Prédication sur Mc 6,42 – 56 et Mt 4,1 (1-11)
Je suis dépassé… Jésus m’interroge-t-il sur ce qui nourrit mon engagement ?
Bien-aimés du Christ.
Lors de l’assermentation du CP à Fribourg, la pasteure Lamboley a prêché sur l’envoi des disciples en mission et sur la multiplication des pains, relevant que la mission du CP est double : l’annonce de l’Evangile libérateur et les affaires courantes avec les manques et besoins dont il faut s’occuper. Sa prédication m’ayant interpellé, je suis retourné dans le texte biblique et j’ai été surpris par la suite, à savoir le renvoi un peu brusque des disciples par Jésus. J’aimerais m’arrêter là-dessus ce matin.
Jésus oblige ses disciples à reprendre la mer pendant qu’il renvoie la foule. Mettons-nous un instant dans la scène : avec 5 pains et 2 poissons, Jésus nourrit 5000 personnes ; en fait, c’est les disciples qui distribuent. Est-ce que vous imaginez ce qu’ils ressentent en distribuant ces pains et poissons ? Il doit y avoir une excitation, une exaltation, une jubilation. C’est comme quand tu vis un moment très fort où tu as l’impression que les circonstances sont à tes pieds, t’obéissent et te remplissent d’une sorte de satisfaction inexprimable. Et voilà que Jésus actionne la douche froide ! – Allez, hop, au bateau… – Ah non ! pas maintenant, Maître… Pourquoi ?
Ça me fait penser à Moïse que Dieu informe qu’il verra la Terre Promise mais n’y entrera pas – 40 ans à servir fidèlement sans pouvoir accompagner le peuple en Canaan. Ça m’a aussi fait penser à Jésus qui juste après son baptême n’a pas le temps de savourer la parole que le Père lui a dite : Tu es mon fils bien-aimé en qui j’ai mis toute ma préférence, toute ma faveur.
A ma connaissance, c’est la seule fois dans les Evangiles où Jésus oblige ses disciples à faire quelque chose. Et le verbe contient vraiment l’idée de contraindre. Pourquoi donc ? D’autant qu’il sait bien que les vents seront contraires, non !?
Jésus veut prendre congé de la foule seul, comme on raccompagne des visites à la porte et qu’on leur dit au-revoir depuis le seuil. Il les a enseignés et nourris, et maintenant il les confie à Dieu et à leur liberté. Il n’exerce ni emprise, ni contrôle. Ce n’est pas par hasard qu’il monte ensuite sur la montagne prier. Il remet la suite des événements, la suite de la vie de cette foule à son Père. Cela ne lui appartient plus. Il confie la liberté de ces gens entre les mains du Père. Comme il a confié ses disciples à Dieu. Savoir laisser l’autre aller son petit bout de chemin. Savoir aussi laisser aller les circonstances. S’en remettre à l’autre avec un grand A ou non.
Revenons aux disciples sur leur barque. Il est symptomatique que le grec nous dise littéralement que Jésus voit qu’ils se tourmentent à faire avancer leur bateau. Ils se tourmentent pour remplir la mission qui leur a été confiée de traverser le lac. Il faut que ça avance, hop !. D’ailleurs, les disciples sont un peu comme ça : quand ça coince à leurs yeux, ils ont envie de faire avancer les choses à leur manière : utiliser la force pour parvenir à leur fin (faire descendre le feu sur les Samaritains – Luc 9,54) ou entrer dans une logique de la rentabilité (avec le prix d’un parfum on aurait pu mieux faire que de le verser sur les pieds du Maître, il aurait pu financer Caritas pendant une année – Mc 14,5).
En fait, Jésus les met dans cette situation. Pourquoi ? Quand il les rejoint, ils ont peur. C’est comme s’ils avaient oublié Jésus dans l’équation de leur mission.
Et Jésus veut les dépasser.
Serait-ce que parfois c’est nous qui voulons dépasser Jésus… aller au-delà de ce qu’il veut… aller au-delà de ce qu’il pense ou souhaite ? Aller au-delà de ce qu’il pense de nous ? Et on se prend alors la tête.
Serait-ce que Jésus envoie ses disciples sur le lac pour leur faire vivre une situation qui les remette en question ? Peut-être pour leur poser la même question qu’il a dû entendre au désert : Qu’est-ce qui nourrit ton engagement à mon service, toi mon Fils bien-aimé ? Qu’est-ce qui nourrit ton engagement à ma suite, toi mon disciple ?
Notre engagement de foi ou notre engagement au CP peut se nourrir de nos succès, d’objectifs que nous nous sommes fixés et que nous atteindrons coûte-que-coûte : montrer qu’on est capable, qu’on réussit. Notre engagement chrétien peut se nourrir d’extraordinaire. Notre engagement peut se nourrir de ces moments où nous savourons nos victoires, nos exaucements, nos impressions d’avoir eu raison et de vouloir surfer là-dessus. Notre engagement peut se nourrir de lui-même, c-à-d devenir une fin en soi.
Quand nous faisons du surplace, que le vent résiste, que nous voulons pousser, pousser… peut-être que Jésus nous invite à revoir ce qui nourrit notre engagement. Jésus nourrissait son engagement de son lien au Père.
Indépendamment que nous soyons membre du CP ou non, quand Jésus permet que nous traversions des circonstances qui nous résistent, des vents contraires, il nous interroge en même temps qu’il prie pour nous. Jésus le Seigneur, Dieu le Fils prie pour nous, pour toi son enfant, pour toi dans ta responsabilité de Conseiller, Conseillère de paroisse. Jésus nous voit nous tourmenter et il prie. Il prie en même temps qu’il s’approche de nous et nous fait comprendre qu’il veut passer devant.
Et quand nous ne comprenons pas, que nous avons peur ou que nous nous épuisons à pousser, à avancer, il s’approche de nous. Le verbe grec signifie en effet s’approcher mais aussi dépasser, passer devant. Quand il s’approche c’est qu’il veut passer devant. C’est quand il passe devant que le calme se fait. Quand nous retrouvons cette place à ses côtés, quand il redevient celui qui est tout pour nous. Quand il redevient pour nous le pain de vie, Celui qui nous arrache à ce qui nous enlève la liberté. Quand il redevient pour nous ce Sauveur sans lequel nous ne nous imaginons pas pouvoir vivre, sans lequel nous ne pourrions pas vivre. C’est quand il passe devant que le calme se fait. Quand il redevient ce Seigneur qui tient notre vie, notre engagement dans sa main. Quand il redevient le Seigneur, Dieu, Souverain, le Tout-Soucieux de son Eglise. Ce Jésus qui ne cesse de nous nourrir de son amour en même temps qu’il nous en fait les sommeliers et sommelières. Ce Jésus qui ne cesse de nous nourrir de son amour en même temps qu’il nous accompagne à la porte de notre liberté. Ce Jésus qui se plaît à nous associer dans notre petitesse et notre faiblesse à l’édification de son Règne. Ce Jésus qui se refuse catégoriquement à exercer la moindre emprise sur nous. Le calme se fait quand nous retrouvons notre place à côté de Lui et nous l’entendons nous répéter ce qu’il a entendu lui-même du Père : Vous êtes mes enfants bien-aimés en qui j’ai mis toute ma préférence, toute ma faveur.
Bien-aimés du Christ, quand le vent contraire souffle, quand la mission qui t’est confiée te semblent trop grande ou trop lourde, c’est que le Maître, le bon Maître, Jésus veut s’approcher et passer devant pour ramener le calme et t’emmener plus loin.
Que Jésus te bénisse sur ce chemin.
Amen.