Prédication sur Genèse 4,1-16

Quand le don devient possession: orgueil et violence.

Bien-aimés de Christ,

Mes catéchumènes du CO décrivent spontanément le récit de Caïn et Abel comme une histoire de jalousie entre frères. Elle en a toutes les apparences. Creusons toutefois un peu plus loin.

Caïn a-t-il des raisons d’être jaloux ? De prime abord oui : on dit que Dieu porta un regard favorable sur l’offrande de son frère et non sur la sienne. L’hébreu dit juste que Dieu donna son attention à l’offrande d’Abel[1]. Est-ce une raison suffisante ? En effet, Caïn est en position de force et de supériorité dans la vie et la famille : il est l’aîné, ce qui signifie, dans la culture de son époque, qu’à la mort de son père, il héritera le double de son cadet et en plus qu’il deviendra le chef de clan, donc celui de son frère. En plus de tout cela, sa mère lui donne un nom qui en dit long : celui qu’elle s’est acquis avec l’aide de Dieu. Derrière Caïn se cache un verbe qui signifie acquérir, obtenir, acheter, former. Cela dit que Caïn c’est la possession d’Eve, son chouchou, celui qui est important ; d’autant plus qu’Abel signifie le rien, la vapeur.

Donc, de fait, la position de Caïn n’a rien à envier à Abel.

Creusons encore un peu : dans la Genèse, toutes les fratries sont conflictuelles et teintées de rivalité avec un point commun qui revient : il y a des chouchous dans ces fratries. Le plus souvent le chouchou finit par écarté l’autre : Isaac écarte Ismaël, Jacob Esaü, Caïn Abel. Joseph chouchou de son père est écarté par ses frères, tous ses aînés. Intéressant de voir que les personnes en position de faveur, de force sont celles qui jalousent[4].

René Girard, anthropologue français, a fait une expérience parlante : il a réuni des petits enfants dans une salle où il y avait exactement le même nombre de jouets que d’enfants et où les jouets étaient parfaitement identiques. Ils se sont chamaillés pour avoir le même jouet. La jalousie ne porte donc pas sur l’objet convoité, mais sur la personne de l’autre.

Revenons à Caïn. Son nom nous dit qu’il est celui qu’Eve s’est acquis avec l’aide de Dieu. Mais l’accent est sur acquis, pas sur Dieu. Le don est devenu acquisition, possession. Et cela est transmis à Caïn. Cela conduit à Caïn à transformer sa vie, ce qu’il est et a en dû, en possession, et non en don. Le don devient acquisition et donc quelque chose qui m’appartient avec cette crainte de le perdre; et si je le perds, de ne plus exister.

Caïn transforme ce qu’il a reçu, le don en quelque chose qui lui est dû et qu’il doit défendre, en quelque chose qui lui appartient en propre et non qui lui a été donné et qui est appelé à être sujet de gratitude. C’est comme si être l’ainé faisait exister Caïn, du moins à ses propres yeux. Le don devenant dû et possession, la gratitude fait place à l’orgueil. Alors que la Bible nous dit : Qu’as–tu que tu n‘aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifies–tu, comme si tu ne l’avais pas reçu ? (1Co 4,7). Alexandre Westphal dit : L’orgueil est un amour déréglé de soi-même ; il est l’état d’un homme qui se surfait, s’admire dans ses œuvres, se prête des qualités qu’il n’a pas (…). La colère montre l’orgueil réagissant contre ce qui lui résiste[5].

Cela m’interpelle car nous en voyons les effets à une grande échelle dans la géopolitique et les guerres actuelles. Ce qui se passe en Ukraine, à Taiwan, et ailleurs ne reflètent que ce qui se passe en chacun de nous, à notre échelle. Je peux occuper un poste à responsabilité et ne pas supporter d’être remis en question par un subalterne. Je peux être prof et ne pas supporter qu’un élève mette le doigt sur une de mes failles. Je peux être père ou mère et ne jamais demander pardon pour une attitude injuste que j’aurais eue avec mon enfant. Je peux vouloir avoir toujours le dernier mot parce que durant un certain temps je l’ai eu de façon légitime. Je suis la mesure de toute chose.

Sur quoi s’appuie notre orgueil ? Sur une position reçue ou une position que nous nous sommes acquise à la force du poignet ? Sur une fonction ? Sur le fait d’avoir été flatté, vanté, valorisé par des figures d’autorité ? Sur nos propres forces, notre propre intelligence ? Sur une blessure sur laquelle je m’appuie pour jouer la victime ou pour justifier l’envie de vengeance ?   

La Bible dit que Dieu a de la haine pour certaines attitudes, dont l’orgueil[6]. Elle dit que Dieu résiste aux orgueilleux[7]. Et pour cause : L’orgueil précède le désastre, et un esprit arrogant précède la chute (Pro 16,18).

Dieu hait l’orgueil car l’orgueil nous remplit d’illusion, il nous donne une fausse image du monde, des autres et de nous-mêmes. Il nous fait croire que nous devons notre existence à ce qui, somme toute, n’est que vanité. Il nous fait oublier que la vie est cadeau, à recevoir des mains de plus grand que nous, de Dieu. L’orgueil nous met au-dessus des autres. Il voit dans les autres des menaces perpétuelles. Il est incapable d’apprécier l’autre à sa juste valeur. Il est incapable de renoncement pour permettre à l’autre de s’épanouir. Et l’orgueil cherche toujours des excuses pour se justifier : la tradition, le règlement, les usages, la nécessité d’avoir de l’ambition, on invoque même dieu. On se justifie avec la psychologie et nos blessures d’enfance. L’orgueil nous transforme en diable avec les autres.

