Bulle 28/01/18 : Ne nous soumets pas à la tentation… une traduction en débat (Lc 11,1-4 ; Lc 22,39-46 ; Mc 1,9-13)

Chers amis, l’Eglise catholique ne dira plus « ne nous soumets pas à la tentation » mais « ne nous laisse pas entrer en tentation ». Nos églises cantonales se rangeront du côté de la nouvelle traduction… Aucune traduction ne sera pleinement satisfaisante. Mais la nouvelle traduction génère plus de problèmes qu’elle n’en résout ! Le verbe grec utilisé signifie « conduire dans, transporter, mener,  conduire, faire entrer dans». Ce n’est pas « soumettre » mais ce n’est pas non plus « laisser entrer »[1]. Cette traduction voudrait mettre Dieu hors de cause de toute tentation. Quand Jacques dit que Dieu ne tente personne, il dit que Dieu n’est pas à l’origine du mal (et ne le cautionne pas), on ne parle donc pas de la même chose. Alors pourquoi vouloir à tout prix éloigner Dieu de la tentation et la tentation de Dieu ?

  1. La tentation comme épreuve

Trop souvent la tentation à une connotation morale (être tenté par le chocolat, le sexe, le mensonge, l’argent…). Dans la Bible on ne parle pas des tentations morales, mais bien de la tentation comprise comme « épreuve ». Là où il y a foi c.-à-d. relation vivante au père, il y a tentation. ». Il n’y a pas de foi sans tentation. La tentation est une foi mise à l’épreuve, éprouvée, testée.

Le mot « testé » vient du latin testum qui désigne le creuset des alchimistes. La foi est éprouvée tel un métal précieux. Quand Paul dit « ainsi donc, que celui qui pense être debout prenne garde de tomber » (1 Co 10,12), il souligne que la foi n’est pas assurée une fois pour toutes. Notre foi peut à tout moment passer par le creuset de la crise : un deuil, la maladie, l’échec, etc. Dans ces circonstances nous sommes amenés à connaitre le doute, le désespoir, l’angoisse, l’illusion, la confusion. Il n’est pas exclu que parfois nous mettions un genou à terre. Mais l’épreuve à ceci de bénéfique : c’est qu’elle maintient la foi dans une dynamique qui la vivifie. Le creuset de la crise peut se révéler salutaire pour notre foi. Toute crise peut être une occasion de clarification, de mûrissement, d’approfondissement et même de croissance. Une crise peut m’amener à découvrir la compassion ou prendre conscience de mon orgueil, découvrir une autre image de Dieu ou révéler de fausses attentes…

Au Psaume 26,2 : « Examine-moi, Seigneur, mets-moi à l’épreuve, purifie au creuset mes reins et mon cœur ». David demande lui-même à Dieu d’éprouver son intégrité, son amour, sa loyauté, sa foi. De même quand Israël était dans le désert, Dieu a éprouvé l’attachement, la relation et l’obéissance de son peuple (Dt 8,2). Dans l’épreuve vais-je lui faire confiance et continuer à l’aimer d’un amour désintéressé ou l’abandonner ?

Si à Gethsémané les disciples doivent prier et non dormir c’est qu’ils auront besoin de force et de courage pour affronter la grande tentation : celle de nier ou non leur relation au Seigneur ; la tentation éprouve notre fidélité à Dieu et notre amour pour lui.

  1. Les tentations de Jésus

Jésus fut conduit par l’Esprit dans le désert pour y être tenté par le diable (Mt 4). Celui qui pousse Jésus au désert  pour y être tenté ce n’est pas le diable mais bien l’Esprit ! Et Jésus n’est pas tenté quand tout va bien mais lorsqu’il est seul, fatigué, affamé. Satan ne fait que se servir de ce genre de situation. Il veut le détourner de sa mission. Au désert, le diable propose à Jésus une vie de facilité, une royauté sans difficultés, une vie de gloire sans problèmes, sans tentation, sans épreuves !… Mais Jésus n’accepte pas d’être un Messie-Tout-Puissant-Aux-Super-Pouvoirs-Qui-En-Impose. Jésus préfère entrer dans sa mission selon la volonté de Dieu en acceptant la condition humaine.

