Prédication sur Galates 4,1 et 6-9/ 5,1 et 13-14 / Romains 8,9-17.

La Réforme: Zwingli ou quand l’amour façonne ma liberté.

En février dernier, on pouvait lire dans l’actualité que de plus en plus de Suisses renonçaient à leur héritage à cause des dettes du donateur qu’il faut aussi reprendre à son compte[1]. Ne pas vouloir être héritier.

Le Nouveau Testament nous dit que nous sommes aussi au bénéfice d’un héritage que Christ Jésus nous partage, à savoir héritier du règne de Dieu son Père, héritier du privilège d’être enfant de Dieu, héritier de Son Amour, et en particulier, héritier de liberté. En Jésus, nous héritons de la liberté que nous donne l’assurance d’être aimé, pardonné, accepté pleinement par Dieu – nous sommes libérés du légalisme et ou de devoir-plaire – ; et cette assurance nous est donnée parce que quelqu’un a offert sa vie pour nous, en toute gratuité, alors qu’il n’était pas supposé le faire : Jésus à la Croix. Le prix payé par Jésus à la Croix pour notre liberté nous révèle que pour lui, la liberté consiste à devenir à notre tour, volontairement et de bon cœur, porteur de bénédiction, de réconciliation et de justice là où nous sommes. Le prix payé par Jésus à la Croix, dans le renoncement à lui-même en notre faveur, nous indique que cette liberté, dont nous héritons, nous encourage à nous mettre à l’écoute obéissante du St. Esprit. Nous sommes héritiers en Jésus d’une liberté qui n’a rien à voir avec la liberté tant vantée par la société actuelle d’une réalisation personnel à tout prix.

C’est là aussi ce que les Réformateurs ont redécouvert. En 2019, nous fêterons les 500 ans des débuts de la Réforme zurichoise et Ulrich Zwingli sera à l’honneur. Zwingli est un homme intéressant car c’est après avoir découvert l’amour que Jésus a pour lui qu’il se met à étudier la Bible et à chercher à appliquer ce qu’il y découvre – Luther quant à lui fait le chemin inverse : il découvre l’amour de Jésus en étudiant la Bible. Etant rempli de l’assurance d’être aimé par Dieu, il prend alors conscience que cela lui confère une responsabilité sociale et une liberté réformatrice, une liberté qui ira à contre-courant des idées et valeurs généralement admises à l’époque. Je vous donne quelques exemples :

  • Zwingli devra quitter sa paroisse de Glaris pour avoir prêché contre le mercenariat, lequel est la principale source de revenu des Confédérés. En effet, les cantons louaient les services de leur régiment aux princes étrangers. Zwingli leur rappelle que les ancêtres ont lutté pour garder leur liberté et non pour s’enrichir[2].
  • Zwingli est ensuite nommé à Einsiedeln où il va prêcher contre les indulgences liées au culte marial. Là aussi, il se fera des ennemis.
  • Nommé alors curé à Zurich, il va, au nom de cette liberté reçue de l’amour de Dieu, s’opposer à l’obligation de jeûner durant le Carême. Lorsqu’il sera ennuyé par son évêque, il va simplement démissionner de sa charge de curé auprès de l’évêché et c’est la ville de Zurich qui va le réengager comme prédicateur. Zwingli se laisse guider par une liberté intérieure, il ne veut pas être prisonnier d’une structure.
  • Il va ensuite rediriger les revenus issus du culte des images et des couvents pour améliorer le sort des pauvres en finançant asiles, écoles et hôpitaux[3].
  • il réussira à convaincre les seigneurs de renoncer à une part de leurs revenus (un acte de liberté) en allégeant considérablement les impôts imposés aux paysans et évitera ainsi une guerre civile. En Allemagne, les seigneurs choisiront la guerre et le massacre de 100000 paysans.
  • Zwingli dira que la soumission à l’autorité est fondamentale, mais qu’elle s’arrête là où l’autorité exige d’aller contre la volonté de Dieu[4]. Et il ajoutait : Ce n’est pas à la majorité que la vérité est déterminée[5].

Vous me direz que tout ça c’est de la politique. Pas seulement. Quand la peste frappe Zurich, Zwingli est en cure à Bad Ragaz : il rentre immédiatement pour soigner lui-même les malades et attrape lui-même la peste – ça ce n’est pas de la politique. Il paie de sa personne. Son engagement est commandé par ce qu’il comprend de son héritage spirituel. Zwingli se sait héritier de la liberté que lui procure l’amour inconditionnel de Dieu – ça ne fera pas de lui un saint pour autant.

Nous aussi sommes au bénéfice de cet héritage de liberté, issu de l’amour de Dieu pour nous et pour le monde. Cette liberté que Jésus nous a procurée au prix de sa vie. Liberté qui nous engage sur un chemin de mise en conformité avec la volonté de Dieu, avec sa Parole révélée dans la Bible[6] et ce, au nom de l’amour de Dieu et du prochain. Zwingli dit joliment : Nous n’aurions pas besoin de loi si nous obéissions à ce commandement unique : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Liberté qui nous engage sur un chemin de service et parfois de renoncement à soi-même et voire de résistance face à ce qui veut nous enlever cette liberté.

