Prédication sur Esaïe 43 et Luc 23.33-35

La Croix miroir de l’humanité et expression de l’indignation de Dieu.

 

Bien-aimés du Christ Jésus.

Vous connaissez tous cette expression : prendre sur soi les misères du monde, prendre sur soi les problèmes de tel ou tel. Prendre sur soi… Il faut un sacré coup de sensibilité, de compassion et de miséricorde pour prendre sur soi véritablement les misères d’autrui et les faire siennes. La guerre en Ukraine a suscité en nous un électrochoc de miséricorde. Soudain la misère de ce peuple nous réveille au fait que cela pourrait être la nôtre.

A la Croix, Jésus, Dieu fait homme, prend sur lui le mal, la violence de l’humanité. Il se les ramasse en pleine figure. Il les prend sur lui, il en est blessé. Le texte d’Esaïe est souvent compris comme annonçant que le Christ Jésus souffrirait à notre place. Ce texte nous annonce aussi autre chose : le Christ, le Serviteur de Dieu, le seul Juste souffre non à notre place, mais à cause de nous, prenant sur lui le mal habitant l’humanité, le mal habitant chacun de nous. Il en souffre. Il en meurt. La mort de Jésus est la réponse de Dieu au mal qui secoue l’humanité. La mort de Jésus est la réponse forte et dernière de Dieu au mal.

François Cheng, membre de l’académie française, dit ceci[1] : Christ est le Bien absolu répondant au Mal radical. Un jour, au sein de son humanité, Quelqu’un est venu accomplir l’acte absolu : affronter le Mal radical au nom de l’Amour absolu. Cet acte qui restituait à l’homme sa part divine était accompli une fois pour toutes ; personne ne peut aller plus loin. (…). Les rationalistes comptent sur la seule raison pour vaincre le Mal. C’est ignorer la complexité de l’âme humaine. (…) Toutes les idées absolues avancées par les humains portent leur germes d’injustice et de violence. L’arme absolue, le pouvoir absolu, l’ordre absolu de la révolution, etc. Tout cela comporte le danger de verser dans l’excès impérial. Mais l’Amour absolu, non le sentimental, le possessif, mais l’inconditionnel qui libère totalement, est l’unique puissance invincible et irréductible, à l’égal de celle qui meut le soleil et les étoiles.

Jésus, par sa mort, apporte la réponse de l’Amour absolu de Dieu au Mal radical de l’être humain. Jésus répond par l’Amour à la violence de ses ennemis. Il répond par le Pardon au mépris de ses ennemis. Jésus prend sur lui ce Mal, il ne le fuit pas, il en est blessé, il en meurt.

La Croix de Jésus dénonce le Mal qui nous habite. La Croix de Jésus nous tend un miroir sur ce dont nous sommes capables et que nous mettons en œuvre dans nos relations.

Jésus meurt, violé par nos fautes, par nos transgressions – on pourrait aussi traduire ainsi blessé par nos fautes. A la Croix, Jésus, Dieu fait homme, le Dieu d’amour et de sainteté, le Dieu de justice est violé par l’humanité. Violé, violenté, bafoué, profané par le Mal dont nous sommes les acteurs. Dieu, qui est Amour absolu et inconditionnel, prend ça sur lui. Il est écrasé par notre orgueil – ce refus en nous de reconnaître nos fautes, ce refus en nous de nous reconnaître limités, faillibles ; ce refus qui nous amène à discréditer autrui, à nous croire meilleur qu’autrui –  ce que vous avez fait au plus petit d’entre eux, c’est à moi que vous l’avez fait, dit Jésus. A la Croix, Jésus est brisé par notre intolérance, notre manque de respect pour lui et pour autrui – cet irrespect qui refuse à l’autre le droit d’être différent, d’être simplement qui il est et finit par l’exclure. A la Croix, Jésus fait les frais de nos peurs qui nous placent sur la défensive plutôt que dans la confiance. A la Croix, Jésus est brisé, abandonné, tué par nos lâchetés – ce mal qui nous habite et nous fait choisir le silence devant l’injustice dont autrui est victime, ce mal qui nous fait choisir d’être complice. La lâcheté, choisir de sauver sa peau en sacrifiant l’autre. Le tableau est sombre, oui. Sombre comme l’état dans lequel se trouve le monde. Et le monde c’est aussi nous, nous dans nos relations. Réfléchis juste un instant à ton orgueil, à tes lâchetés, tes peurs, tes intolérances, sans complaisance aucune – nous sommes si complaisant avec ce mal qui est en nous. Quand as-tu pour la dernière fois demandé pardon à quelqu’un en nommant spécifiquement le mal que tu lui as fait ? Demander pardon à Dieu pour le mal que tu fais à autrui et non à cet autrui ne sert à rien, c’est juste une autre lâcheté saupoudrée de religiosité dégoutante.

