Prédication sur Ac 7,19-34 / Ex 2,1-15 / 1Co 15,10 et Za 4,6[1].

Incompris dans mes idéaux : d’une affaire personnelle à celle de Dieu.

Bien-aimés du Seigneur,

Qui ne s’est jamais senti incompris ? Et qui ne l’a jamais été de fait ? Incompris dans ce qu’on vit à l’intérieur de soi. Incompris dans notre vision de la vie, dans notre vision du monde. Incompris dans ce qu’on entreprend. Incompris dans ce qu’on dit. Incompris dans les démarches amorcées et incompris dans ses peurs. Incompris dans ses attentes.

Moïse fait partie des personnages bibliques qui se sont le plus heurtés à l’incompréhension. Et son parcours tel que résumé dans les Actes peut nous en dire quelque chose. Pourquoi Moïse est-il incompris ? Que fait-il de cela ? Et qu’advient-il au final ? J’aborderai cela à partir de la tradition juive qui divise la vie de Moïse en 3 étapes de 40 ans chacune, ce dont le livre des Actes se fait l’écho[2].

Moïse, pour rappel, est un homme qui, à sa naissance, a échappé à un génocide, au massacre des petits garçons hébreux par le pharaon. Il y échappe car sa maman confie sa vie à une corbeille qu’elle laisse dériver sur le Nil. La fille de pharaon trouve cette corbeille et, prise de compassion, elle décide d’adopter ce petit bébé. Elle le confie à une nourrice hébreu pour qu’elle l’allaite – de nombreuses femmes israélites dont on avait tué l’enfant pouvait être des allaitantes.  Moïse a été allaité peut-être jusqu’à sa 3e année et sa nourrice qui se trouve être sa mère biologique a eu le temps d’imprégner son garçon de sa véritable identité hébraïque. Cela dit, entre ses 3 ans et ses 40 ans, c’est l’éducation égyptienne qui forme Moïse et le destine à être chef. Moïse porte donc en lui une double identité : hébreu et prince d’Egypte. A 40 ans, il prend parti pour l’Israélite qu’il est au fond de lui-même.

Moïse décide alors de poser un acte libérateur en faveur des siens, et il est incompris. Il pensait que ses frères comprendraient que Dieu leur accordait le salut par sa main ; mais eux ne comprirent pas. Et suite à cela, Moïse, le prince, fuit et s’installe dans le désert de Madian pendant 40 ans. Cette déception marque la fin de la 1ère partie de sa vie.

Que se passe-t-il là ?

La 1ère chose à dire c’est que durant cette étape de sa vie, Moïse est formé, instruit, équipé. Il acquiert tout un savoir-faire et un savoir-être pour diriger. Flavius Josèphe, l’historien juif du 1er siècle, raconte que Moïse a mâté avec succès l’Ethiopie qui s’était révolté contre le pharaon[3]. Il a appris comment on règle certains problèmes. Avec son savoir, sa technique, ses compétences, son talent, il décide de libérer son peuple. Seulement ça ne marche pas. Pourquoi ? Parce que le monde ne fonctionne pas toujours comme on nous l’a enseigné, parce que le monde ne fonctionne pas toujours comme on le suppose, parce que le monde n’est pas toujours ce que l’on pense. Moïse est confronté à la réalité, la vraie réalité. Il pensait que les Israélites seraient heureux de le voir débarquer en libérateur et ce n’est pas le cas. Logiquement ça aurait dû être le cas. Logiquement son savoir-faire militaire, son autorité princière auraient dû faire l’affaire.

Nous aussi vivons cela : parfois, contre toute logique, notre savoir-faire n’est pas reconnu, ni compris.

Moïse entreprend sa mission de libérateur avec son idée de comment ça doit fonctionner, et de comment ça doit se passer, car il a été formé pour. Mais non… surprise… déception… rejet… échec.

Le commentateur juif Rachi[4] dit que Moïse se heurte à la dureté de cœur des siens.

Il se heurtera d’ailleurs durant toute sa mission de libérateur au fait que le peuple hébreu ne partage pas sa conception de la liberté. Pour eux, la liberté c’est juste d’avoir assez dans l’assiette. Un peu comme en Occident : tant qu’on ne touche pas à notre confort matériel, on peut limiter nos libertés sans problème (traçage, surveillance, etc.)! C’est franchement basique et médiocre! Moïse fonce tête baissée dans son projet, mais sans vérifier les attentes des Hébreux.

 Que se passe-t-il encore là ? Moïse porte une double identité. Il n’est pas seulement l’Hébreu qui est passé entre les gouttes… qui a eu de la chance de devenir le chouchou de la fille de pharaon, le parvenu, l’Egyptien, mais il est aussi l’Hébreu au plus profond de son âme, animé par une souffrance devant l’injustice dont est victime son peuple, et qui aspire à leur liberté. Mais ça, on ne le voit pas.

France Pastorelli, une écrivain romande, écrit : Combien de fois n’ai-je pas expérimenté ceci : ce qui sépare le plus de certains être et conduit, au milieu d’eux, à un isolement toujours croissant, c’est de porter en soi un idéal ignoré d’eux, et d’être habité par le problème de la vie alors qu’ils ne se le sont même pas posé[5].

