Prédication sur Ge 2 et Ap 13[1].
Covid et digitalisation de la société : progrès pour la dignité humaine ?
Chers amis en Christ,
Après s’être arrêté sur ce que l’épidémie du covid avait pu nous dire sur notre rapport aux autres et aux biens matériels, je m’arrête avec vous sur ce qu’elle a peut-être révélé de notre rapport aux nouvelles technologies.
Nous avons, pour certains, découvert l’utilité des nouvelles technologies digitales rendant possible le télétravail et l’école à la maison, permettant la transmission des cultes sur internet, les rencontres de groupe de paroisse via zoom. Mais, vous avez peut-être aussi été dans des magasins n’acceptant que le paiement par carte de crédit et refusant le cash.
Et puis, nous assistons à la création de systèmes sur-perfectionnés pour tracer, suivre les malades éventuels pour le bien de tous. Avec ce débat sur la protection des données et de la sphère privée, et sur jusqu’où notre liberté individuelle est légitime.
Il y a fort à parier que les événements liés au covid vont accélérer le développement de la digitalisation de la société et de l’intelligence artificielle, laquelle prendra toujours plus de place dans nos existences. Pour notre bien, nous répétera-t-on en boucle. Mise en place de moyens toujours plus performant pour nous aider, à moins que ce ne soit pour nous asservir. Jacques Ellul, le philosophe français protestant écrivait déjà en 1948 : Notre civilisation qui prétend ne pas user de contrainte cherche à saisir la totalité de l’homme et à l’enserrer dans un cadre minutieux, où tous ces gestes et les secrets de ses pensées seront contrôlés par l’appareil social[2]. Que dirait-il à l’ère où des algorithmes épient nos faits et gestes sur internet pour ensuite nous dire ce dont nous avons réellement besoin. Bien sûr, pour notre bien et pour nous gagner du temps.
Tout cela nous place devant une question : quel monde voulons-nous léguer à nos petits enfants ? Vous me direz : on ne peut de toute façon rien changer. Ellul disait qu’effectivement la religion de la fin du 20e s. était l’efficacité technologique. Mais l’idée du monde que nous allons léguer repose sur la vision que nous avons de l’homme, de nous-mêmes. Nous ne sommes pas d’abord un corps matériel qui abrite un cerveau dont le fonctionnement s’apparente à un ordinateur[3] comme nous le répètent sans cesse les neurosciences.
Et là, notre foi a quelque chose à nous dire. Elle peut façonner notre comportement face à la technologie et la cantonner au rôle d’outils et non de but en soi. La technologie ne peut pas devenir un but en soi comme on aimerait nous en persuader : toujours plus vite, toujours plus de mémoire, toujours plus intrusif, et toujours avec notre accord – obtenu par une manipulation subtile et asservissante. De même que l’argent doit rester un outil et non un maître, de même les nouvelles technologies.
La Bible nous dit cette chose extraordinaire et à peine croyable : Dieu a créé l’univers, il en a confié la domination et le soin à l’être humain. Il lui a donné la liberté, le libre arbitre et la mission de gérer ce monde ; non pas de déléguer la gestion du monde et de nos vies à des algorithmes, à des machines dites intelligentes. Dieu ne t’a pas créé pour que tu délègues ta vie à une machine. Le drame, en Genèse, est que l’homme soumet sa vie au serpent qui lui fait croire qu’il peut devenir comme Dieu, c’est-à-dire tout-puissant ; sans limite. Alors que nous étions destinés à être les gérants, les fondés de pouvoir du Seigneur sur cette création – pour en prendre soin, pour la garder, pour veiller sur elle avec amour. Mais à force de déléguer de plus en plus de décision à la technologie, à force de déléguer de plus en plus de nos choix à des algorithmes, à force de dépendre de plus en plus du digital, nous lui confions un pouvoir totalitaire pour reprendre les mots de Jacques Ellul[4]. Nous le faisons, parce que nous pensons que de cette manière, l’humanité accroît sa domination et sa toute-puissance, et son indépendance. Quelle illusion!
Le covid, sur bien des aspects, a remis en question le désire de toute-puissance de l’humain, et son idolâtrie moderne.
Les prophètes de l’AT nous invitent à plusieurs reprises à ne pas nous prosterner devant l’ouvrage de nos mains, c’est-à-dire à ne pas y sacrifier notre liberté. L’absolutisation de la technologie, ouvrage de nos mains, est une forme d’idolâtrie. L’Apocalypse qu’on essaie de reléguer à un livre d’image parce qu’elle dérange nous met en garde : l’issue finale de cette idolâtrie est l’asservissement de l’homme par le système socio-économique. Il ne s’agit pas ici de discréditer les nouvelles technologies, il s’agit de les maintenir à leur juste place d’outils, de moyens et non de fin en soi.
La Bible nous appelle sans cesse à discerner entre le chemin qui mène à la vie et celui qui mène à la mort. Ce chemin qui, souvent, passe par l’usage que nous faisons des choses, par le statut que nous leur donnons.
Dieu nous veut libres et la vraie liberté ne se trouve que dans une forte relation avec Lui, avec notre Créateur et Sauveur qui nous dit qui nous sommes, de quelle vocation nous somme revêtus. Le Seigneur est le seul garant de notre liberté intérieure, car Il en appelle toujours à notre confiance et notre obéissance librement consenties et jamais kidnappées. Il nous a donné la liberté de nous détourner de Lui ou de nous attacher à Lui. Il a fait de nous des êtres sensibles, capables de compassion, capables de renoncement au bénéficie d’autrui, capables même de nous départir d’une logique procédurale ou rationnelle implacable. Le don de Jésus de sa vie à la Croix en est l’expression sublime.