Oui, en Jésus, nous n’héritons pas seulement de l’amour de Dieu pour nous, mais aussi de la responsabilité qui va avec, de le transmettre, et d’être instrument pour que cet amour transforme notre monde et soit en bénédiction.

Il est utile de savoir qu’un père de famille, dans l’empire romain, pouvait instituer quelqu’un héritier de ses biens et que ce quelqu’un avait alors pour mission de distribuer les biens du père de famille selon les instructions laissées par ce dernier. Cela peut nous aider à mieux comprendre l’idée d’héritier telle que Paul l’utilise. Chez nous, l’héritier dispose à son gré du bien reçu. Pas dans cette idée du droit romain où l’héritier gère la distribution des biens du défunt. N’est-ce pas conforme avec l’esprit du Nouveau Testament ? Nous n’héritons pas un bien propre, mais un bien commun à partager, à faire fructifier ; un bien commun avec lequel nous sommes appelés à façonner notre monde[7].

Christ Jésus attend de nous que nous soyons des héritiers adultes et responsables, c-à-d que nous ne pensions pas que tous Ses bienfaits sont là juste pour notre jouissance personnelle, mais que Ses bienfaits sont là pour façonner notre vie et notre société et que cela exige notre engagement. La tentation est grande de devenir des chrétiens refusant leur héritage par réticence de la responsabilité qui y est liée, et donc d’être des chrétiens dominés par l’esprit de ce monde.

L’Evangile a marqué le monde aussi longtemps que chaque chrétien avait la conscience que sa foi en Christ n’était pas une affaire privée. Notre foi est une affaire publique. Comme le dit Helmut Gollwitzer, théologien luthérien, ami de Barth: Dans la mission de l’Eglise et du chrétien, on ne fait pas de différence entre ce qui est important et ce qui est secondaire, on distingue tout au plus entre ce qui est au centre et ce qui est à la périphérie. Au centre il y a la foi, à la périphérie les œuvres ; au centre l’Evangile, à la périphérie la politique ; au centre le salut, à la périphérie le bien du prochain ; et la périphérie ne fait que refléter ce qui se passe au centre[8].

Notre foi a donc un impact public. Zwingli ajoute encore : Lorsque nous recevons une lettre d’un ami très cher, nous la portons toujours sur nous et nous la montrons à tous le monde. Pourquoi n’agirions-nous pas ainsi avec l’Ecriture Sainte ? Elle nous vient du Père  céleste qui l’a envoyée du ciel par Son Fils[9]. C’est pourquoi, autant que je le puis, je détourne les âmes de toute espérance trompeuses investies dans le monde matériel et dans les humains ; et je les appelle vers le vrai Dieu et son fils unique, notre Seigneur[10].

En Suisse, nous avons encore une chance extraordinaire: jouir d’une liberté qui fait pâlir d’envie nos voisins, liberté politique, liberté aussi de vivre notre foi et d’exprimer nos convictions. Profitons-en et interrogeons-nous : à qui ou dans quel engagement associatif pourrions-nous être appelé à faire briller l’héritage que nous avons reçu ? Y a-t-il un domaine où nous serions appelés à nous engager pour du changement ? Posons-nous la question dans la prière : Seigneur, tu m’as confié l’héritage de ton amour… à qui, où, comment suis-je appelé à le faire briller, à le transmettre? Je veux être un digne héritier de toi. Je veux être animé par la liberté que tu m’as donnée, cette liberté d’aller à contre-courant. Montre-moi où, comment, auprès de qui. Montre-moi lequel de tes biens, laquelle de tes bénédictions tu souhaites distribuer par moi et à qui… 

Amen.

 

1] https://www.rts.ch/info/regions/fribourg/9306301-de-plus-en-plus-de-suisses-refusent-un-heritage-par-peur-des-dettes.html Publié le 4 février 2018.

[2] Toutes les citations de Zwingli citées dans les notes de fin de pages sont tirées (sauf mention autre) de : André Bouvier, Zwingli d’après ses œuvres, in Revue de Théologie et de philosophie, cahier 80, année 1931, digitalisée par l’ETH (Ecole polytechnique fédérale de Zurich) dans e-periodica.ch.

Nos ancêtres n’ont jamais combattu pour de l’argent ; ils ont défendu leur liberté. (…). Le diable a suscité les seigneurs étrangers pour nous dire : vous serez comme dieu. Le souvenir des batailles de Naples, Novare, Milan et les pertes subies nous sont encore présent. Dans nos propres batailles, nous sommes vainqueurs ; au service étranger nous sommes souvent vaincus. (…). De plus, nous risquons tôt ou tard de tomber entre les mains de nos maitres. Gardons-nous de l’argent étranger qui nous écrasera tôt ou tard. Ne vous mettez point en souci pour la disparition de ces revenus étrangers, car c’est là une triste fortune qui conduit à la ruine. (p.213-215).

