Prédication sur Mt 5,1-5 / Mt 11,27-30 / Phil 4,5-6

Heureux les doux… pas les lavettes.

Chers amis,

A l’heure où j’écris cette prédication, j’ai la Gruyère du jour[1] sous les yeux, qui nous annonce que le Conseil d’Etat a pris des mesures pour enrayer la violence domestique qui semble faire de plus en plus de victime dans le canton. Violence qui a lieu dans la famille, violence parfois brutale et physique, mais le plus souvent psychologique – contrôle, intimidation, humiliation, etc. Triste réalité. Nous vivons dans une société qui a su camoufler et déguiser la violence de manière très subtile et perverse… mais qui, en fin de compte, reste très violente: violence exercée sur le lieu de travail par la pression, l’intimidation, les menaces, la peur et l’exigence d’une rentabilité toujours plus grande ; violence semblable à l’école; violence de nos gouvernements faisant la sourde oreille à ce qui se passe dans les bases du peuple ; violence de nos dirigeants vendus à la religion du profit et de l’argent au mépris des droits humains fondamentaux. Et cette violence dans la famille, dans les couples, entre ceux qui ont choisi de s’aimer. Pourquoi ? Notre modèle social, notre modèle du vivre ensemble semble être celui de l’affirmation de soi. Un article du Monde[2] dit ceci : A l’individu qui veut devenir quelqu’un, il est fortement recommandé de prendre la tête d’une « sorte de petite dictature de la République du Moi, une et indivisible, étrangère à toute idée de fraternité, d’égalité et de liberté ». En définitive, c’est le règne de l’orgueil et de la vanité, où chacun croit avoir le droit de s’élever au-dessus des autres[3].

C’est dans ce monde, notre monde que raisonne avec obstination la Parole éternelle de Dieu qui proclame : Heureux ceux qui sont doux, car ils hériteront la terre!

Heureux les doux. De quelle douceur parle Jésus ? Lui qui nous invite à venir à lui avec nos fardeaux et à nous laisser instruire par lui car il est doux et humble de cœur et qu’ainsi nous trouverons le repos.

L’autre modèle d’homme doux donné par la Bible est Moïse.

Jésus et Moïse, pas vraiment des lavettes. 2 hommes de caractère, 2 leaders, 2 hommes qui ont façonné l’histoire. Qu’est-ce que cette douceur ? Ce n’est pas une tendance naturelle, une prédisposition de tempérament. Je crois que c’est souvent le résultat d’un cheminement. D’un cheminement où nous apprenons petit à petit à laisser à Jésus nos fardeaux, ces poids que nous traînons avec nous et qui nous fatiguent dans notre marche. Ces fardeaux qui sont le résultat d’une volonté de maîtriser l’avenir, de maîtriser l’autre dans son devenir, de faire entrer le monde de force dans l’idée que je m’en fais, d’obliger les autres à me suivre sur le chemin que j’estime être juste et servir mes intérêts… au mépris de l’intégrité et de l’altérité de l’autre. Nous portons des fardeaux, résultats du fait que nous ne respectons plus l’autre pour qui il et que nous voulons le faire entrer dans notre moule coûte que coûte. En mots tout simples : la violence de m’imposer à l’autre. Jésus ne s’est jamais imposé à qui que ce soit. Jésus n’a jamais obligé les autres à le suivre. Jésus n’a jamais obligé les circonstances à entrer dans son plan. Jésus avait une telle confiance en son Père qu’il ne ressentait pas le besoin de s’imposer, de convaincre à tout prix, de faire servir le monde à lui-même. Jésus était doux car son autorité et sa force respectaient l’autre dans son altérité et recevait l’autre dans son altérité. Jésus était doux car il savait son avenir et le devenir de ceux qu’il croisait dans la main de son Père. Jésus était doux, non parce qu’il était un lâche, se retirant dans sa coquille face aux injustices et à la souffrance… Non, il savait dénoncer ce qui était injuste. Il savait proclamer une vérité qui dérangeait. Mais sans pression, sans manipulation. Sa douceur émanait d’un refus de la violence exercée par le jugement sur autrui. Sa douceur émanait d’un refus de la peur de l’avenir. Sa douceur issue de sa confiance profonde lui permettait d’accueillir l’autre comme il/elle était. Sa douceur lui permettait d’accueillir même l’opposition, comme celle de ce village n’ayant pas voulu le recevoir et que les disciples auraient aimé pulvériser avec le feu céleste.

