Prédication sur Mc 4,7et 18.

Quand le centre de gravité de notre vie est menacé – que faire ?

Bien-aimés du Christ Jésus,

Vous couriez bien : qui vous a arrêtés, en vous empêchant d’obéir à la vérité ? (Ga 5,7), demande Paul aux Galates. Comme pour dire : Vous aviez bien commencé, qu’est-ce qui vous a arrêté ? Bien commencer et mal terminer. Bien commencer et s’arrêter en cours de route. C’est peut-être aussi cela qu’illustre le terrain broussailleux de notre parabole. C’est une réalité qui m’interpelle : de nombreux chrétiens ont vécu un enthousiasme et une foi pleine de fraicheur, vivante, engagée, finissent tristement. Comme si leur foi avait été étouffée. Comme si leur fraicheur s’était fanée. Comme si leur 1er amour pour Jésus s’était évanoui.

Je me suis interrogé sur moi-même. A 14 ans j’ai découvert l’amour de Jésus pour moi. A 16 ans, lors de ma confirmation, je lui ai consacrée ma vie. Quand ma foi fut mise à l’épreuve par un professeur du gymnase qui avait une allergie viscérale au christianisme, elle s’est renforcée. L’évangile m’avait atteint. Jésus m’avait saisi. La graine de son amour était tombée dans la terre de ma vie et avait poussé. Je me suis demandé : que reste-il de cette vigueur initiale? 

Et toi qui m’écoute ce matin… que reste-il de la flamme qui s’est allumée dans ton cœur quand tu as été saisi par l’amour de Jésus pour toi ? Quand cette parole d’Evangile a comme mis le feu à une étincelle de vie en toi. Quand cette parole a donné un sens à ta vie. Que reste-t-il ?

Simone Veil aurait comparé Dieu au centre de gravité de sa vie[1]. J’aimerais m’arrêter un instant sur cette image issue de l’architecture plutôt que de l’agriculture.

J’ai vu un jour un reportage sur le gratte-ciel Taipei 101, qui fut un temps le plus haut du monde. Construit dans un environnement régulièrement secoué par des séismes et par les ouragans du Pacifique, il se devait de résister à des vents de plus de 200km/h. Les ingénieurs ont fixé une boule de plus de 600 tonnes entre 87e et 91e étage, qui fait office de balancier contrecarrant les secousses dues à des phénomènes externes, et permettant au sommet de l’édifice de se déplacer de 3 mètres latéralement sans que la tour ne s’effondre. Si les architectes s’étaient laissé aller à vouloir rentabiliser tout l’espace entre le 87 et le 91e étage sans y placer ce centre de gravité, la tour se serait déjà effondrée. Simone Veil dit que le centre de gravité de notre vie c’est l’espace que nous y laissons à Dieu.

Jésus nous dit que notre centre de gravité peut être menacé. Que cet espace qui permet à sa parole et lui-même de rayonner dans notre existence peut être menacé d’étouffement. Il nous fait même le cadeau de nous montrer nos ennemis : les soucis de ce monde, l’attrait trompeur de la richesse et les désirs, les convoitises de toutes sortes. Parce que notre vie ne ressemble pas à une plantation de concombres hors-sol, mais qu’elle est bien ancrée dans ce monde, l’espace vital pour notre survie spirituelle est sans cesse menacé d’empiétement, d’invasion par des mauvaises herbes. A écouter Jésus, c’est comme si nous étions menacé d’une sorte de déplacement du centre de gravité de notre vie, de glissement du centre de nos intérêts. Ce qui est interpellant pour nous disciples de Jésus, c’est que ce glissement intervient après que Jésus et sa parole ont poussé leur racine en nous. D’où vient ce glissement d’intérêt ? Comment se produit-il ? Je m’aventure à esquisser quelques réponses.

Par ex. Paul dit à Timothée que le problème pour un disciple de Jésus n’est pas d’être riche, mais de mettre sa confiance dans ses propres richesses[2]. Le danger c’est que le centre de gravité se déplace de Jésus comme fondement de ma vie à la richesse matérielle. Il est donc bon, pour nous, de nous demander régulièrement où se situe réellement notre confiance. C’est plus facile à dire qu’à faire. Et je vous assure que je me sens très concerné par cette parabole. Il peut y avoir des circonstances dans notre vie qui nous font glisser. Ne fut-ce qu’une certaine aisance nous procurant confort, facilité et assurance – comme c’est le cas souvent chez nous en Suisse.

Autre exemple : Marthe. Marthe est disciple de Jésus, avec sa sœur Marie. Marthe a un autre tempérament : pour elle mettre les petits plats dans les grands c’est au moins aussi important que de s’arrêter pour prendre un temps avec Jésus et l’écouter. Pour elle, c’est dans le faire qu’elle se valorise. L’assurance d’être quelqu’un ne lui vient pas de l’amour de Dieu pour elle, mais de tout ce qu’elle va faire en croyant ainsi faire plaisir. Il y a un glissement très subtil de son centre de gravité de l’amour de Dieu pour elle à je suis aimée si je fais plaisir.