[3]  Bouvier écrit : Un des arguments de Zwingli contre le culte des images est que l’argent est « volé aux pauvres ». Le soin des indigents est le premier devoir de l’Evangile. Il supprime les Ordres mendiants et se préoccupe, dès 1520, du progrès moral du pauvre. Les biens des couvents sont administrés par l’autorité civile et consacrés à l’Eglise, à l’école et aux pauvres. Des bourses sont fondées pour les apprentis et les étudiants. Les vieillards ont une allocation, les malades sont assistés ainsi que les femmes en journées. On relève le salaire des pasteurs. On secourt les lépreux. A la campagne, les dîmes écrasantes sont supprimées ; le paysan se relève, l’artisan naît. Qui connaît la Zurich actuelle, est forcé de reconnaître que toute l’assistance moderne est en germe dans la cité du XVIe siècle. (p.230).

[4] Le pouvoir temporel ne s’accorde pas avec le pouvoir spirituel, et rien n’est affirmé dans l’Ecriture quant à leur fusion. (…).Nos devoirs à l’égard de l’autorité civile sont déterminés dans Romains 13, 1-7. Dès que les princes ordonnent une chose contraire à la vérité divine, ceux qui croient à la Parole de Dieu doivent préférer la mort à la servitude. Loin de vous, pieux gouverneurs, la pensée de lutter contre la loi de Dieu. (…).D’où vient la dette ?  De ce que nous n’obéissons pas au commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Si nous nous y tenions, celui qui a plus donnerait à celui qui a moins. Comme nous n’en tenons pas compte, les fruits et les biens de ce monde sont devenus propriété privée, et ce que Dieu nous a donné gratuitement, nous le gardons pour nous. Que lui payons-nous pour les biens qu’il nous donne chaque jour La propriété privée est donc un grand péché pour lequel Dieu nous condamnerait, si nous n’étions déjà pécheurs. Ce qu’il nous donne librement, nous le confisquons à notre profit ; le mendiant lui-même n’est pas exempt de ce péché.

La Parole divine doit valoir pour tous, être prescrite, prêchée et appliquée à tous. Nous devons tous la suivre, et seule la grâce toute-puissante de Dieu par Jésus-Christ subvient à notre faiblesse. Plus nous l’avouons, plus la confiance en Dieu grandit en nous, plus nous sommes dans Sa crainte. Comme il y en a cependant beaucoup qui n’obéissent point à la Parole, Dieu s’est abaissé à nous prescrire une loi humaine, afin de sauvegarder la sécurité de la société ; en outre, il a placé des gardiens qui veillent sur le dernier reste de justice terrestre qui subsiste encore. Ces gardiens sont la puissance légale armée du sceptre dont la fonction est de gouverner selon la volonté divine. C’est pourquoi son devoir est d’abolir tout ce qui est contraire aux commandements de Dieu ou à la justice humaine, en le déclarant impropre, injuste et faux. Nulle autorité n’a la puissance sur la conscience des humains. (p.224-225).

[5] Die große Zahl macht nicht die Wahrheit.

Quelqu’un ajoutait: C’est bien à la majorité absolue que Jésus fut condamné à mort.

[6] La Réforme luthérienne insiste essentiellement sur le salut et elle rompt avec Rome sur la question “comment sommes-nous sauvés?”. La Réforme zurichoise se centre sur la Bible et la rupture avec Rome se fait sur la question : “que dit exactement la Bible?”. Source : http://andregounelle.fr/histoire-des-idees/presentation-de-zwingli.php

[7] Ducos Michèle. Le droit successoral romain (première partie). In: Vita Latina, N°149, 1998. pp. 2-6. Progressivement, se développe une autre forme, mieux adaptée aux besoins de la vie courante, le testament per aes et libram, qui fait son apparition peu après la loi des XII Tables. À en croire le témoignage de Gaius, un citoyen qui se trouvait soudainement à l’article de la mort, alors qu’il n’avait pas fait son testament dans les formes mentionnées plus haut, pouvait vendre son patrimoine à un ami ; il lui indiquait en même temps ce qu’il entendait donner à chacun après sa mort (10). Ce type de testament s’inspire de la mancipatio, l’acte juridique permettant le transfert de la propriété. Comme elle, il requiert la présence de cinq témoins mâles et pubères, il suppose un porteur de balance, le libripens (ainsi qu’une balance et un lingot de bronze) ; figurent enfin le pater familias, qui est le testateur, et celui que l’on nomme le familiae emptor : l’acheteur du patrimoine. Le pater familias mancipait son patrimoine moyennant une faible somme au familiae emptor qui tenait lieu d’héritier, et il donnait également des instructions concernant la répartition de ses biens.

[8] Citation libre tirée de Jörg Zing, Approches, Brockhaus Verlag, Wuppertal, 1982, p.99.

[9] Cite par Gabriel Mutzenberg, La Réforme, vous connaissez ?, éd. Farel, 1985, p.121.

[10] Zwingli in Apologeticus Archeteles. Cité par André Bouvier, p.217.

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