Dieu hait l’orgueil et résiste aux orgueilleux. Dans le récit de Caïn et Abel, contrairement à ce qu’il pense, Caïn est l’objet de l’attention de Dieu. Dieu ne cesse de lui adresser la parole. Il essaie sans cesse de le repêcher. Caïn fait la sourde oreille jusqu’à l’irréparable. Et Dieu continue encore après à lui donner toute son attention, il va jusqu’à mettre sur lui une marque protectrice.

Dans le psaume 46,10, Dieu crie à ceux qui font la guerre : Arrêtez et reconnaissez que je suis Dieu.

Nous sommes tous pris de façon plus ou moins violente dans des poussées d’orgueil qui nous font réagir de façon malsaine et mortifère à autrui. Volonté de donner des ordres, de se faire respecter, de faire respecter son propre ordre, ses propres codes, etc. Volonté d’être les 1ers servis. Et Dieu nous crie : Arrêtez… attendez un instant… c’est qui Dieu, vous ou moi ? Et parfois, il nous secoue… pour mettre à mal notre orgueil. Il nous résiste. D’ailleurs, ce que nous vivons en ce moment à échelle mondiale, toutes ces crises… ne serait-ce pas un signe que Dieu est en train de secouer le cocotier de l’orgueil de l’humanité ?

Emmanuel nous parlait de David dimanche dernier. David est l’exemple de l’homme selon le cœur de Dieu car il ne s’agrippe ni à la royauté, ni à sa position, ni à sa paternité, ni à ses femmes, ni à sa réputation. Il reste dans la confiance que sa position, son existence sont dans les mains de Dieu. Et quand la lettre aux Hébreux (11,4) dit : Par la foi, Abel offrit à Dieu un sacrifice de plus grande valeur que celui de Caïn, la foi serait-elle ce qui faisait qu’Abel, quoique nommé le rien vaporeux, recevait avec confiance et gratitude son existence comme un cadeau à partager dans la confiance?…

Jésus nous montre le chemin de l’humilité. Il possédait depuis toujours la condition divine, il n’a pas usé de son droit d’être traité comme un Dieu (Phili 2.6). Tout le contraire de Caïn. Jésus s’est fait homme et serviteur jusqu’à la mort. Il nous a considérés plus important que lui. Il a voulu que nous puissions exister, dans la vérité sur qui nous sommes : des pécheurs, des déviants, aimés de Lui. C’est pour ça qu’il a donné sa vie pour nous à la Croix, plutôt que de nous prendre la vie. Parce que lui, Il veut la paix. Et il nous invite à vouloir la paix. S’il est possible, et dans la mesure où cela dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes (Ro 12.18).

L’orgueil des grands de ce monde, leur comportement qui nous laisse parfois songeurs est la caricature de nos comportements. Regardons à Jésus qui lui est l’expression de la véritable humanité, de l’humanité telle que voulue par Dieu. Il n’est pas seulement le chemin qui mène à Dieu le Père, il est le chemin qui nous mène à la vraie humanité, dans l’humilité. Il est le regard du Père posé sur nous, le don du Père pour nous, qui veut façonner notre regard sur autrui et notre vie comme don. 

Amen.

 

[1] Les occurrences de ce verbe en hébreu permettent de poser ce sens pour ce verbe. Cf. Wigram, The Englishman’s hebrew and chaldee concordance of the Old Testament, éd. Zondervan.

[4] Après avoir préparé cette prédication, je fus surpris de tomber sur un article mentionnant une étude démontrant que les enfants qui ont été les chouchous de leurs parents sont plus sujet que les autres à l’angoisse et la dépression une fois adulte.

Voir l’article Le chouchou enfant traumatisé, in Echo magazine, 6 oct. 2022, p.18ss. Voir aussi : Parents do have a favorite child, article paru sur le site internet du Wall Street Journal : https://www.wsj.com/articles/parents-do-have-a-favorite-child-1498840029, consulté le 10 oct. 2022.

[5] Alexandre Westphal, Dictionnaire encyclopédique de la Bible.

[6] Pro 8 :13  La crainte du SEIGNEUR, c’est détester le mal ; la suffisance, l’orgueil, la voie mauvaise et la bouche perverse, je les déteste.

[7] Job 9:13  Dieu ne retire pas sa colère ; Devant lui s’effondrent les appuis de l’orgueilleux.

Esaïe 2:12  Car l’Éternel des armées a (fixé) un jour Contre tout ce qui est hautain et orgueilleux, Contre ce qui s’élève et qui sera abaissé ;

Jacques 4:6  Mais il donne une grâce supérieure, puisqu’elle dit : Dieu résiste aux orgueilleux, Mais il donne sa grâce aux humbles.

1 Pierre 5:5  De même, jeunes gens, soyez soumis aux anciens. Dans vos rapports mutuels, revêtez–vous tous d’humilité, car Dieu résiste aux orgueilleux, Mais il donne sa grâce aux humbles.