Prédication sur Mt 18,18-35 et Eph 4,30-5,2 (4,32).
Les 4 clés du vivre ensemble le Royaume de Dieu.
En ce dimanche qui clôt l’année du jubilé de la Réforme, nous poursuivons notre méditation sur la question du pardon, mais en lien avec ce que nos pères dans la foi ont remis en lumière. L’intuition de Luther, qui a abouti à la Réforme, se fonde sur 4 affirmations (sola gratia, sola fide, soli Deo Gloria, semper reformanda – je ne parlerai pas du sola scriptura ce matin) qui, de mon point de vue, sont les 4 clés pour commencer à vivre la réalité du Règne de Dieu parmi nous. Ces 4 clés nous ouvrent un trésor. Vivre la réalité du Règne de Dieu ce n’est pas se bercer dans la nostalgie du passé ou d’un idéal inatteignable. Vivre la réalité du Règne de Dieu c’est vivre son irruption ici et maintenant, entre nous, de manière à ce que cela interpelle. Jésus au milieu de nous, si ça ne change pas quelque chose c’est que nous ne lui avons pas fait la place qui lui est due. Le Règne de Dieu c’est aujourd’hui, pas hier ; la Réforme ça doit être aujourd’hui, pas hier.
Jésus est venu pour nous réconcilier avec Dieu, insistera Luther. Mais cette réconciliation doit avoir un impact entre nous. Si Dieu règne, ça doit se voir entre nous. Et la vie entre nous n’est pas facile. Vivre avec les autres en communauté, en famille n’est pas facile, parce que c’est là qu’on ramasse des coups, donnés parfois volontairement, souvent sans faire exprès. C’est là qu’on blesse et qu’on est blessé. Et parfois, c’est pesant, décourageant, démotivant, voire révoltant.
Pierre nous ressemble : – Seigneur combien de fois dois-je pardonner?
– Sans limite, répond Jésus.
– Tu crois pas que t’exagères un peu Seigneur ?…
– Non !
Et Jésus de raconter cette parabole. Ce roi qui remet une dette de 570 millions de CHF (valeur actuelle des 10000 talents[1]) à cet homme qui exige ensuite le remboursement d’une dette de 300.- qu’une connaissance a envers lui. Dans cette parabole, le roi fait grâce d’une dette et cette grâce semble ne pas être reçue. Dans cette parabole, on trouve les 4 clés permettant de vivre la réalité du Règne de Dieu parmi nous.
La 1ère clé s’appelle Grâce. La grâce c’est ne pas donner à l’autre ce qu’il mérite… ou aller au-delà du donnant-donnant. Le pardon c’est une forme de grâce. Dans pardon, il y a par et don. Par c’est que tu trouves dans par-fait. Ce qui est par-fait, c’est ce qui est complet, il n’y a rien à ajouter à ce qui est par-fait. Le par-don c’est ce que tu donnes et à quoi il n’y a rien à ajouter car c’est le don des dons. On pourrait même dire que le pardon c’est le don qui te fait vivre. Le pardon c’est ce qui te fait chaque fois renaître. On le voit dans la parabole : le roi remet la dette à son serviteur… ce qui devrait lui permettre de renaître à une nouvelle vie. Le serviteur ne saisit pas l’occasion ! Il ne saisit pas la nature de la grâce. Il la refuse à son prochain pour une peccadille. Il la refuse en le jetant en prison… en prison, là où ce dernier ne pourra de toute façon pas le rembourser. Parce que refuser son pardon c’est ne rien gagner de toute façon, c’est juste perdre un frère, une sœur comme disait Jésus. Le refus de pardonner révèle aussi la folie de cet homme de ne pas reconnaître sa faillite devant le roi, faillite impayable, irréparable. Le refus de se reconnaître responsable pour ne pas dire coupable entraîne d’office le refus de pardonner car ce refus nourrit l’orgueil. Ceux qui pardonnent sont en général ceux qui ont su demander pardon.
La Grâce est ce qui fait revivre, qui fait renaître. La communauté chrétienne est appelé à être un lieu qui ressuscite les gens à la vie, à l’espérance, à la confiance… Quand ce n’est pas le cas, la communauté chrétienne est en faillite, sans crédibilité. L’Eglise persécutée grandit parce qu’elle vit cette réalité, portant assistance même à ses adversaires et elle interpelle. Que ferions-nous si nous étions persécutés, alors que dans notre petit confort nous sommes incapables de faire grâce à nos frères et sœurs ?
