Prédication sur Dt 8,12-18a / Jcq 4,6-12 et 1Pi 5,5-7.

Balises pour se situer face aux évolutions sociétales (2e partie).

Bien-aimés du Christ,

Jacques Ellul écrit : Nous sommes partis à une vitesse sans cesse croissante vers nulle part. Le monde occidental va très vite. De plus en plus vite, mais il n’y a pas d’orbite où se situer[1]. Et s’il n’y a pas d’orbite, il y a risque de dérapage. On peut naïvement suivre le mouvement général, mais ce n’est pas la vocation du chrétien : le chrétien est appelé à être vigilant, à être réveillé, à avoir les yeux grands ouverts, et à oser être critique. Et pour cela, il a besoin de discernement. Je vais donc poursuivre mon propos débuté il y a un mois.

Nous vivons dans un monde qui valorise la compétitivité, la croissance, la productivité, la rentabilité, le profit, la rapidité… bref… le toujours plus, plus, plus… L’échec est devenu une tare… alors on le nie. Le Secrétariat à l’économie se félicite que la Suisse connaisse le plein emploi et même connaisse une pénurie de main d’œuvre, et on oublie tous ces chômeurs en fin de droit, souvent âgés qui désespèrent devant les refus répétés qu’ils encaissent. D’où viennent les valeurs que j’ai mentionnées ? A mon avis, d’une conviction très profonde que l’homme est ce qu’il se fait, que l’homme se fait lui-même… que l’homme n’est que le produit de son propre effort ; que sa réussite, il ne la doit qu’à lui-même. Il y a une oblitération quasi complète du fait que nous ne nous faisons pas nous-mêmes, que nous vivons en interdépendance avec notre environnement, avec notre prochain, ici et au loin. Il y a une oblitération quasi-totale que notre souffle nous le devons à Dieu, nous le recevons de Lui. Et cela porte un nom : l’orgueil, le péché ou le mal qui est à la base de tous les autres.

L’orgueil m’empêche de me recevoir de Dieu, il m’empêche de voir ma vie comme un cadeau reçu d’un autre, de l’Autre. Il m’empêche de voir mon existence comme un maillon dans une grande chaîne de solidarité. C’est ce que j’appelle le syndrome de Canaan. Dieu a averti les Hébreux de ne pas oublier que leur vie, leur existence, leur réussite, leur bien-être ne dépend pas d’abord de leur propre force. Garde–toi de dire en ton coeur : ma force et la vigueur de ma main m’ont acquis ces richesses. 18 Tu te souviendras de l’Éternel, ton Dieu, car c’est lui qui te donne de la force pour acquérir ces richesses (Dt 8,17-18). Tant qu’ils étaient dans le désert, dans la précarité, ils se savaient à la merci d’un plus grand qu’eux, ils se savaient dépendre de l’Eternel Dieu. Mais… une fois installés en Canaan… sédentarisés, chez eux…

Le syndrome de Canaan est toujours bien vivant. Cela nous dit quel esprit est à l’œuvre derrière ce système du toujours plus. Mais cela doit aussi attirer notre attention sur notre propre vie : es-tu, suis-je atteint du syndrome de Canaan ? De l’orgueil de croire que je me fais moi-même, que je ne dépends pas de la bonté de Dieu ?

L’orgueil et le syndrome de Canaan a pour corollaire de favoriser l’égocentrisme, mais aussi la peur de perdre ce que je crois avoir acquis par ma propre force. Cela me conduit à voir l’autre comme une menace. C’est intéressant de voir que le péché d’orgueil d’Adam et Eve, qui veulent se débarrasser de Dieu, qui ne veulent plus recevoir leur existence des mains de Dieu, entraîne une génération plus tard, le péché du meurtre, de l’élimination de l’autre vu comme rival, chez Caïn.

A quoi assiste-on aujourd’hui ? On a idolâtré la réussite, le profit, la productivité, etc… En Occident, nous n’avons jamais aussi bien vécu matériellement parlant. Pourtant, on assiste à une montée des extrémismes contestant ce système, à une radicalisation de ceux qui contestent ce système, et qui se disposent même à la violence. Que fait-on en retour ? On déclare des propos hors la loi et on interdit des symboles avec cette illusion qu’ainsi on éradique une idéologie. Qu’est-ce que je veux dire par là ? C’est qu’on a 2 approches qui s’éliminent mutuellement, symboliquement ou violemment. On s’anathémise mutuellement.

C’est une autre caractéristique de notre époque. On anathémise celui qui ne pense pas comme nous, qui n’est pas du même bord que nous. Cela saute aux yeux dans les conflits en Ukraine et à Gaza. Cela se manifeste dans la problématique lgbtq et dans celle du climat.

Parfois, nous, chrétiens tombons dans le panneau d’anathémiser qui ne croit pas comme nous. Soyons vigilant. Vigilant car nous le faisons en croyant être ainsi fidèle à notre foi, à notre Seigneur…

Orgueil, égocentrisme et radicalisation du refus de l’autre et de ce qu’il représente vont ensemble. L’orgueil entraîne un esprit de jugement qui exclut l’autre devenu menace. L’orgueil fausse ma vision de l’autre et de la vie, il met une poutre dans mon regard.  