La guerre en Ukraine nous touche pareillement. Serait-ce parce qu’elle n’est que l’expression puissance mille de ce qui nous habite, de la violence qui nous habite.

A la Croix, Jésus, le fils de Dieu, le Seigneur, Dieu prend tout ce mal sur lui. Il ne le prend pas à notre place. Il le prend sur lui. Il en souffre, il en tremble, il en agonise. Dans son amour pour nous il en est anéanti. Dans son amour pour nous, il ne peut pas fermer les yeux sur ce mal. A la Croix, Dieu est tout sauf lâche. Il se laisse faire et nous tend un miroir pour nous montrer où tout cela conduit : à la mort, à la destruction de l’innocent, du prochain.

Jésus ne prend pas le mal sur lui, juste pour nous pardonner et nous permettre de continuer comme si rien ne s’était passé, ce serait un pardon qui déresponsabilise. Jésus donne sa vie à la Croix et cette croix se dresse comme un appel qui nous est lancé à la conversion la plus profonde. La Croix crie depuis 2000 ans : Convertissez-vous, changez radicalement votre façon de penser et d’agir, soyez miséricordieux comme je suis miséricordieux, car vous serez saints puisque moi votre Dieu je suis saint. La Croix crie la douleur de Dieu face au Mal dont nous sommes les auteurs, la douleur de ce Dieu qui nous aime et qui nous a fait à son image pour prendre soin les uns des autres.

A la Croix, Jésus nous montre le sérieux de l’amour de Dieu pour nous qui prend sur lui notre mal et lui répond par la non-violence. A la Croix, Jésus nous montre le sérieux de la sainteté de Dieu qui ne lâche pas un millimètre de sa bienveillance. A la Croix, Jésus nous montre le sérieux de la justice de Dieu qui nous laisse libres, libres pour tuer, mépriser, être orgueilleux et lâches… et qui nous en montre les conséquences, OU libres de nous repentir.

A la Croix, Jésus nous appelle à la conversion. Etty Hillesum disait qu’avant de vouloir changer le monde, nous devons extirper le mal qui nous habite. A la Croix, Jésus donne sa vie pour nous dire la réponse de l’Amour absolu au Mal absolu.

Venir à la Sainte Cène, commémorer sa vie donnée pour nous par Jésus une fois pour toute… c’est aussi s’interroger sur nous-mêmes et notre chemin de conversion. Non, Seigneur, je ne suis pas digne que tu viennes à moi, mais dis un seul mot et je serai guéri, guéri, C’est-à-dire restauré à ton image. Et ce mot, il l’a dit : Repentez-vous.

Jésus a pris sur lui la réalité du mal avec le plus grand sérieux, en lui répondant par l’Amour absolu. Et nous ses disciples ?… Il y a parfois des non-chrétiens qui comprennent avec plus de finesse l’Evangile que nombre de chrétiens. Par exemple, Gandhi – lequel aurait dit qu’il serait devenu chrétien s’il n’y avait pas eu le mauvais témoignage des chrétiens –, inspiré par la vie de Jésus, a dit : la non-coopération avec le mal est un devoir tout autant que la coopération avec le bien. S’opposer au mal par la violence ne fait qu’augmenter le mal et le mal ne se maintenant que par la violence, il faut, si nous ne voulons pas encourager le mal, nous abstenir de toute violence. C’est bien ainsi que Jésus, notre Seigneur, Dieu fait homme a répondu au mal à la Croix.

Jésus a donné sa vie pour nous dire son amour et son pardon. Mais n’imaginons surtout pas que c’est pour nous dédouaner et nous innocenter. Son amour et son pardon doivent nous conduire à la conversion de nos sombres profondeurs et de nos réflexes ténébreux. Son amour et son pardon doivent nous conduire à choisir résolument son camp. Sinon… sa vie donnée la Croix pour nous l’aura été en vain.  Sa vie donnée à la Croix veut nous restaurer à son image, non seulement nous réconcilier avec Lui, mais nous sauver, nous guérir, nous restaurer. Un christianisme qui te fait croire que tu es pardonné sans que ça te convertisse n’est qu’une grande farce.

Oui, Seigneur Jésus, tu es venu affronter le Mal radical au nom de ton Amour absolu. Merci, Seigneur. Merci, au sens de ‘reçois notre gratitude’. Mais merci aussi, au sens de ‘accorde-nous ta merci’.

Amen.

 

[1] Interview de François Cheng in Prier, n°419, mars 2020, p.18.

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