].
C’est pour ça que Jésus passait beaucoup de temps en silence, à l’écoute de son Père. C’est pour ça que Moïse aussi passait beaucoup de temps seul à seul avec Dieu dans la tente de la rencontre, tente qu’il plaça hors du camp des Israélites au désert (cf. Ex 33,7). C’est pour ça que le psalmiste peut dire : L’Éternel me conseille, la nuit même il éclaire ma pensée (Ps 16,7).
L’évangéliste Luc a bien compris cela car, juste après cet épisode de Marthe et Marie, il place ce moment où les disciples demandent à Jésus de leur enseigner à prier. Et Jésus leur donne le Notre Père.
Je conclus. Ce récit nous encourage à ménager des temps de tranquillité pour revenir à ce que nous pressentons être notre mission 1ère, et pour permettre au St. Esprit qui est le créateur de nos mécanismes neurologiques de nous inspirer ses pensées, ses idées, ses impulsions. Cela lui permettra aussi de parler à notre âme quand elle est découragée. Cela nous aidera à garder une bonne assise dans notre vie et à ne pas nous perdre nous-mêmes. Et nous pourrons dire avec le psalmiste : Tu me feras connaître quel chemin mène à la vie. Je trouverai une joie pleine en ta présence (Ps 16,11).
Amen.
[1] https://www.espn.com/espn/feature/story/_/id/16425548/michael-phelps-prepares-life-2016-rio-olympics
[2] Cf. Supplément Les Essentiels de La Vie n°4114, 4 juillet 2024.
[3] Le verbe grec peut se traduire par: distraire, affoler, être conduit mentalement, être distrait, être très occupé, trop occupé d’une chose, absorbé, affairé.
[4] Le verbe grec peut se traduire par: être inquiet, troublé par soucis, soigner, s’occuper de, promouvoir ses propres intérêts.
[5] Simon Descloux, L’Esprit Saint viendra sur toi, Fidélité, Namur, 2002, p.14-20
[6] En lisant les témoignages de sportif passés par la dépression, on observe que certains d’entre eux avaient commencé leur carrière avec joie, avec plaisir, sans oublier les personnes les entourant et soudain c’est l’activité même et le fait que les autres soient réduits à agents favorisant réussite et gloire de l’intéressé qui prend le dessus.
[7] Citation non adaptée : Comme un chef d’orchestre qui donne le rythme et rassemble derrière lui tous les instruments, notre mode par défaut organise toutes les fonctions cérébrales pour préparer le cerveau et le corps à réagir à n’importe quelle situation. Sans lui pas de symphonie. Cité dans le magazine La Vie n°4099, 21 mars 2024.
[8] Voir le dossier du journal La Vie n°4099 consacré au rôle essentiel du silence dans le fonctionnement de notre cerveau.