Prédication sur Luc 1,24-49a
Ensemble… réveiller / découvrir nos étincelles de vie respectives.
Chers amis en Christ,
Alors que la vie semble reprendre son cours normal après cette période d’épidémie, qui ne s’est pas senti un peu déboussolé ou désécurisé à l’idée de retrouver du monde ? En effet, il y a de quoi face aux incohérences des mesures proposées entre le début de la pandémie et maintenant[1]. La question « quelle est la distance juste, sure, appropriée à maintenir avec l’autre ? » touche à quelque chose de symbolique : le respect de l’individualité de chacun et chacune. Quel rapport ai-je aux autres ? Et à moi-même ? La période de semi-confinement nous a-t-elle révélé quelque chose sur notre rapport aux autres ou a-t-elle modifié ce rapport ? S’interroger sur notre rapport aux autres passe inévitablement par le rapport que nous avons avec nous-mêmes.
Je me suis demandé si dans la Bible il y avait des personnages qui avaient vécu quelque chose de l’ordre du confinement et comment ils en étaient ressortis. J’ai pensé à Elie le prophète solitaire et à Elisabeth et Marie. Arrêtons-nous un instant sur Marie et Elisabeth pour cette fois.
Elisabeth et Marie vivent une crise, différente pour chacune. Suite à cette crise, elles vivent les 2 un temps de retrait ou d’auto-isolement comme on dirait. Les 2, après ce temps de retrait, reprennent leur place dans la vie normale, mais pas comme avant.
Elisabeth, qui jusque-là vivait en portant l’étiquette de maudite à cause de sa stérilité, qui n’avait donc pas voix au chapitre dans son village, qui devait vivre repliée sous ce fardeau, revient à la vie de son village en prenant sa place et en tenant tête aux villageois pour le choix du nom de son fils. Faisant ainsi, elle se dresse contre les coutumes d’alors.
Marie, tombé mystérieusement enceinte, alors qu’elle est fiancée, risque le bannissement ou la mort et va passer quelques temps chez Elisabeth avant de retourner chez elle, là où elle va se retrouver face à Joseph.
Que se passe-t-il dans ce confinement pour ces 2 personnages ?
Elisabeth et Marie. Il y a quelque chose de touchant dans leur rencontre. Leur rencontre est la rencontre entre les 2 vies qu’elles portent. Leur rencontre c’est comme, pour elles deux, la révélation de la vie qu’elles portent. C’est un peu comme si elles prennent conscience de leur fécondité. Non, Elisabeth n’est pas stérile comme son village se moquait d’elle. Dans son grand âge, elle abrite une étincelle de vie, un avenir. Et Marie n’est pas embarquée dans un destin absurde et injuste, la vie en elle est le fruit de l’action de Dieu et destinée à être le Sauveur.
Non, leurs vies aux deux ne se confond ni avec l’opinion de leur entourage, ni avec les circonstances difficiles. Leurs vies à elles deux abritent une étincelle de fécondité, c’est-à-dire quelque chose d’infiniment précieux à même de jouer un rôle unique dans le monde. Qqch qui va au-delà des bébés qu’elles portent. Et cela se révèle à elles deux dans leur rencontre. Cela se confirme à elles deux dans leur rencontre. C’est comme si les enfants qu’elles portent en elles s’en font les témoins.
En étant éloignée de leur train-train quotidien, de leur normalité, Marie et Elisabeth sont ancrées, affermies dans cette certitude qu’elles portent la vie, une vie bonne, utile, à faire rayonner autour d’elles. Elles sont affermies dans cette conviction l’une par l’autre. Elisabeth affermit Marie et vice-versa. C’est ce qui est beau. C’est ce qui peut nous interpeler.
Alors que notre monde était emmené dans une folle course vers toujours plus de productivité, de rendement… de stress, où les gens sont réduits à être des outils de production ou des consommateurs… soudain un stop net fut prononcé par la maladie. Ce monde où nombre de relations sont marquée par la compétition, par la peur (manger ou être mangé), par la jalousie, par la soif de dominer l’autre… soudain… une partie de la population est renvoyée à la maison… et doit redécouvrir l’art de la relation avec ses proches. Ou pour certain l’art de la solitude (c’est Elie). Et si cela avait changé notre perception de l’autre… voire de nous-mêmes.