Comme dit Jacques Ellul, ce qui doit nous faire réfléchir ce n’est pas l’efficacité des nouvelles technologies c’est le but, le type de monde qu’elles poursuivent[5]. Leurs effets sur les relations et sur le type de société qui en découlera sur le long terme[6].
Schuurman, ingénieur, docteur en robotique et professeur en science de l’informatique, nous invite à nous poser des questions en lien avec l’usage que nous faisons des nouvelles technologies[7]. Par ex. :
– la nouvelle technologie offre des solutions à des problèmes, mais ce faisant elle en crée d’autre. Lesquels et suis-je prêt à vivre avec ou être complice avec ?
– qui fera les frais de la nouvelle technologie, qui préjudiciera-t-elle?
– comment influe-t-elle sur mes relations avec les personnes de mon environnement proche, local et régional, sur le tissu social ?
Répondre à ces questions nous aide à ramener les nouvelles technologies à leur rang d’outil, et rien de plus. A rester les maîtres de ces outils dans un monde où certains travaillent d’arrache-pied à rendre la technologie indépendante de l’humain, par prétendu souci d’efficacité.
Tu me diras que tout ça c’est bien beau pour un dimanche matin !!! Mais ramène à ton niveau ce que j’ai dit. Et interroge-toi : quelles traces veux-tu laisser sur internet ? Quelle place occupe les nouvelles technologies dans ta vie familiale ? Es-tu en train d’y perdre ta liberté, ta capacité à vivre un instant sans ? Et en quoi ton engagement citoyen pourrait-il influer sur le monde que tu veux léguer à tes petits enfants ? Que pourrais-tu faire pour affirmer ta fidélité à la vision que Dieu a de l’homme et qui ~ s’opposera au dogme de l’efficacité, et du prêt-à-penser ?
Parce que finalement… le Seigneur nous a créés et s’est donnés pour nous à la Croix pour nous affermir dans notre liberté et dans notre capacité d’aimer et donc de nous relationner avec autrui. Le Seigneur nous invite à vivre avec Lui le souci de l’autre, de sa liberté aussi. Le Seigneur nous invite à honorer la confiance qu’il nous fait de prendre soin du monde, et donc de notre prochain. Prendre soin avec sensibilité. Le Seigneur nous invite à porter son nom, à le faire briller dans un monde qui tend à devenir technologique et froid.
Amen.
[1] Ap 12 : 9 Il fut précipité, le grand dragon, le serpent ancien, appelé le diable et Satan, celui qui séduit toute la terre habitée ; il fut précipité sur la terre, et ses anges furent précipités avec lui. 13 :1 Puis je vis monter de la mer une bête qui avait dix cornes et sept têtes (…) et sur ses têtes des noms de blasphème. (…) 3-4 Et je vis l’une de ses têtes comme frappée à mort, mais sa blessure mortelle fut guérie. Remplie d’admiration, la terre entière suivit la bête. Ils se prosternèrent devant le dragon, parce qu’il avait donné le pouvoir à la bête; ils se prosternèrent devant la bête, en disant: Qui est semblable à la bête et qui peut la combattre? (…). 7-8 Il lui fut donné de faire la guerre aux saints et de les vaincre. Il lui fut donné pouvoir sur toute tribu, tout peuple, toute langue et toute nation. Et tous les habitants de la terre se prosterneront devant elle, ceux dont le nom n’a pas été inscrit sur le livre de vie de l’Agneau immolé dès la fondation du monde. (…). 11 Puis je vis monter de la terre une autre bête. (…). 12 Elle exerce tout le pouvoir de la première bête en sa présence, et elle fait que la terre et ses habitants se prosternent devant la première bête, dont la blessure mortelle a été guérie. 13-14 Elle opère de grands signes. Elle séduit les habitants de la terre par les signes qu’il lui fut donné d’opérer devant la bête, en disant aux habitants de la terre de faire une image de la bête qui a été blessée par l’épée et qui a survécu. 15 Il lui fut donné d’animer l’image de la bête, afin que l’image de la bête parle et fasse mettre à mort tous ceux qui ne se prosterneraient pas devant l’image de la bête. 16 Elle fait que tous, les petits et les grands, les riches et les pauvres, les hommes libres et les esclaves, reçoivent une marque sur la main droite ou sur le front, 17 et que nul ne puisse acheter ni vendre, sans avoir la marque, le nom de la bête ou le chiffre de son nom. 18 C’est ici la sagesse. Que celui qui a de l’intelligence calcule le chiffre de la bête. Car c’est un chiffre d’homme, et son chiffre est 666. 13 : 1 Je regardai, et voici l’Agneau (Christ Jésus) debout sur la montagne de Sion, et avec lui 144 000 personnes, qui avaient son nom et le nom de son Père écrits sur leur front.
[2] J.Ellul, Présence au monde moderne, 2e éd. PBU, Lausanne, 1988, p.74.
[3] Et dont la conscience est issue. Toute un courant des neurosciences réduit notre conscience a un fonctionnement de type informatique, d’où le fantasme de certains de pouvoir un jour transférer notre conscience sur des supports informatiques pour nous garantir l’éternité.
[4] J. Ellul, idem, p.72.
[5] J. Ellul, idem, p.82.
[6] Roy Amara, fondateur de l’Institut pour le futur, basé en Californie, a établi une loi : We tend to overestimate the effect of a technology in the short run and underestimate the effect in the long run.
[7] Voir la revue Perspectives on Science and Christian Faith, volume 71, n°2, Juin 2019, p.78.