Prédication sur Jér 1,4-10 / Jn 15,16 / Mt 1,19-24.

Retrouver notre vocation prophétique.

Face aux différentes crises que notre monde traverse, certains remettent en question l’existence de Dieu. Serait-ce pour excuser leur incrédulité ? Peut-être pas seulement !!! N’est-ce pas un appel plein d’incompréhension adressé aux croyants que nous sommes? N’est-ce pas là aussi un cri de déception face à une communauté chrétienne qui ne sait plus faire raisonner la Parole de Dieu comme un événement qui change quelque chose dans ce monde ?

Je disais, la semaine passée, que se demander où est Dieu au sein des misères de ce monde est une bonne question ; c’est une question qui mérite une réponse digne de la résurrection de Jésus notre Seigneur, résurrection qui proclame la présence de Dieu même dans l’impasse de la mort, faisant sauter le verrou de la fatalité et de la désespérance. Jésus Ressuscité, Vivant et Présent avec nous, Dieu-avec-nous-qui-sauve-et-qui-libère nous invite à retrouver une foi prophétique, à devenir une église prophétique, une Eglise dont le message et l’attitude change quelque chose. J’aimerais que nous méditions là-dessus durant quelques dimanches[1].

Etre un chrétien prophétique ça veut dire quoi ? Je crois que ça veut tout simplement dire être un témoin de la résurrection de Jésus, c-à-d de sa présence agissante et transformante. C’est tout simplement être porteur de la présence du Seigneur dans notre monde, être témoin de son regard à Lui sur ce monde.

Tu vois déjà qu’avoir une foi chrétienne prophétique, être une paroisse prophétique n’est pas une mission réservée à une élite. C’est l’appel lancé à tout chrétien. Si le monde s’interroge et remet l’existence du Seigneur en question c’est que nous avons perdu ou oublié 1° la conviction que nous ne sommes pas ici par hasard et 2° la conscience de notre appel prophétique. C’est ce que nous montre la vocation de Jérémie. Regardons cela ensemble.

La parole de l’Éternel me fut adressée en ces mots : Avant que je ne te forme dans le ventre de ta mère, Je te connaissais, Et avant que tu ne sortes de son sein, Je t’avais consacré, Je t’avais établi prophète pour les nations.

Avant que tu ne viennes au monde, Dieu te connaissais. Ta venue n’est pas le fruit du hasard. Ta vie n’est pas un accident. Ta vie n’est pas un aléa des circonstances. Ta naissance est un événement prévu, désiré, attendu dans l’agenda de Dieu. Et pas seulement dans son agenda, mais dans son cœur. Je te connaissais, te dit le Seigneur. Ce mot hébreu signifie : je te connaissais d’intimité, je te connaissais pas de te croiser au détour de l’histoire humaine, mais je te connaissais pour t’avoir aimé. Je te connais, je sais qui tu es, je sais ce qui t’habite, je sais tes craintes et tes aspirations. C’est un connaître issue d’un amour proche. Dieu nous a désirés. Il a voulu que notre naissance soit un événement pour lui, et qu’elle le devienne pour ce monde.

Cela suscite en nous une appréhension autant qu’une joie : l’appréhension de découvrir que si Dieu nous a voulus ce n’est pas juste pour que nous vivions égoïstement et confortablement notre vie. Si Dieu t’a voulu c’est parce qu’il a une bonne raison. C’est qu’il a une mission pour toi : avant que tu ne viennes au monde, je t’avais consacré. En hébreu : je t’avais mis à part. Comme le dit Römer, prof. d’Ancien Testament à Lausanne : être mis à part fait de toi un marginal[3]. Nous serions donc appelés à être des marginaux ?!…

Eh oui !!! Dieu ne nous met pas à part pour que nous chantions une berceuse à nos contemporains, mais pour que nous sonnions la diane. Oui nous sommes appelés à être marginaux par rapport au politiquement correct. Seuls les poissons morts suivent le courant, comme le dit le titre d’un livre[4]. Aucun prophète n’a suivi le courant. Aucun saint n’a suivi le courant. Aucun réformateur n’a suivi le courant. Aucun apôtre n’a suivi le courant. Et une Eglise qui suit le courant est morte, car elle a étouffé la vitalité prophétique que la présence du Ressuscité veut lui insuffler[5].

