Prédication sur Marc 10,46-52 / Ps 121 /

Lever les yeux

Bien-aimés du Christ.

L’été, temps pour prendre l’air, pour s’évader, sortir et aller se faire du bien. Parfois, la météo du moment avec un avis d’intempérie nous en dissuade. D’autres fois, ce sera une douleur ou une fatigue ; ou ce sera peut-être une question de coût. Bref, parfois, on peut être dissuadé de prendre l’air et de se faire du bien.

Nous poursuivons ce matin notre randonnée sur le thème vive la liberté retrouvée et je vous propose le sentier confiance et persévérance, lequel nous réserve peut-être aussi des surprises. Nous y suivrons Bartimée.

Bartimée. J’aimerais d’abord m’arrêter sur qui il est.

Bartimée est apparemment devenu aveugle au cours de sa vie car on nous dit qu’il veut recouvrer la vue. Il semble donc avoir vu dans le passé. Il est devenu aveugle et cela l’a jeté sur les bords de la route, dans la poussière soulevée par le va et vient des gens. Il est condamné à mendier.

Sa cécité est peut-être vue comme une punition divine.

Bartimée est aussi le seul guéri par Jésus dont on connaisse le nom. Et son nom est ambigu. Bartimée signifie fils de Timée. Si on comprend Timée en araméen, ça donne le fils impur ou fils de l’impureté ou de l’immoral ; si on le comprend en grec, ça donne Fils honoré ou fils de l’honoré ou de l’honneur. Pourquoi ce détail ? Serait-ce que Bartimée est un homme dans lequel s’entrechoque 2 visions de lui-même ? Un homme qui se sait digne et honorable, mais qui se croit sale, impur. En effet, nous savons parfois beaucoup de bonnes et justes choses sur la vie, sur nous-mêmes ; nous connaissons la théorie : je suis un enfant bien-aimé de Dieu, je suis aimé de Lui, il veille sur moi ; j’ai des capacités, etc. Mais au fond, nous ne croyons pas à ce que nous savons ; nous croyons parfois juste le contraire. Que s’est-il passé chez Bartimée pour qu’il en arrive là ? Nous ne savons pas. Ses parents l’ont-ils nommé fils honoré, fils promis à un bel avenir, fils qui a du futur… puis il a perdu la vue et ce fils est devenu un poids – car perdre la vue était considéré comme une punition divine pour une faute commise : la foule le lui fait bien savoir, à lui le rien, le pauvre diable mendiant. Bref, il s’est passé quelque chose qui a fait que Bartimée a perdu la vue, la vue tout court ou une vue saine et ajustée sur la vie et sur lui-même.

Pour nous aussi, la vie nous amène parfois à douter des bonnes intentions de Dieu pour nous ou à douter de notre valeur propre, de notre dignité.

Bartimée, s’il a perdu la vue, n’a pas perdu l’écoute, ni la voix. Il discerne

que Jésus le Fils de David passe par là, et il fait entendre son cri, ses attentes. C’est qu’il a probablement déjà entendu parler de Jésus. Que sait-il de Jésus ? Qu’il a guéri d’autres personnes, qu’il a enseigné, qu’il a changé la vie de Zachée le collecteur d’impôt à Jéricho ? Toujours est-il qu’il résume ce qu’il sait de Jésus par l’expression Fils de David. En hébreu, le fils aimé, le fils de l’Amour. Le Fils de celui qui a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils Unique pour quiconque croit en lui ne se perde pas mais aie la vie, avec un grand V. Il s’accroche à ça.

