J’entends souvent des personnes me dire qu’ils prient mais sans trop savoir vraiment à qui ils s’adressent. Ou alors certains me disent s’adresser à l’Univers. Et je leur réponds : « mais l’univers c’est quand même très impersonnel ! Ce n’est pas une personne ». Or Jésus enseigne à ses disciples quel titre donner à Dieu quand nous nous adressons à lui : (Notre) Père… Non pas Dieu tout-puissant, Éternel, Grand Dieu… Pourquoi ? Cela donnerait l’image d’un Dieu plus inaccessible, lointain, écrasant ; est-ce qu’il nous écouterait ? Serais-je à la hauteur ? Comment oserais-je m’adresser à lui ? Quels mots seraient suffisants et adéquats ? Voyons en quoi Père est une Bonne Nouvelle !
1° Le Père : de l’Ancien Testament (AT) à Jésus. Si la Bible évoque la paternité de Dieu, personne dans l’AT ne s’adressait à Dieu en l’appelant « Père ». Il est toujours au mieux « comme un Père ». Ps 103,13 : « Comme un père a compassion de ses enfants, l’Éternel a compassion de ceux qui le craignent ». Et s’il est Père, c’est comme père du peuple d’Israël : « N’est-ce pas lui ton père, qui t’a acquis, qui t’a fait, et qui t’a affermi ? » (Dt 32,6). Il présente ce peuple comme fils, un peuple qu’il a choisi, guidé et protégé. Dans Exode 4 Dieu dit « Israël est mon fils » et Osée 11,1 :« Quand Israël était jeune, je l’ai aimé, et j’ai appelé mon fils hors d’Égypte ». Il s’agit d’une relation collective du peuple avec Dieu et non de la relation individuelle du croyant avec lui. Pour pouvoir appeler Dieu « Père », ce qui était nouveau, il a fallu que Jésus, son Fils, vienne sur Terre.
Pourquoi Père et pas mère ?Dire que Dieu est mon Père sous-entend une filiation. Cette filiation n’intervient pas par génération puisqu’elle ne peut évidemment pas être biologique (puisque Dieu est esprit) mais par adoption. Qu’il soit ou non biologique, un père est de toute façon toujours adoptif. La filiation adoptive signifie que Dieu nous a appelés à devenir ses enfants. Mais ce lien qu’il désire créer avec nous est un lien qui reste à construire. Quand j’appelle à mon tour Dieu « Père », cela signifie que je me positionne et me reconnais devant lui comme un enfant, comme son fils/sa fille. Nous pouvons entrer dans un rapport de communion, de vis-à-vis.
Mais il est vrai que la paternité de Dieu possède aussi des attributs féminins et maternels[i]. Le Ps 22,10 dit qu’il est « comme une mère » qui n’oublie pas ses enfants, qui veille sur eux, les protège, les console et les nourrit (Es 66,13). Dans la Bible l’image de la mère ou de la femme était plus associée à la compassion. Dans la société israélite, l’image masculine du père ou du mari évoquait plus particulièrement l’autorité et la protection.
En quoi c’est important pour nous ? En présentant aussi les éléments maternels comme la tendresse, la Bible nous montre que la paternité de Dieu n’est pas autoritaire et dure. Notre Père n’est pas un père absent, violent, insensible, autoritaire. Il est infinie tendresse et bienveillance. Mais dans son amour, et ce n’est pas contradictoire, il doit aussi marquer les limites, poser des interdits voire sanctionner. Le Père est à la fois tendre et ferme. Sa fermeté n’est pas violence et sa tendresse n’est pas lâcheté.
J’ouvre une () : si on sait qui est notre mère on n’est jamais sûr de qui est notre père. La paternité dépend uniquement de la parole d’une mère qui dit « c’est lui ton père ». C’est à l’église que revient ce rôle d’exercer cette maternité qui nomme à ceux qui sont en recherche : « voici, ton Père, Dieu, en qui tu peux avoir confiance ». L’Eglise a ce rôle d’accompagner chacun dans la découverte d’un Dieu Père. Lui qui veut adopter tous ceux qui accepteront son amour. Et comme il nous a voulu libres il est aussi à la merci de notre refus d’aimer !
2° Pourquoi pouvons-nous l’appeler Père ? Adoptés ! Nous nous savons adoptés comme fils/fille lorsque nous acceptons Jésus dans nos vies (Jean 1)[ii]. Paul écrit : si nous sommes enfant, nous sommes aussi héritiers : héritier de Dieu et cohéritiers du Christ (Rm 8,17). Dans le monde Romain vous pouviez adopter un ami en tant que frère pour en faire un cohéritier. De même Christ nous adopte pour nous faire partager sa filiation divine. Grâce à Jésus nous sommes semblables à lui et c’est pourquoi nous pouvons appeler Dieu Père. Ce que Dieu a dit de Jésus, il nous le dit à nous aussi : « voici, tu es mon fils bien aimé en qui je mets tout mon plaisir » !
Comment je le sais ? Grâce à la présence de l’Esprit en nous ! « Et parce que vous êtes fils, Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils, lequel crie : Abba ! Père ! Ainsi tu n’es plus esclave, mais fils ; et si tu es fils, tu es aussi héritier par la grâce de Dieu (Ga 4.6,7) ». « L’esprit qui vit en nous nous fait crier Abba Père » (Rm 8). Que dit Paul ici ?
L’esprit de Dieu nous fait connaître l’amour du père pour nous. Il produit dans nos cœurs la certitude de cette relation filiale. Il nous plonge dans une intimité joyeuse entre le Père et nous. Paul établit un contraste entre la position de fils et celle d’esclave. Contrairement à l’esclave le fils se sait choisi, aimé, adopté et il a droit à un héritage ! Un héritage que nous recevons par grâce.
