Prédication sur Da 2

La mission du chrétien face à la modernité

Il y a 3 semaines, nous avons médité le chapitre 1 de Daniel. La suggestion d’un paroissien de traiter le thème le chrétien face au défi de la modernité a trouvé écho en moi quand je lisais le livre du prophète Daniel, jeune Israélite déporté à Babylone suite à la défaite de Juda face à Nabuchodonosor. Daniel est alors formé pour intégrer l’élite babylonienne. Il entre dans ce processus de formation (on l’a vu au chap. 1) tout en restant intègre dans sa foi en l’Eternel, le Dieu d’Israël. Il est le seul prophète de l’AT à servir des rois étrangers, 6 rois babyloniens et 1 roi perse, sur 80 ans.  Il intègre l’équipe des conseillers du roi, chargés d’interpréter pour lui le sens des événements et surtout le sens de ses rêves. A l’époque il est admis que les dieux parlent par les rêves.

Si le chapitre 1 de Daniel nous donne des pistes pour nous aider à rester intègre dans notre foi et notre identité chrétienne au sein de la modernité et de tous ses changements – ce que nous avons vu il y a 3 semaine, vous retrouvez cela sur le site internet de la paroisse –, la suite nous éclaire sur le rôle du prophète Daniel et donc aussi sur le rôle que nous avons à jouer au sein de la modernité.

Daniel se met au service de son temps. Jésus aussi est venu pour se mettre au service de ce monde en donnant sa vie pour nous. Et il nous envoie à notre tour servir ce monde. Quelle est la spécificité de notre service, de notre contribution à ce monde ? Daniel nous indique 4 éléments, que nous retrouvons chez Jésus tout au long des évangiles.

La 1ère chose à observer c’est que Daniel se sent totalement solidaire de son monde et de ses collègues. Il ne se place pas au-dessus. Il subit les mêmes événements qu’eux. Et il agit avec cette humilité. Il ne donne pas de leçon à ses collègues, ni au chef des gardes. Il demande juste un délai pour répondre à l’exigence du roi. Jésus aussi ne s’est pas mis au-dessus de nous. Il a assumé notre humanité jusqu’à la mort. Pourquoi nous croirions-nous meilleurs qu’eux, meilleurs que ce monde ? Notre service ne sera authentique que pleinement solidaire avec le monde. Notre service n’aura d’impact que si nous sommes absolument convaincus de notre solidarité avec ce monde. Ce que le monde souffre, nous le souffrons. Ce qui est défi pour ce monde l’est pour nous. C’est le sort de tous les prophètes : souffrir avec le monde, souffrir comme les autres. Cette souffrance et cette solidarité nourrissent notre compassion, notre prière. Ce qui se passe dans le monde nous concerne, nous touche.  MAIS…

La 2e chose à observer c’est que Daniel se sent absolument libre face aux références de pensée et de croyance de Babylone. Ce qui oriente sa compréhension des événements c’est sa foi en l’Eternel. Comme je le disait il y a 3 semaines, il ne mange pas dans la main de la spiritualité chaldéenne, ni dans la main du roi. Encore une fois, j’insiste, il se tourne avec ses compagnons de captivité vers Dieu. Il s’arrête, en communauté, il prie. Il n’est pas dans l’urgence : il demande un délai. En plus de cela, Daniel est absolument libre du souci de dire au roi ce qu’il a envie d’entendre. Il n’est pas opportuniste. Le fait de savoir que le Seigneur est en dernier lieu maître de ce monde, maître de l’histoire, maître des circonstances, c’est-à-dire que tout ça n’est pas hors de son regard ni hors de sa préoccupation d’amour pour nous… le fait de savoir cela nous invite à la non-précipitation. Les solutions à l’emporter ne sont pas le truc de Daniel. Il est libre, libre pour se tourner vers Dieu, libre pour réfléchir et faire réfléchir. Ce n’est pas par hasard si Jésus enseignait en parabole pour faire réfléchir plutôt qu’avec du prêt-à-penser. Face à la modernité, le chrétien se doit de prendre le recul de la prière, de la lecture biblique, afin d’apporter un éclairage autre, propre sur la réalité. Nous ne sommes pas des suiveurs aveugles. Ou comme le dit Jacques Ellul le philosophe protestant, le chrétien se doit de se départir de l’imbécilité ambiante qui consiste à suivre l’opinion dominante formatée par les médias[1].