Ne crois-tu pas que le Seigneur Dieu nous appelle à révéler à l’autre ou à réveiller en l’autre l’étincelle de vie, le trésor de fécondité qu’il ou elle abrite ? Toi, moi, nous… en nous se cachent, telle une promesse, une fécondité qui demande juste à s’exprimer, à être source de bénédiction. Parfois on t’a fait comprendre que tu es stérile… que tu n’es plus bon/bonne à rien, que tu as passé l’âge, que tu as fait ton temps ou que tu es trop jeune, trop inexpérimenté, ou que tes faux-pas font qu’on ne peut rien attendre de toi. Pourtant, tu abrites une étincelle de fécondité, l’étincelle que Dieu a déposée en toi pour bénir les autres. Cette étincelle qui peut être un talent, un aspect de ta personnalité, une qualité, un don, une expérience de vie, etc. Cette étincelle que parfois nous peinons à voir nous-mêmes et qu’au contact avec d’autres personnes bienveillantes nous découvrons.
Il y a 2 obstacles à cela.
Le 1er est vite compris : l’indifférence mutuelle.
Le 2e est bien plus subtile : c’est une maladie dont nous souffrons probablement tous à un degré plus ou moins aigu et qui nous conduit à croire que pour que je sois heureux je dois empiéter sur la vie de l’autre[2]. Cette maladie nous conduit à la colère contre nous-mêmes ou contre les autres, à la frustration, parfois à l’aigreur et à la dépression, quand ça ne va pas comme on veut.
Cette maladie c’est quand tu crois que ta réussite, ton bonheur dépend de l’autre, en ce sens que ton contentement dépend du fait que l’autre soit ou fasse selon tes attentes. Mais tout aussi grave, c’est quand tu penses que ton contentement, ton bonheur, ta réussite dépend de ta capacité à satisfaire l’autre et que tu y perds ta liberté et ton individualité. L’exemple caricaturale et tragique c’est quand un enfant prend sur lui de satisfaire les ambitions de ses parents : il choisit la voie professionnelle que ses parents ont indiquée sans s’interroger sur son propre désire. Ou c’est quand on veut plaire à un mort ou remplacer un mort dans la vie de qqn d’autre au prix de sa propre individualité.
Elisabeth et Marie ont réussie à ne pas tomber dans ce piège. L’une grâce à l’autre, l’une avec l’aide de l’autre, ont perçu qu’elles étaient porteuses d’une promesse unique, d’un projet unique, d’une étincelle de vie unique, d’une fécondité unique et propre à chacune d’elle pour être en bénédiction. Sans concurrence. Sans jalousie. Sans confusion. Chacune a pu ensuite occuper sa place pleinement.
Et j’aimerais terminer avec ceci : j’imagine que le fait que Marie s’en aille un temps chez Elisabeth a permis à Joseph son fiancé de faire son propre chemin avec lui-même, avec la grossesse imprévue de Marie, avec Dieu aussi pour accepter Marie porteuse de ce projet divin. Marie n’a pas fait de chantage émotionnelle. Elle a laissé la place pour que Joseph fasse son chemin. Parfois nous aussi on doit ficher la paix à ceux ou celles qu’on aimerait voir entrer dans nos idées de la vie pour qu’ils ou elles puissent faire leur chemin. C’est tout l’art d’aimer sans envahir, d’être proche, mais en gardant la distance juste.
L’amour de Dieu pour nous est à ce titre parlant : il nous aime, sans nous envahir ; il est le tout proche et le tout-puissant, mais en même temps, il nous veut libre. La Croix où Jésus se donne à nous est l’illustration suprême de cet amour qui se donne en nous laissant libres, qui se donne dans l’espoir de réveiller en nous le meilleur de nous-mêmes.
Puissions-nous avec la reprise de la vie communautaire paroissiale avoir la même approche les uns avec les autres que Marie et Elisabeth ont eue l’une avec l’autre. Apprendre à aiguiser notre regard et notre cœur pour voir les étincelles de vie chez l’autre. Devenir instrument pour réveiller et valoriser nos fécondités mutuelles, nos étincelles de vie respectives. Amen.
[1] Au début de l’épidémie, on faisait de la distance physique de 2m une obligation, le port du masque était parfaitement inutile, et tout rassemblement de plus de 5 personnes était interdit. Et maintenant, la distance entre 2 personnes n’est plus une obligation, le port du masque est recommandé, on peut être se retrouvé à 30 en privé ou 300 en manifestation publique.
[2] Comme dit Scazerro, un formateur d’adultes en Eglise, que de fois n’envahissons-nous pas le territoire des autres en portant des jugements (Peter Scazerro, Je souffre, écoute-moi, éd. Empreinte Temps Présent, 2010, p.172.)