Un 3e exemple. Paul appelle les chrétiens de Rome à ne pas se conformer à l’air du temps présent. Je peux être chrétien, disciple de Jésus, avoir permis à Jésus de s’enraciner en moi ET pour une raison ou une autre me laisser emporter, emmener par le courant de l’air du temps, par ce que certains appelleront la modernité. Le conformisme est très subtil. La pression exercée par la société peut avoir raison de notre indépendance d’esprit, de notre indépendance de disciple de Christ – on le voit aujourd’hui en ce qui concerne la vision de la famille, du couple, de la santé publique. Comme si nous étions tous condamnés à devoir penser la même chose. Jésus nous appelle à garder en nous un espace libre pour que sa parole et sa présence puisse rayonner en nous et s’épanouir.

Comme disciple de Jésus, il nous arrive, après avoir connu l’intensité de son amour, la douce force de sa présence, la réalité de qui il est, de laisser des envahisseurs rogner cet espace vital intérieur. Quels sont ses envahisseurs ? Comment sont-ils arrivés ? A quelles occasions ? Répondre à ces questions nous aidera à débroussailler cet espace intérieur réservé à la vie de Dieu en nous, notre centre gravité. Répondre à ces questions c’est faire œuvre d’écologie intérieure.

La bonne nouvelle c’est justement qu’ici, contrairement au sol rocailleux, la graine a pu prendre racine et pousser ; et même si elle a fini étouffer, la bonne nouvelle c’est que la racine est en terre. La bonne nouvelle c’est que nous avons connu l’intensité de l’amour de Jésus et sa douce et forte présence. Et comme le dit Jean Chrysostome[3], si le semeur s’évertue à jeter son grain partout, y compris là où, apriori, il ne poussera pas, c’est parce qu’il sait que rien n’est figé dans notre vie, que le chemin piétiné peut devenir champ fertile, que la pierre peut devenir une terre meuble, que les épines peuvent reculer devant l’action du bon grain.  Quelques pistes pouvant contribuer à cela.

1°. À Marthe qui s’était laissé gagner par l’agitation devant ce qu’elle ressentait comme une obligation à réaliser, Jésus dit : Tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses. Or une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera pas ôtée[4]. Contemplons la vie de ceux qui n’ont pas laissé les épines des soucis de ce monde les envahir, et qui brillent de cette liberté et de cette joie que leur donne la présence et l’amour du Seigneur. Et laissons-nous interroger…

2°. Réorientons nos désirs et soucis. Comment ? En laissant le désir de cette liberté intérieure, de cette paix intérieure grandir en nous. En désirant cette vie portée et habitée par l’amour de Dieu, par la vie de Jésus, par la présence du Saint Esprit. C’est aussi dans ce sens que Paul écrit aux Philippiens : Ne vous inquiétez de rien ; mais, en tout, par la prière, avec gratitude, faites connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui surpasse toute pensée, gardera votre cœur et votre intelligence en Jésus–Christ. Enfin, frères, portez votre attention sur tout ce qui est bon et digne de louange : sur tout ce qui est vrai, respectable, juste, pur, agréable et honorable[5].

Paul nous encourage à laisser une place à la reconnaissance dans notre prière. Reconnaissance envers Dieu pour sa fidélité, pour sa présence à nos côtés, pour tout ce qu’il a déjà fait dans nos vies. Reconnaissance parce qu’il ne nous a jamais laissés tomber.

Reconnaissance pour ce qu’il va encore faire. Que deviendrais–je, si je n’avais pas l’assurance de voir la bonté du Seigneur sur cette terre où nous vivons[6] ? Se réjouir de ce que Dieu va faire dans le jardin de notre vie.

3°. Alors que la vie normale reprend avec la fin des grandes vacances, Jean-Guilhem Xerri nous encourage, avec les pères du désert, à pratiquer la garde du cœur, c-à-d à être attentif aux pensées, craintes, désirs qui voudraient étouffer en nous la confiance, la joie, la paix et l’assurance que le Seigneur apporte dans notre vie.

Le bon terrain met en valeur l’énergie qui est contenue dans le grain. Si la terre ne réagissait pas au grain de blé, celui-ci ne fructifierait pas[7]. Et pour cela, n’hésitons pas à prendre soin de laisser le Seigneur être notre centre de gravité.

Amen.

 

 

[1] D’après François Varillon, Jésus, Méditations, Bayard, 2018, p.230.

[2] 1Tim 6,17.

[3] Daniel Bourguet, L’Evangile médité par les Pères – Matthieu, Olivétan, Lyon 2006, p.101-102.

[4] Luc 10,41-42.

[5] Philippiens 4,6-8.

[6] Psaume 27,13.

[7] François Varillon, op.cit., p.230.

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