3° Qui est donc ce Père ? On ne s’adresse pas à quelqu’un de la même manière s’il est familier ou inconnu. Commencer notre prière en disant « notre père » nous permet de nous approcher de Dieu avec confiance, simplicité et respect. Calvin disait : « Dieu nous délivre de toute méfiance à cause de la grande douceur dont témoigne ce nom ». Le Père nous rejoint et s’approche de nous comme un ami qui nous aime, tendre et secourable, bienveillant pour nous comprendre et nous aider. C’est ce que fait un Père envers ses enfants a priori… En évoquant Dieu-Père Jésus nous dit 3 choses sur lui :
Dieu créateur : le père est généralement un géniteur et celui qui donne la vie. Quand j’invoque Dieu comme père c’est donc reconnaître en lui le créateur du monde et de l’humanité. Il est la source de la vie. Quand je dis « Père » je définis mon rapport au monde c’est-à-dire que je me situe comme créature face au créateur, créature au sein de la création. Je sais de qui je reçois ma vie. Cela ne peut que me conduire à l’adoration et à l’humilité.
Dieu intime. Abba = nous pouvons nous adresser au Père dans les mêmes termes d’intimité que Jésus lui-même (à Gethsémané, Mc 14,36). Abba, c’est le terme utilisé par un petit enfant pour s’adresser à son père. Nous nous adressons ainsi à un Dieu caractérisé par la tendresse, la sollicitude, l’amour qu’il porte à ses enfants. Mais cette connotation de tendresse ne signifie pas familiarité et manque de respect. « Abba » souligne toute la proximité entre Jésus et son père. C’est une relation unique. Et comme nous partageons sa filiation nous pouvons participer à cette relation. Pour cela il nous enseigne notamment le Notre Père qui nous indique le chemin du dialogue avec lui. Reconnaitre Dieu comme notre Père c’est reconnaître l’autorité de sa parole et affirmer notre souhait de lui obéir.
Le Dieu de tous. Jésus adopte un mode d’expression très simple par lequel Dieu se fait proche des petites gens et de leurs soucis quotidiens. Il n’utilise pas un langage prestigieux et élitaire. Il nous rejoint dans la réalité de tous les jours. Dieu devient le Dieu de toute créature. Plus besoin d’appartenir à un peuple élu car tout être humain peut se reconnaitre dans cette sobre évocation. Jésus dira que si un père est capable de donner de bonnes choses à son enfant, à combien plus forte raison Dieu le Père s’occupe de ses enfants.
Pour finir sur ce point, savez-vous quelle parabole montre parfaitement le visage du Dieu que Jésus proclame ? Quelle parabole illustre la paternité de Dieu ? C’est bien sûr celle du fils prodigue. Un père rempli de compassion qui accoure et embrasse le fils rebelle, qui organise un festin pour fêter son retour. Il l’accueille et lui redonne tous ses privilèges de fils. Quel amour de Père : inconditionnel et sans limites. C’est ce Père-ci auquel nous nous adressons !
Je conclus en soulignant qu’il est notre père (chez Mt). Pas seulement mon père à moi, dans mon coin. Et pour dire notre père il faut être plusieurs ! Dire notre père c’est reconnaître et confesser qu’on n’est pas seul dans sa prière. Nous prions d’abord avec Jésus il est vrai. Je dis Notre Père aussi avec tous les frères et sœurs de l’église universelle qui partagent avec moi cette conscience d’être enfants de Dieu. Dire NOTRE Père c’est reconnaître que nous faisons partie d’une famille. Une famille composée de personnes de toutes conditions, âge, statut, ethnies, etc.
Je m’inscris dans une communion plus large que mon petit cercle de connaissances. J’apprends aussi à me sentir solidaire des autres. La prière ne peut pas être égoïste. Prier, c’est aussi se mettre en communion les uns avec les autres sous le regard de Dieu. Une filiation cela se partage ! Cela nous permet de nous décentrer et à sortir de nous-mêmes. Dire notre père c’est rappeler que nous sommes une humanité et non une juxtaposition d’individus.
Notre Père : oui, je suis enfant avec d’autres et quand je prie je me mets en communion et en fraternité avec tous mes frères et toutes mes sœurs. Et je termine en disant ceci. Comme frères et sœurs, dire ensemble ces premiers mots « notre père » nous place dans une relation de tendresse, de bonté et de bienveillance réciproque. Ce n’est pas rien. Puissions-nous dire et vivre le Notre Père dans cet état d’esprit !
Textes : Mt 6,9 ; Ga3,26-27 et 4,4-7 ; Rm 8,14-17 ; 1 Jn 3,1
[i] Parmi les attributs féminins et maternels: Dieu est comme une sage-femme qui donne naissance ; comme une mère qui n’oublie pas ses enfants (Ps 22,10-11 ; Jr 31,20 ; Es 42,14). Sa tendresse et sa compassion pour Israël sont symbolisées par des entrailles (Os 11, 8-9). Le mot « tendresse de Dieu » a la même racine que le mot « utérus ». Le souffle de Dieu « rouah » en hb est féminin ! Sa présence au milieu de son peuple se nomme la Shékinah (Ex 25,8 et Is 8,18). Dieu est la Sagesse personnifiée (Pr 8) ; il accouche de son peuple (Dt 32,18 ; Ps 127,3), il veille sur lui, le protège, nourrit, le console (Is 66,13 ; 49,15).
[ii] Paul dit que Dieu nous a « prédestinés pour nous adopter pour lui » (Ep 1,5). Ce privilège est présenté comme l’accomplissement de la promesse faite à Abraham (3,8, 17, 18, 29).