Jésus n’est pas un surhomme qui plane au-dessus des difficultés des humains. A Gethsémané, il connait l’angoisse, la solitude, le doute, il tremble devant sa mort prochaine. Il ne va pas à la croix la fleur au fusil en disant « pas grave, je vais de toute façon l’emporter devant la mort, youpi » ! Si c’était le cas, devant mes problèmes je n’aurais qu’à me rassurer et me consoler en regardant l’exemple de la foi inébranlable de Jésus et nous ne parlerions plus de tentation ! Mais la foi ce n’est pas être immunisé contre le doute et  échapper à la condition humaine ! Même Jésus a été tenté, il a vécu la condition humaine et il a eu aussi besoin du secours de Dieu. Si Jésus n’avais pas traversé ce que nous aussi nous travers(er)ons nous ne pourrions pas nous identifier à lui.

Jésus est tenté dans sa foi, dans sa relation au Père. Un prof de théologie qui a écrit un article concernant la 6ème demande du NP explique que l’enjeu de Gethsémané c’est : est-ce que Jésus va accepter que Dieu soit son Dieu ou va-t-il désespérer de son destin mais aussi de Dieu ? Au cœur de l’épreuve il s’adresse à son Père : « Père, non pas que je veux mais comme tu veux ». Il ne demande pas à son Père de ne pas le laisser entrer dans la tentation. Il la vit, comme nous devons la vivre. Elle ne lui sera pas épargnée. Et nous ne demandons pas au Père de nous l’épargner. Mais nous prions qu’au cœur de la tentation, Dieu continue d’être notre Père, celui à qui l’on s’adresse et celui qui nous écoute[2].

  1. Le secours dans la tentation

Parce que Jésus a accepté sa condition humaine, le fait qu’il ait été éprouvé le rend capable de secourir ceux qui sont dans l’épreuve. En effet Hb 2,18 : « puisqu’il a souffert lui-même l’épreuve, il est en mesure de porter secours à ceux qui sont éprouvés ».

Nous nous adressons à Notre Père (pas un dieu qui manipule ses créatures). Un Père qui aime ses enfants qu’il n’abandonnera pas dans l’épreuve. Oui  Dieu est bon. Mais cela ne signifie pas qu’il ne laisse jamais rien de désagréable nous arriver.  Ce n’est pas parce que nous subissons l’épreuve que Dieu nous ne nous aime pas ou nous aime moins. Chaque croyant connaitra des moments difficiles à traverser. Nous ne demandons pas à Dieu d’être débarrassés de la tentation ni de nous l’éviter. Nous ne pourrons jamais ni la supprimer ni l’éviter. Mais au cœur de la tentation-épreuve, nous implorons Dieu de ne pas nous y noyer. Une prof de théologie dit ceci : « Ne nous soumets pas » peut être compris de façon littérale comme « ne nous mets pas dessous », donc « ne me laisse pas écraser par ». Autant dire « permets-moi de rester debout face à l’épreuve ».

Paul écrit (1 Co 10,13 ) : « Dieu est fidèle à ses promesses et il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces, mais au moment où surviendra la tentation, il vous donnera la force de la supporter et, ainsi, le moyen d’en sortir ». Dieu ne supprime pas les tentations, mais dans ces tentations nous proclamons notre confiance en la fidélité de Dieu. Dieu est au contrôle et c’est aussi rassurant. Et Il fera en sorte que ces épreuves restent à notre taille afin qu’elles ne nous submergent pas et surtout et il nous donnera la force et donc le moyen d’en sortir.

Chers amis, la tentation serait justement de douter de sa fidélité en allant chercher un refuge ailleurs qu’en lui. Au cœur de l’épreuve Jésus nous invite à garder les yeux sur lui. Jc 1 nous dit « heureux l’homme qui demeure ferme dans l’épreuve » et un peu avant « si votre foi résiste à l’épreuve, celle-ci conduit à la persévérance ». Cette notion de tentation est liée à celle de la persévérance de la foi. Une foi qui traverse les remous de l’existence car nous savons que celle-ci n’est jamais un « long fleuve tranquille ». Une foi en Notre Père qui ne demande qu’à être toujours plus vivante et renouvelée. Que Dieu continue d’être Notre Père. Amen

[1] http://www.unifr.ch/theo/assets/files/SA2017/Ne%20nous%20laisse%20pas%20entrer%20en%20tentation.pdf

[2] Lire ETR 2014/2. H.Ch. Askani, « une tentation à prix réduit ». https://archive-ouverte.unige.ch/unige:40624

 

Pour aller plus loin

Quand ai-je été éprouvé dans ma foi ? Comment m’en suis-je sorti ? Que m’a appris cette épreuve ? Quelle incidence sur ma relation/fidélité/confiance/attachement à Dieu ? Dirais-tu que cette épreuve a été bénéfique ? Pourquoi ? En quoi fut-elle occasion de clarification, mûrissement, d’approfondissement et même de croissance ?