Prédication sur Pro 27.19 et Mc 20.21 et Ps 27.8

Visage.

Prédication introduite par le clip d’Amnesty[1] « l’humanité surgit d’un regard ».

Chers amis,

Le philosophe Emmanuel Levinas dit ceci : Le visage signifie la proximité de l’autre ; il est ce qui nous interdit de tuer[2]. Une personne qui devient un visage pour nous, dont on regarde le visage, devient un être à part, unique et non pas juste quelqu’un quelconque. Le visage regardé, contemplé est ce qui transforme l’autre en une personne. Ce n’est pas pour rien quand, dans les systèmes totalitaires, l’opprimé n’a pas le droit de regardé ses oppresseurs dans les yeux : ces derniers risqueraient de se rendre compte qu’ils ont une personne en face d’eux. Lévinas ajoute encore : Le visage est une altérité qui ouvre l’au-delà. Le Dieu du ciel est accessible[3]. Ou dit simplement, dans un visage se reflète la marque du Tout-Autre, de l’Autre dans ce qu’il a de plus précieux, son unicité.

Nous avons parfois tendance à penser que pour Dieu nous n’avons pas de visage ; qu’Il nous considère en vrac, comme juste un pion de l’immense humanité[4]. Que nous sommes juste un anonyme pour Lui.  Alors qu’il n’en est rien. Le baptême est l’expression visible du lien unique et très spécial que le Seigneur veut établir avec nous. Au moment de son baptême, Jésus entend cette voix : Tu es mon fils bien-aimé en qui j’ai mis toute ma joie[5]. Quel lien personnel et précieux, tout le contraire d’être un sans-nom! Dans l’Antiquité on désignait les esclaves par un mot signifiant un sans-visage[6]. En tant que fils et fille, nous avons donc un visage pour Dieu. Un visage sur lequel il peut lire notre histoire. Une histoire que nous-mêmes ne parvenons pas toujours à cerner, bien qu’elle soit la nôtre. Je pense à cet homme que Jésus regarda longuement et aima, bien qu’il ne soit pas prêt à Le suivre et à devenir son disciple. On lit : Jésus l’ayant regardé, l’aima. Le grec dit : Jésus ayant posé son regard sur cet homme de manière à voir dedans[7]. Et c’est intéressant, on retrouve le même verbe quand Jésus regarde Pierre qui vient de le trahir. Comme pour dire : Quand ça ne va pas, quand ma foi faiblit, faillit, lâche… Quand je ne suis pas à la hauteur… là, Jésus pose son regard qui pénètre jusque dans mon plus intime. Avec amour… car il voit tout ce que contient et cache mon visage, d’histoire, de difficultés, et aussi de joie et de bonheur.

J’aime que l’évangile dise que Jésus pose ce regard qui va au-dedans de nous quand nous lui disons non, quand nous lui disons non pour x raisons, soit parce que c’est au-dessus de nos forces de dire oui, soit parce que nous sommes fatigués, découragés… que nous n’arrivons pas à croire, etc. Il regarde jusqu’au plus profond de nous avec amour, et voit ce que nous ne voyons pas, ce que les autres ne voient pas – et les autres parfois nous jugent dans nos moments de faiblesse. Jésus, lui, regarde au-delà des apparences.

Parce que nous avons un visage unique et précieux pour le Seigneur, parce que nous ne sommes pas des sans visages pour Lui, Il nous invite, à notre tour, à regarder le visage des autres afin qu’ils deviennent des personnes uniques et précieuses pour nous. Comme aussi l’a montré le clip d’Amnesty International montré en ouverture. En effet, le visage est souvent le chemin vers le cœur de l’autre.

Mais il y a encore un autre aspect. Dans la Bible, nous sommes appelés à chercher la face de Dieu, le visage de Dieu. Cherchez ma face, dit le Psaume 27. Cherchez mon visage. Quel est le visage de Dieu ? Jésus nous dit qu’Il est le visage même de Dieu. Jésus, l’homme, visage du Dieu invisible. On se demande parfois comment est Dieu, qui est Dieu. Regarde Jésus. Contemple Jésus.