Avant que tu ne viennes au monde, je t’avais établi prophète. Littéralement : je t’ai donné prophète. Finalement, chacun de nous est don de Dieu au monde, comme je le disais lorsque nous avons parlé du minus appelé Mathias (cf. prédication du 4 févr. 2018). Don de Dieu. Nous ne sommes pas chrétiens pour nous-mêmes, nous ne sommes pas disciples pour nous-mêmes. Nous ne sommes pas sauvés pour nous-mêmes. Tout ce que Jésus a fait pour nous, ce n’est pas juste pour nous-mêmes. Il nous veut lumière du monde, pas lumière pour nous-mêmes. Il nous veut sel de la terre, pas sel de nous-mêmes. Jésus n’est pas venu pour que notre vie ait plus de saveur pour nous-mêmes, mais pour que nous apportions une saveur nouvelle au monde. Jésus lui-même est venu avec cette conscience-là : être le don de l’amour du Père pour le salut du monde.

Joseph a fait cette même découverte que Jérémie, tout en n’étant pas prophète-prédicateur. Joseph a assumé son rôle prophétique en croyant qu’au sein même de sa déception, au sein même de sa contrariété, au sein de ce qui aurait pu être son déshonneur, Dieu allait se manifester comme Dieu-avec-nous-qui-sauve-et-qui-libère. Joseph a cru que Dieu lui serait fidèle malgré tout. Et il s’est offert au Seigneur comme collaborateur à l’édification de son Règne.

Sans aucun doute, nous aurons envie de reculer face à l’appel que nous lance le Seigneur. Nous ne serons pas les 1ers. Jérémie a essayé de détourner le Seigneur de son dessein, arguant qu’il était trop jeune et mauvais parleur. Avant lui Moïse a fait de même, Gédéon aussi. A chacun Dieu répond : ne crains pas… je serai moi-même avec toi. A nous, Jésus dit : je suis avec vous jusqu’à la fin des temps.

Jérémie, Joseph, 2 personnages très ordinaires à la base, comme toi et moi. Joseph charpentier fiancé ; Jérémie prêtre célibataire. Mais les 2 vivent dans un temps de crise, crise de valeur, crise d’identité ; Jérémie vit une époque marquée par le culte de la fertilité et du rendement, une époque où les dirigeants sont prêts à vendre leur âme à l’Egypte ou à l’Assyrie quitte à assommer leur peuple d’impôts payés à des puissances soi-disant protectrices. Joseph vit sous la domination d’un tyran, Hérode, qui a vendu son âme aux Romains et à son goût du luxe et du pouvoir. Rien de neuf. Mais Joseph et Jérémie entendent l’appel du Seigneur au fond de leur cœur. Ils se prennent à rêver et à croire que le Seigneur est présent encore et encore… bien vivant, bien réel, bien vrai. Les 2 ont pris conscience qu’ils ne sont pas là par hasard : ils sont là pour faire une différence, ils sont là mandaté par le Seigneur pour être ses porte-paroles ou ses portes-actions ; ils sont là pour qu’il soit manifesté que Dieu n’a pas dit son dernier mot. Ce à quoi nous aussi sommes appelés.

Jésus dit à tous ses disciples : Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi, je vous ai choisis et je vous ai établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit durable. Et Paul d’ajouter : Recherchez l’amour. Aspirez aux dons spirituels, surtout à celui de prophétie (1Co 14,1).

Alors toi… où feras-tu la différence cette semaine ? Auprès de qui seras-tu canal de la présence et de l’action de Jésus ressuscité ?

Amen.

 

 

[1] Recherchez l’amour. Aspirez aux dons spirituels, surtout à celui de prophétie (1Co 14,1), nous dit Paul. Si Paul nous encourage à être des croyants prophétiques c’est que ça doit être important.

[3] Thomas Römer, Jérémie, éd. du Moulin, 2003, p.21.

[4] Alice Gautreau, Seuls les poissons morts suivent le courant, éd. Pygmalion, 2018. Alice Gautreau est sage-femme chez MSF.

[5] Dans certains milieux chrétiens charismatiques, le don de la prophétie est occasion de nourrir son égo. Mais dans la Bible, être prophète c’est aller à contre courant et donc ne pas être populaire. Aucun prophète n’a jamais nourri son égo dans la Bible : tous ont été malmenés par les adeptes de la mode du prêt-à-penser de leur temps.