Vouloir plier le monde à nos désirs et nos attentes, vouloir plier les autres à nos exigences, fussent-elles chrétiennes, spirituelles, justes… cela posent un fardeau sur nous, cela produit une fatigue. La violence est la plupart du temps fruit d’une volonté de contrôle et de coercition, ou de la peur. Si nous vivons tendus et prétentieux face aux autres, nous finissons par être fatigués et épuisés, dit le pape François[4]. Réfléchis un instant si ce n’est pas vrai. Que de poids ne nous mettons-nous pas sur les épaules à force de croire que nous pouvons juger les autres et maîtriser toutes les circonstances ? Des poids qui se transforment en violence plus ou moins subtile, plus ou moins brutale… dont souffrent ceux qui nous entourent, mais aussi nous-mêmes en fin de compte.

Jésus veut nous partager sa douceur qui procure le repos. Sa douceur qui jaillit de cette confiance que Dieu est maître de toute situation. Le Seigneur est maître de ton devenir, et de celui de ceux et celles qui t’entourent. Le Seigneur va s’occuper de ce qui te préoccupe, tu n’as pas besoin d’exercer une forme de violence sur les autres pour arriver à tes fins. Laissons le Seigneur façonner les autres à son image et cessons de vouloir les façonner à notre image : c’est trop lourd… Laissons le Seigneur conduire notre histoire. Notre impatience est parfois source de violence. La douceur de Jésus s’exprimait dans un respect total de la liberté d’autrui, dans l’acceptation de cette liberté. Bien sûr, Jésus avait cette douceur en lui car il se savait aimé de Dieu son Père, il savait d’où il venait et où il allait. Nous… pas forcément. Nous, nous sommes appelés à découvrir et à croire que l’amour de Christ est notre source et notre destinée. A faire confiance. Je le dis aussi pour moi. Pas baisser les bras, mais laisser au Seigneur l’issue de la situation qui nous pèse, l’issue de la vie de celui ou celle qui nous fait obstacle. La douceur s’appuie sur le fait que Dieu sait mieux que nous, que le temps de Dieu est plus adapté que le nôtre, que la manière de Dieu de faire évoluer situation et personne est plus adéquate que la nôtre. Je me souviens de ce paroissien décédé qui dirigeait une entreprise suisse à Rio et qui me racontait qu’un jour un fonctionnaire du fisc est venu inspecter son parc industriel et a ensuite surtaxer l’entreprise. Le paroissien disait : Faire recours inutile, s’énerver inutile, vu la corruption du système ; je lui ai dit de repenser à sa taxation en âme et conscience, de revenir la semaine suivante et qu’on paierait sans discuter le montant qu’il aurait évalué. La taxation fut revue de manière correcte. Douceur d’un homme qui croyait à l’action de Dieu dans ses circonstances et dans la vie de son prochain, fût-il antipathique.

Notre monde a besoin de redécouvrir des espaces de douceur. La communauté chrétienne est appelée à en être: un lieu d’acceptation, lieu de confiance, lieu de patience. Une communauté empreinte de douceur ne manquera pas d’interpeler par sa liberté à accueillir, et par la fermeté de son message et de son être. Parce que la douceur, une fois encore, n’est pas une démission. C’est pour ça que Jésus dit en araméen: Debout, en marche, ceux qui sont doux, car ils hériteront la terre[5].

Amen.

 

P.S. : Notre monde, même la création souffre de violence. L’illustration contraire de cette béatitude : Heureux les doux car ils hériteront la terre. La manière violente d’exploiter les sols de notre planète conduisent à leur épuisement. Etrange que les Eglises se soient refuser à soutenir les initiatives soumises au vote du peuple suisse le 23 sept. 2018, pour une agriculture douce préservant notre terre. Sans doute ont-elles eu peur de l’intimidation exercée par Mamon et les lobbys de la finance, à moins que ce soit par habitude de chanter la mélodie de la pensée majoritaire.

 

[1] Edition du 4 sept. 2018.

[2] Sylvie Coral, journaliste à Le Monde, cite Stéphane Audeguy, auteur de Petite éloge de la douceur, dans un article paru le 27 oct. 2013 et consulté sur : https://www.lemonde.fr/livres/article/2007/10/11/petit-eloge-de-la-douceur-conjuration-de-la-douceur_965608_3260.html

[3] Pape François, La joie et l’allégresse, éd. Cerf 2018, p.48.

[4] La joie et l’allégresse, p. 49.

[5] Je rappelle que Chouraqui traduit heureux, par debout, en marche.