Jésus c’est le doux regard de Dieu Tout-Puissant, Créateur de l’Univers, qui se penche vers toi… Ce doux regard qui se pose sur toi non pas rempli de sa toute-puissance écrasante et intimidante, mais qui s’est dépouillée de tout ce qui fait obstacle à notre rencontre avec Lui. Ce regard de compassion qui souffre avec nous jusqu’à la mort.

Jésus c’est le visage lumineux de Dieu qui se tourne vers nous, au sein de nos difficultés, lumineux de sa victoire sur la mort à Pâques, lumineux de cette confiance qu’il y a un chemin devant nous ; qu’il y a une promesse devant nous ; qu’il y a la vie devant nous, par delà ce qui boucherait ou étriquerait notre horizon du moment.

Jésus c’est le visage endoloris de Dieu qui se prend par ricochet tous les coups que l’on se donne les uns aux autres. Et qui pardonne.

Cherchez ma face, mon visage, dit Dieu.  En Jésus tu découvres le visage de Dieu qui n’est pas ton ennemi, ni ton adversaire. Tu découvre le visage de Dieu qui est pour toi. Et pour toi ça veut d’abord dire avec toi, en toi.

Priver notre prochain de visage c’est nous donner la possibilité de l’éliminer symboliquement et parfois physiquement[8]. Priver Dieu de son visage c’est ce qui nous conduit à le réduire à rien, à une fantaisie de l’esprit. Mets un visage sur ton prochain, en particulier sur celui ou celle que tu aimerais éliminer… et tu verras que ça va changer.

Contemple Jésus le visage de Dieu dans les Évangiles… Et tu le verras te faire signe. Plus encore… Tu découvriras que toi… Oui toi… Tu as un visage dans ses yeux à lui[9]. Et il se pourrait que ça change quelque chose pour toi.

Amen.

[1] https://youtu.be/_YW3hmIjzGE.

[2] Cité in Panorama n° 561, avril 2019, p.26.

[3] Idem.

[4] Ac 3:4  Pierre, de même que Jean, fixa les yeux sur lui et dit : Regarde-nous.

Jn 1:42  Il le conduisit vers Jésus. Jésus le regarda et dit : Tu es Simon, fils de Jonas : tu seras appelé Céphas –– ce qui se traduit : Pierre.

Lc 22:61  Le Seigneur se retourna et regarda Pierre. Et Pierre se souvint de la parole que le Seigneur lui avait dite : Avant que le coq chante aujourd’hui, tu me renieras trois fois.

[5] Mt 3:17  Et voici qu’une voix fit entendre des cieux ces paroles : Celui–ci est mon Fils bien–aimé, en qui j’ai mis toute mon affection.

Mc 1:11  Et une voix se fit entendre des cieux : Tu es mon Fils bien–aimé, objet de mon affection.

Lc 3:22  Et l’Esprit Saint descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe. Et il vint une voix du ciel : Tu es mon Fils bien–aimé, objet de mon affection.

[6] Panorama n° 561, avril 2019, p.21.

[7] emblepw

[8] Quand le prochain, pour nous, devient réellement le prochain, que nous le voyons, que nous l’entendons, faisant nôtres ses souffrances nous réjouisant en vérité de ses joies ; quand un voisin n’est pas une parole vide, quand un voisin a un nom,un visage, une histoire ; quand n’importe quelle personne est quelqu’un pour nous, notre reglion descend des nuages, elle s’incarne. Dom Helder Camara, cité dans Paroles et Textes, 2 mai 2019.

[9] Quand tu as besoin de moi, Je suis là.

Même lorsque tu me renies, Je suis là.

Même lorsque tu es perdu, Je suis là.

Lorsque tu as peur, Je suis là.

Lorsque tu souffres, Je suis là.

Je suis là lorsque tu pries

et Je suis là lorsque tu ne pries pas.

Je suis en toi et tu es en moi.

James Dillet Freeman cité dans Paroles et Textes 3 mai 19