Nous chrétiens sommes appelés à questionner ce modèle par notre vie, par la qualité de notre vivre-ensemble, par ex. dans notre communauté qu’est l’Eglise ; questionner ce modèle par l’humilité. Qu’est-ce que l’humilité dans ce contexte ? Je crois qu’il y a 3 aspects à l’humilité.

Le 1er concerne notre relation à Dieu. Recevoir ma vie de Lui. Etre reconnaissant et confiant dans Sa Fidélité. C’est pour ça que Pierre lie humilité et remise de nos soucis à Dieu. Parce qu’il est la source de notre vie, parce qu’il est ce Père aimant qui connaît nos besoins véritables. Parce qu’il est notre Consolateur, celui qui nous assiste, notre appui, notre soutien, notre Providence. Sans lui, nous ne sommes rien. En lui nous avons la vie, le mouvement et l’être, comme dit Paul (Ac 17,28). Il prend soin de toi. Ce qui n’exclut pas que tu donnes le meilleur de toi-même là où tu es engagé, confiant que le Seigneur prend soin de toi et veille sur toi.

L’humilité me fait aussi balayer devant ma porte en 1er lieu, m’occuper de ce qui ne va pas chez moi[2]. L’humilité fait que je sais être redevable du pardon de Dieu. Elle fait que je sais que je n’ai pas tout compris. L’humilité me permet d’oser reconnaître que je suis parfois irrésolu, comme dit Jacques[3], irrésolu, c-à-d divisé, vacillant, doutant. Que l’autre a aussi le droit de l’être. Que je suis conscient que je peux me tromper dans ce que je crois être juste.

Dans ma relation à l’autre. L’humilité me conduit à me soumettre. Ce mot est mal compris aujourd’hui. En grec on l’utilise pour dire se placer derrière l’autre. Laisser la préséance à l’autre. Accorder à l’autre de l’importance. Le dictionnaire de la BibleOnLine dit que ce mot contient l’idée de porter volontairement ensemble une charge, une responsabilité, en en langage militaire grec de placer un corps sous un chef, un corps formé de nombreux soldats qui vont travailler ensemble. Se soumettre les uns aux autres c’est se sentir solidaire dans une destinée commune. Au-delà des différends qui nous séparent. C’est peut-être accepter de se recevoir de l’autre, que je ne me fais pas sans les autres.

Troisièmement. L’anathémisation de l’autre n’a plus cours. Je peux accueillir l’autre dans sa différence. Ça ne veut pas dire que je dois être d’accord et que je cautionne ce qu’il fait ou pense, ça veut juste dire que je l’accueille. La Confédération a publié un document pour prévenir la radicalisation des jeunes où elle relève qu’une raison qui pousse des personnes à se radicaliser dans une idéologie c’est qu’elles se sentent marginalisées, exclues, rejetées du système[4]. Peut-être avons-nous un rôle à jouer, comme chrétiens… Etre une communauté ouverte, à l’écoute. Ce n’est pas toujours facile, j’en conviens. Et ça commence pour chacun de nous dans notre cercle familial ou d’amis ou de voisins.

Comme paroisse, l’humilité implique aussi d’accueillir les nouveaux qui font peut-être pas les choses comme on les a toujours faites, qui ne chantent pas forcément comme on a toujours chanté, qui ne voient pas les choses comme on les a vues jusqu’ici.

En cela nous suivrons l’exemple de notre Seigneur Jésus-Christ. Il dépendait de son Père, son identité, son image propre, son estime de soi ne dépendait pas de ses performances, ni des applaudissements, ni de sa productivité. Il tirait sa substance de l’Amour de Dieu son Père. Son humilité est allée très très très loin. Jusque sur la Croix. On y revient sans cesse, n’est-ce pas ?… Jésus… Seigneur… Crucifié… Sagesse de Dieu, Justice de Dieu, Puissance de Dieu… mais Crucifié pour se révéler tel. Jésus n’a anathémisé personne. Jésus offre de porter avec nous nos fardeaux – acte de soumission. Il nous a donné la préséance à la Croix. Et il nous dit qu’ainsi il nous donne la Paix, la Paix, mais pas comme le monde sait la donner. La paix de se savoir dans la main d’un Dieu aimant, la paix qui vient du renoncement à condamner autrui, la paix qui va au-delà de nos raisonnements humains. Une paix qui peut faire tâche d’huile.

Amen.


[1] Citation de Ellul tiré de Trahison de l’Occident, prise sur https://www.babelio.com/auteur/Jacques-Ellul/32817/citations?a=a&pageN=1

[2] On sait bien comme c’est chez les chefs d’Etat : quand ça ne va pas chez eux, ils inventent une guerre contre un ennemi extérieur.

[3] Jacques 1,8

[4] Cf. DISCOURS DE PRÉVENTION DE LA RADICALISATION SUR INTERNET, Programme national de promotion des compétences médiatiques. Office fédéral des assurances sociales (OFAS) www.jeunesetmedias.ch

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