Voilà ce qui nous arrive aussi parfois. Les autres ont une idée de nous qui ne correspond pas à ce que nous sommes vraiment. Dans l’Eglise, certains sont animés d’un idéal qui dérange ceux qui vivotent. Dans le monde du travail, certains sont habités par un idéal d’honnêteté ou de service qui dérange ceux qui veulent juste que ça fonctionne – c’est le cas des lanceurs d’alertes qui presque toujours finissent par être préjudiqués.

Que fait Moïse après cela ? Il s’en va. Il fuit. Et il s’établit à l’étranger. Il fonde une famille et s’installe dans une vie tranquille pendant 40 ans. Voilà aussi quelque chose qui nous arrive : après avoir essayé de réaliser notre idéal, d’atteindre tel ou tel but, et essuyé l’incompréhension, nous retirons. Et nous devenons comme étranger à nous-mêmes. Nos idéaux restent enfouis en nous… ils ne sont pas morts, mais relégués au placard jusqu’à ce que quelque chose de nouveau, d’insolite se passe, qui réveille en nous un feu que les années et l’incompréhension subie n’a pas pu éteindre. Cette fois, ce feu est réveillé par Dieu qui nous invite à reprendre notre place, cette fois avec Lui, sachant que le monde n’a pas changé, que les autres n’ont pas changé, mais que nous ne sommes pas seuls. Dieu réveille alors le feu de cette vocation qu’il nous a donnée il y a longtemps et à laquelle il nous a préparé par notre éducation et notre formation. Mais cette fois, ce ne sera plus notre personne qui sera en jeu. Ce ne sera plus notre cause, ni notre combat. Ce sera la cause que le Seigneur nous confie avec sa force à Lui, avec son Esprit à Lui, avec sa présence à Lui. La question ne sera plus de savoir si nous allons réussir. Ça, ce sera son problème à Lui.

Je conclus.

Tu peux te demander dans quelle phase de vie tu te trouves :

  • Es-tu dans cette phase où tu veux imposer tes idéaux dans la vie, aux autres ? Es-tu dans la phase où tu sais que tu sais et où tu sais que tu peux car tu sais ? Es-tu dans cette phase de déception dues à l’incompréhension face à ton engagement pour tes idéaux ?
  • Ou bien es-tu dans cette phase de retrait, mais où tu sens que tu es devenu un peu étranger à toi-même, étranger dans ce monde ?
  • Ou bien de l’insolite serait-il en train de poindre dans ta vie et de te rappeler à tes idéaux ? Mais d’une façon autre que ce que tu imaginais…

Quelle que soit la phase où tu es… Souviens-toi : d’abord rien n’arrive par hasard et ensuite le Seigneur te garde sa fidélité, même dans le temps de retrait. Il ne t’oublie pas. Il ne te renie pas. Il sait ce qu’il a déposé tout au fond de toi, il ne l’a pas retiré, il attend le moment juste pour le réactiver.

Le temps des vacances peut être une occasion de prendre un peu distance de nos sentiments d’incompréhension ou de rejet, et du train-train quotidien pour ouvrir les yeux et les oreilles du cœur : y aurait-il un feu qui ne s’éteint pas quelque part en nous ?   

Amen.

 

[1] 1 Co 15:10 Par la grâce de Dieu je suis ce que je suis, et sa grâce envers moi n’a pas été vaine ; loin de là, j’ai travaillé plus qu’eux tous ; non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi.

Za 4 :6 Ce n’est ni par la puissance, ni par la force, mais c’est par mon Esprit, dit l’Éternel des armées.

[2] Carlo Martini, Vie de Moïse, éd. Saint-Augustin, St. Maurice, 1994, p.13-14.

[3] Jocelyne Tarneaud, La Bible pas à pas, tome 3, Artège, Paris, 2015, p.53.

[4] Commentaire de Rachi sur Ex 2.14.

[5] France Pastorelli, Grandeur et servitude de la maladie, éd. Ouvertures, Mont-sur-Lausanne, 1987, p.59.

Autre citation sur Moïse à méditer de I. M. HaldemanHow to Study the Bible, 1904. The life of Moses presents a series of striking antitheses. He was the child of a slave, and the son of a queen. He was born in a hut, and lived in a palace. He inherited poverty, and enjoyed unlimited wealth. He was the leader of armies, and the keeper of flocks. He was the mightiest of warriors, and the meekest of men. He was educated in the court, and dwelt in the desert. He had the wisdom of Egypt, and the faith of a child. He was fitted for the city, and wandered in the wilderness. He was tempted with the pleasures of sin, and endured the hardships of virtue. He was backward in speech, and talked with God. He had the rod of a shepherd, and the power of the Infinite. He was a fugitive from Pharaoh, and an ambassador from Heaven. He was the giver of the Law, and the forerunner of Grace. He died alone on Mount Moab, and appeared with Christ in Judea. No man assisted at his funeral, yet God buried him. The fire has gone out of Mount Sinai, but the lightning is still in his Law. His lips are silent, but his voice yet speaks. The history of such a life is well worth attention, and the principles which underlie its antitheses, the closest study.

Inscrivez-vous à notre bulletin d'information

Vous recevrez par mail les informations utiles et importantes de notre paroisse, ainsi que des messages de la part de nos pasteurs (prières, méditations, ...)

Votre inscription nous est bien parvenue. A bientôt !