La 2e clé est la Confiance, la foi. Recevoir le pardon, le donner exige de la confiance. Le serviteur de la parabole ne croit pas du tout à la grâce que lui offre le roi. Recevoir la grâce c’est croire que je peux étaler mon ardoise et qu’elle sera effacée. Effacer l’ardoise c’est espérer en la renaissance possible de l’autre. La clé Confiance va de pair avec l’ouverture, la transparence. Une communauté qui veut jouer l’opacité, la cachotterie, la dissimulation reflète l’absence de confiance qui y règne. Opacité et dissimulation est ce qui caractérise ce monde corrompu par le fric et les intérêts individuels, par la soif de pouvoir. Je te défie de trouver Jésus pratiquer ces vices que le monde érige en vertu, parfois même dans l’Eglise, ou dans les familles et les couples. La confiance est ce qui encourage à grandir… à oser de nouveau… à oser encore et encore, à s’exercer à la relation… sachant que je suis regardé avec bienveillance, parce que je regarde aussi l’autre avec espérance. L’autre jour une catéchumène me disait que confirmer c’est demander au Seigneur de nous imbiber de Sa foi, de nous infuser sa Foi. Voilà ce que devrait être notre prière. Seigneur donne-moi la Confiance pour recevoir simplement l’amour que tu veux me donner et la bienveillance des autres. Donne-moi la Confiance qu’avec Ta Grâce rien n’est jamais perdu d’avance dans la vie, dans ma vie et dans la vie de mon prochain.
La Confiance c’est le contraire de vouloir prouver aux autres qui je suis… Dans la communauté chrétienne, nous ne devrions pas être de ceux qui jouent les gros bras… les gros bras du dernier mot, du pouvoir, de la sainteté, du plus spirituel… les gros bras du juge. Nous n’avons rien à prouver… rien à acheter, rien à payer… Notre dette est si grande devant Dieu et devant les autres… Nous n’avons rien à prouver.
La 3e clé est soli deo gloria, la gloire revient à Dieu seul. Nous le disons à la fin du Notre Père, mais le pensons-nous vraiment ?… Une Eglise qui fait vivre et fait renaître, une Eglise qui remet debout, qui rend courage et espoir est une Eglise qui interroge sur sa force de caractère surnaturelle et qui rend gloire à Dieu, le Roi qui nous a fait grâce, qui nous a faits revivre par sa Grâce. Tu peux enfermer l’autre dans tes non-pardons, tu peux aussi l’enfermer dans ta certitude d’être au-dessus de la mêlée, supérieur aux autres, d’avoir raison, d’avoir peut-être blessé et offensé mais avec raison, parce que c’est comme ça dans notre monde, parce que ton supérieur attendait cela de moi. Tu peux faire, comme le serviteur impitoyable, insulter la Grâce qui t’est faite en la refusant à d’autres. Le serviteur impitoyable est livré au bourreau parce que sa méchanceté a consisté à ne pas donner plus loin la Grâce qu’il avait reçue. Il s’est cru plus grand que le Roi, il a cru son honneur plus précieux que celui du Roi, sa blessure plus intense que celle du Roi mis en croix pour lui. Faire Grâce c’est faire briller la Gloire de Dieu. C’est la dupliquer. C’est la faire circuler. Dans le Règne de Dieu la Grâce circule avec Confiance car tout honneur et tout mérite en reviennent à Christ seul.
La 4e clé c’est la réforme constante, le semper reformanda comme on dit en latin théologique. Imagine une communauté, un Règne où chacun, chacune est intimement convaincu que la meilleure place à occuper est entre les mains du divin potier et de se laisser façonner. Car le Règne de Dieu est un Royaume où chacun est en route vers la sainteté, vers un renouvellement constant, vers une guérison constante, vers une reconstruction permanente de sa vie. Imagine une communauté où la seule fierté de chacun serait de se livrer au regard d’amour du Roi afin d’y chercher conseil et force pour progresser en amour, en humilité et en sainteté, en intégrité. Où la seule joie de chacun est de voir l’autre se relever et de lui aider.
Le Règne de Dieu est un royaume où chacun se réjouit des relèvements après les chutes. Imagine une Eglise qui vive cette réalité…
Jésus a dit que le monde ne reconnaîtrait pas ses disciples à leur morale parfaite, à leur confession de foi orthodoxe, à leur jubilé de la réforme, ou à leur fierté de protestants, mais uniquement à l’amour régnant entre eux. Là est la perfection que le monde attend de nous pour y voir le Règne de Dieu. Ce qui ouvre ce secret ce sont ces 4 clés appelés Grâce, Confiance, Gloire divine, Réforme de vie constante.
Vous aurez compris que parler du pardon ce n’est pas que se situer dans la peau de celui qui doit pardonner, mais aussi dans celle de celui a causé la douleur d’autrui et qui sait l’urgence qu’il y a à demander pardon pour que chacun, offensé et offenseur vivent la réalité du Règne de Dieu et de la guérison. Demander pardon et pardonner permet l’autre de guérir.
Ces 4 clés, on les tourne simultanément dans la serrure pour ouvrir la porte du Règne de Dieu. Deux mains ne suffisent donc pas. Nous avons besoin les uns des autres pour les tourner. Ces 4 clés sont celles du Feu du Royaume de Dieu, ce feu dont Farel souhaitait qu’il brûle sans jamais s’éteindre…
Amen.
[1] 1 talent = 60 mines = 180 aureis. 1 aureus = 8 gramme d’or. Donc 10000 talents = 10000 x 180 x 8 = 14400 kg d’or à 40000.- le kg = 576 millions de CHF.