
Prédication sur Jean 13,1-17
Lavement des pieds : humilité et miséricorde.
Bien-aimés du Christ,
Pourquoi sommes-nous, la plupart d’entre nous, réticents à nous faire laver les pieds à l’improviste ? Je me souviens de Siméa, une dame née sans bras, qui, lorsqu’elle venait animer une matinée dans mon catéchisme, saluait mes élèves en leur tendant le pied. Cela faisait bizarre de lui serrer le pied plutôt que la main. Pourquoi ? Pour nous, les pieds c’est la partie du corps qui touche le sol. A priori on pense que ce n’est pas propre. D’ailleurs quand quelqu’un enlève ses souliers devant nous, on a un petit sourire taquin comme pour dire : Hmm hmm!…, ça va sentir quoi ?
Pierre aussi est gêné de se faire laver les pieds par Jésus. Pourquoi les autres disciples n’ont pas protesté, eux ? Je ne sais pas. Mais, Pierre qui semble être assez sûr de lui proteste. Sans doute parce qu’il ne convient pas que le Maître adopte la position de l’esclave – laver les pieds étant le travail des esclaves. Mais, au-delà de cet aspect, Pierre ne serait-il pas gêné d’offrir ses pieds, tels qu’ils sont au regard attentif et aux soins de Jésus en en plus devant les autres? Ses pieds empoussiérés. Ses pieds blessés. Ses pieds peut-être déformés par l’âge, par la dureté des chemins parcourus. Un pied n’est pas toujours beau à regarder, n’est-ce pas?
Dans l’Antiquité, le pied a une forte valeur symbolique[1] : il est ce qui distingue l’homme des animaux car lui permettant de se tenir debout. Il est ce qui porte l’homme et lui permet d’aller vers autrui, et de s’assumer. Par la force des choses, à l’époque, étant moins protégés qu’aujourd’hui, les pieds sont davantage en contact avec les aspérités des chemins de la vie. C’est eux qui affrontent la dureté du chemin et s’y blessent.
Ce n’est pas anodin que Jésus lave les pieds de ses disciples et que Jean dise que par ce geste il leur a donné un signe d’amour extrême. Jésus s’intéresse à nos pieds symboliquement parlant : il s’intéresse à ce qui nous permet de nous tenir debout parmi les autres, d’aller à leur rencontre. Il sait que parfois ce que nous choisissons comme moyen de nous tenir debout parmi les autres, dignement pensons-nous, n’est pas toujours glorieux ; que c’est parfois blessé, ou que c’est devenu dur à force de rencontrer des aspérités sur les chemins de la vie. Et montrer à Jésus nos pieds symboliquement parlant est une marque d’humilité et de lucidité. Oser l’inviter à poser son regard sur ce qui me permet de me croire debout, digne parmi les autres. Lui permettre de laver ce qui est blessé. Lui permettre de soigner ce qui est malade. Oser dire au Seigneur : oui, là j’ai mal, là j’ai trébuché, là je me suis blessé, là je n’ai pas atteint mes objectifs, là je ne me sens pas à la hauteur, là ça sent pas bon dans ma vie. Jésus invite Pierre et nous à laisser tomber notre orgueil sous peine de ne plus rien avoir à faire avec lui.
Quand Jésus nous invite à nous laisser laver les pieds par lui, il nous accorde une attention pleine de bienveillance, pleine de grâce, pleine de prévenance. Il a lavé les pieds à Judas. C’est un geste plein d’espérance aussi. Jésus veut nous remettre debout comme les dignes enfants de Dieu et non pas dans une pseudo-dignité que nous nous inventons, qui nous blesse et nous enferme et qui blesse les autres. Cette pseudo dignité qui ressemblent à des chaussures nous protégeant, mais enfermant nos pieds qui finissent pas sentir, parce qu’enfermé.
Est-ce que je laisse Jésus laver mes pieds ? Certains diront : Oui oui, dans mon intimité avec Lui. Il se trouve que Jésus n’a pas agi dans l’intimité secrète de Pierre, il a agi de façon à ce que ce soit vu de tous. Ramener sans cesse l’action de Christ dans ma vie à notre relation personnelle intime avec Lui pourrait bien être une marque d’orgueil et de dissimulation.
Et Jésus va encore plus loin. Il nous dit de faire cela entre nous ses disciples. Qu’est-ce à dire ? Sinon être attentif à l’autre quand il nous donne l’impression de boiter. Pas pour le juger. Mais pour être soutien, pour l’aimer. Quand une personne nous semble boiteuse, n’entre pas dans nos cases… c’est que ses pieds sont blessés, à moins que ce soit notre regard qui soit faussé. Jésus nous demande d’être une communauté où l’on ne craint pas de se laver les pieds les uns des autres, c’est-à-dire de prendre soin les uns des autres, mais aussi d’oser laisser les autres prendre soins de nous. Se croire toujours en position de prendre soin d’autrui et ne pas accepter de dévoiler soi-même ses pieds blessés est une marque d’orgueil.
Permettre à l’autre d’être debout, dans sa dignité d’enfant de Dieu. Ne serait-ce pas là la mission de ceux et celles qui se disent chrétiens ? Ce fut en tous cas le fil rouge de la vie de Jésus.
Amen.
[1] Françoise Yche-Fontanel, « Les boiteux, la boiterie et le pied dans la littérature grecque ancienne », Kentron, 17-2 | 2001, 65-90.
Référence électronique : DOI : https://doi.org/10.4000/kentron.2099.