La 3e chose à observer c’est la compréhension qu’a Daniel de l’intention de Dieu pour Nabuchodonosor : lui révéler le sens des événements et de l’histoire ET, surtout, lui révéler ce qu’il a dans le cœur. Ce n’est pas tant le futur que Dieu veut mettre en lumière pour le roi, mais les pensées de son cœur. Derrière le mot pensée en araméen, se cache une racine signifiant nourrir, être ami, gouverner, faire paître. Dieu veut mettre en lumière ce qui nourrit le roi, ce qui le gouverne, il veut lui révéler le fond de son cœur, ses intentions, ses désirs cachés, ses ambitions secrètes. Il veut le rendre attentif à ce qui se cachent derrière son action, derrière ses décisions. Vous remarquez que Nabuchodonosor révèle ensuite sans gêne aucune l’orgueil qui l’habite : il se fait une statue d’or et demande qu’on l’adore. Et comme Daniel et ses compagnons se sentent totalement libres face aux velléités totalitaires du roi, les autres, qui sont moutons, sont jaloux et leur créent des problèmes.

Le rôle du disciple de Jésus face à la modernité est d’interroger son temps sur ce qui le nourrit, ce qui le dirige. En étant solidaire de son temps, mais en refusant d’être mouton. Ce qui le met en position inconfortable. Interroger la pensée dominante sur ce qui la nourrit, sur ses ambitions secrètes. Il ne s’agit pas de s’opposer à tout, de refuser toute évolution sociétale, mais d’interroger. Qu’est-ce qui nourrit réellement la tendance à gommer les genres, par exemple ? Qu’est-ce qui gouverne la volonté de mettre la population sous contrôle comme on le voit aujourd’hui ? Que se cache-t-il derrière la volonté subtile de nous faire passer d’un usage de l’argent liquide à l’argent plastique virtuel ? Quelle vision du monde, quelle ambition sous-tendent cela ? Qu’est-ce qui nourrit réellement la pensée écologique ou néo-libérales ? Qu’est-ce qui nourrit la vision du monde des dictateurs voyous actuels ?

Il s’agit de gratter les différentes couches de vernis alibis qui recouvrent les propositions de la modernité dans le domaine politique, sociétale, économique, etc. Nous avons un rôle de veilleurs, même si le veilleur est rarement pris au sérieux.

La 4e chose, à mentionner vu l’actualité – mais j’aborderai plus profondément une autre fois : le chrétien doit rappeler sans cesse le caractère éphémère des pouvoirs en place, des empires en place, et donc ne pas s’appuyer dessus. Ce qui se passe aujourd’hui nous révèle que même ce que nous estimions être un système garant de paix peut s’effondrer. Le seul appui du chrétien c’est le Seigneur.

Pour conclure, j’ajouterai ceci. Etre totalement solidaire de ce monde implique de ne pas avoir une attitude de donneur de leçon. Daniel est exemplaire sur ce point. Et Jésus est clair à ce sujet : avant de pointer la paille barrant le regard de l’autre, libère ton regard de la poutre qui t’aveugle ! Ce travail de mise en lumière de ce qui nourrit notre cœur, de ce qui gouverne notre pensée, de ce qui dirige nos désirs, nous devons le faire d’abord sur nous-mêmes. Nous sommes invités à ce travail déjà sur les petits choses de notre, sur les décisions qui orientent notre vie.

Et nous pourrions débuter par nous poser des questions comme :

– Est-ce que je me sens vraiment solidaire de ce monde, de ses défis et de ses souffrances ? Est-ce que ça m’affecte au fond de moi ? Ou est-ce que j’adopte une posture de spectateur qui a l’illusion que ça ne m’atteindra pas, que ça passera ? Ou encore que de toute façon j’ai la vie éternelle et que donc je m’en fiche de ce qui va encore arriver.

– Est-ce je reconnais en moi une tendance à juste suivre les évolutions imposées par la modernité, qu’elles soient sociétales, philosophiques ou technologiques ? Est-ce que je m’adapte en faisant miennes cette évolution – car il faudra bien faire avec tôt ou tard et on n’arrête pas le progrès… ? Ou est-ce qu’au fond de moi, une petite voix m’invite à oser le recul, à oser être différent, à oser résister ?

– Est-ce que je suis un chrétien qui lit le journal et s’angoisse ensuite OU est-ce que je suis un chrétien qui lit ensuite sa Bible et cherche à discerner le sens des événements, la signification spirituelle de ce qui arrive[2] ?

– Puis-je dire avec Jésus : faire la volonté de Dieu est ce qui me nourrit ? Faire sa volonté en servant mon prochain, mon monde, avec clairvoyance et compassion, en demandant à Dieu la guérison pour lui.

Ces questions, Daniel avant nous les a affrontées. Avec des outils que nous pouvons aussi adopter : la prière, l’échange avec les compagnons en Christ, notre Bible et surtout un souci réel et engagé pour notre prochain, notre compagnon de galère dans ce monde.

Amen.

 

[1] J. Ellul, Ce que je crois, Grasset, Paris, 1987, p.87.

[2] C’est aussi là le dessein de la littérature apocalyptique juive dont Daniel est l’initiateur, en particulier dans la 2e partie de son livre où il nous livre les visions qu’il a. Ses visions nous rappelle le livre de l’Apocalypse dont le but est aussi, entre autres, de révéler ce qui se cachent dans les coulisses de l’Histoire.

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