Mais comme souvent, il y a un obstacle : la foule qui veut le dissuader de faire entendre sa voix, qui veut le décourager de retrouver la vue.  Qu’est-ce qui peut bien vouloir nous dissuader de crier à Jésus pour qu’il nous relève, pour qu’il nous jette un regard ? Car un regard de sa part, c’est déjà recevoir un bol d’air frais. Quels sont les écrans qui se mettent entre nous et Lui ? Est-ce un sentiment d’indignité, d’inadéquation : je ne mérite pas son attention… d’ailleurs comme j’ai pris des chemins de traverses comment pourrait-il s’intéresser à moi ? Ou cette voix qui nous dit : Dieu a autre chose à faire que de s’occuper de tes petites affaires… Regarde le monde avec ses guerres et ses misères… tu ne crois pas qu’il a déjà assez à faire avec ça ? Ou cette voix nous accusant d’infantilisme : quand même, un homme se débrouille seul, il assume sa condition, il ne va pas s’en remettre à la prière ; qu’est-ce que cet enfantillage ?… Serait-ce un certain cynisme : Jésus n’est pas le seul à s’être cru sauveur et pis ces autres qui croient en lui ou le suivent… si ça peut les rassurer tant mieux, ce sont des âmes faibles. Qu’est-ce qui fait écran entre toi et Jésus ? Des raisonnements, des prières non-exaucées, l’incrédulité ambiante ?

Bartimée nous encourage à persévérer. Il nous lance aussi un défi. En grec, le verbe recouvrer la vue signifie aussi lever les yeux. Bartimée lève les yeux, il veut retrouver le regard qui vient d’en haut sur sa vie. Il lève les yeux. Il est à l’affût du passage de Jésus. Il croit qu’il y a plus que sa condition présente. Quand il crie : prends pitié de moi fils de David… cette expression prendre pitié c’est aussi les 1ers mots des prières de repentance. Sa démarche le conduit à refuser sa cécité, à la remettre en question, car il se sait devant le Fils de Dieu Amour. Son cri lui permet de détacher son regard du sol de son malheur, recouvert du manteau de la fatalité. Son regard se laisse emmené par le courant ascendant de l’espérance qui refuse de considérer son état comme une fatalité, avec laquelle il faudra vivre jusqu’à la mort.

N’hésitons pas à nous interroger : suis-je bien-voyant ou mal-voyant ? Est-ce que je me sens désajusté par rapport à moi-même ? Ai-je l’impression d’avoir perdu la vue ajustée ? Mes circonstances m’ont-elles fait perdre la vue ? Et qu’est-ce qui me retiendrait de me tourner avec insistance vers Jésus ?

Paule Amblard, historienne d’art médiéval dit : Une grand part de notre évolution spirituelle réside dans la qualité de notre regard. Pour qu’il s’affine à la manière des voyants, l’écoute est essentielle. Si tu veux voir, écoute d’abord, dit Bernard de Clairvaux. Et un autre philosophe dit : le monde est rempli de visions qui attendent des yeux pour les voir[1]. En écoutant, Bartimée commence à affiner son regard, à lever son regard vers Celui qui a créé les cieux et la terre et s’est fait homme par amour pour lui, par amour pour nous.

Comme Bartimée, écoutons la voix de l’espérance et de la foi qui nous fait du coude, plutôt que le tintamarre extérieur ou intérieur qui veut nous dissuader de nous tourner vers Christ. As-tu déjà remarqué combien cette voix de l’espérance et de la foi nous fait du coude… discrètement quand nous vivons des circonstances difficiles où l’on mord la poussière ? Elle nous fait du coude en nous disant : courage… ce n’est pas fini… patience… attend… crois… etc.

Ne restons pas le regard et la foi bloquée par ce qui nous dissuaderait d’approcher Jésus. Car il s’arrête, il nous appelle. D’ailleurs, il a dit : je suis venu pour les malades. Il est déjà à nos côtés. Et surtout, Jésus ne gaspille pas nos souffrances, nos ténèbres, nos sentiments de rejet… il ne les prend que trop au sérieux pour les avoir vécu dans sa chair. Il ne les gaspille pas, il en fait son terrain d’action quand on les lui présente. Et il nous appelle par notre nom : Ne crains pas, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi… tu as du prix à mes yeux… Voici ce que le Seigneur déclare, lui qui prend votre cause en mains, lui l’unique vrai Dieu, le Dieu d’Israël (Es 43).

Amen.


[1] Tiré de la chronique de Paule Amblard parue dans Les Essentiels du journal La Vie n° 4113, du 27 juin 2024.

L’image est une peinture de Carl-Heinrich Bloch.