Prédication sur Mc 4,5 et 16 et Job 14,7-13+16

La non-présence à soi vs la promesse de vie de Jésus.

C’est l’histoire d’un jeune américain qui fait son service civil au fond de nulle part en Afrique. Aux USA, il est moniteur de sport chargé de dérouiller les élèves de son école. Arrivé dans ce village, il réalise, face à ces enfants pleins de vie et de mouvement, qu’ils sont déjà dérouillés. Il doit s’adapter. L’idée lui vient alors de leur proposer de lui enseigner l’art de jouer avec les 3 fois rien qu’ils ont à leur disposition : le vieux pneu, la vieille toupie, etc. Mais, non. Cela ne sied pas à l’expert moniteur qu’il est. Alors il se ressaisit, rassemble les enfants autour de lui, leur explique les règles de la course, les prix attendant les 3 meilleurs. Au coup de sifflet, les enfants s’élancent, mais en se tenant tous par la main. Histoire vraie qui illustre la difficulté de se laisser bousculer par l’autre, cet autre qui suscite tout de même en moi une envie, un étonnement, un appel[1].

On retrouve cela dans la parabole du semeur. Jésus nous dit que nous ressemblons parfois ce jeune-homme : un terrain qui reçoit la bonne nouvelle de l’Evangile avec joie, mais qui ne la laisse pas s’enraciner. Il y a des fuites qui sauvent la vie, comme devant un tigre, mais il y a des fuites qui nous coûtent la vie : la fuite devant soi-même[2]. Cette fuite devant soi-même qui n’est pas sans lien avec l’homme sans racine, qui reçoit avec joie l’Evangile, sans suite.

Varillon compare l’homme-terrain-pierreux à celui qui démarre à toute allure, mais ne résiste pas aux contradictions, aux sécheresses, au dégoût, à toutes les épreuves de la vie spirituelle[3].

J’ai combattu le bon combat. J’ai achevé ma course. J’ai gardé la foi (2Tim 4,7), dit Paul. J’ai gardé la foi. Il avait des racines. Je me suis posé la question : Et moi… ai-je gardé la foi à ce jour ? Et toi, sérieusement, sans complaisance, as-tu gardé la foi ? Ou la foi est-elle une habitude rassurante, sans plus ? Je me suis demandé : Ma pratique religieuse – prier, lire la Bible, participer à la vie de l’Eglise, etc. – est-ce juste une habitude qui me rassure ou cela produit-il un changement de vie ? Croire que Dieu m’aime inconditionnellement, est-ce juste pour me rassurer ou est-ce que ça produit un changement réel dans ma vie ? Le Règne de Dieu, la Présence de Jésus dans ma vie déploient-ils leur effet en moi ?

Quand nous découvrons quelque chose de nouveau et de bienfaisant, nous l’accueillons avec joie. La joie du nouveau. La joie la découverte. La joie de l’enfant devant la vie qui s’offre à lui. Mais cette joie devant la présence de Jésus ou du règne de Dieu qui se dévoile à nous, à certains moments de notre vie, ne signifie pas encore qu’elle prend racine en nous. La joie de me savoir aimé de Dieu, la joie de me savoir accompagné par le Seigneur, la joie d’expériences spirituelles intenses, ne signifie pas encore que le Seigneur a pu s’enraciner en nous. En réfléchissant, j’étais dérouté par Jésus qui nous appelle à le laisser lui, la Parole vivante de Dieu, s’enraciner en nous ; à laisser la Bonne Nouvelle de son amour s’enraciner en nous. Dérouté car j’ai été nourri de l’habitude que c’est moi qui doit m’enraciner en Lui – la parabole du cep et des sarments.

Mais dans cette parabole, c’est lui, sa Parole qui demande à s’enraciner en nous. Comme une graine pousse des racines dans le sol qui la reçoit. Le bon terrain met en valeur l’énergie qui est contenue dans le grain. Si la terre ne réagissait pas au grain de blé, celui-ci ne fructifierait pas[4]. Que fait la racine d’une plante ? Elle se nourrit de ce qui est dans la terre et le transforme. Jésus veut prendre ce que je suis, ce que tu es et le transformer pour son projet, pour son règne. Ou comme Paul le dit aux Ephésiens : Jésus prend notre vieil homme pour en faire un homme nouveau. Il prend ce que je suis pour le transformer par son amour. Je crois même que Jésus fait remonter à la surface les cailloux enfouis dans notre vie et qui nous empêche d’avancer dans la liberté.

Mais, qu’est-ce qui peut bien faire obstacle à laisser la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu s’enraciner en nous ? J’en vois 2.

  1. L’Evangile n’est pas un objet de consommation et de bien-être. Il est un projet d’amour entre Dieu et nous. L’amour de Dieu n’est pas destiné à notre jouissance personnelle et égocentrique. L’amour de Dieu pour nous est un projet. Un projet d’ajustement et de transformation. Côtoyer l’amour inconditionnel de Christ Jésus pour nous, c’est le laisser nous toucher, nous changer. Comme dit Christiane Singer, c’est lui ouvrir la cage de nos blessures, de nos peurs, de nos expériences négatives, de nos savoirs divers[5]. C’est dire : Mais qu’est-ce que son amour inconditionnel veut guérir, révéler, éclairer dans ma vie ? Qu’est-ce que son amour veut changer dans mes peurs et mes blessures ? Jésus veut déployer ses racines en nous. Ses racines vont aussi tenir ensemble notre vie, comme les racines des arbres empêchent les glissements de terrain. Son amour veut nous façonner, nous vivifier. Et cela dans une relation où nous nous ajustons peu-à-peu à Lui. Si l’évangile est pour moi un objet de consommation, une idée de plus, Jésus ne prendra pas racine.
  2. Un autre obstacle c’est la peur de faire face à soi-même. Comme Jacques le dit : la peur de se regarder dans le miroir de la Parole de Dieu. Ce n’est pas facile d’ouvrir la cage de nos blessures, de nos peurs et de nos expériences négatives et de regarder ce qu’elles ont fait de nous, comment elles nous ont façonnés négativement. Ce n’est pas facile de constater nos disfonctionnements. Ce qui aide c’est de se souvenir que faire ce travail n’a pas pour but de nous disqualifier mais de nous guérir, de nous transformer, de redonner vie à ce qui a été abimé en nous. Derrière cette difficulté se cachent peut-être la peur, l’appréhension du changement, de la conversion que le Seigneur pourrait vouloir m’imposer. Mais Dieu n’impose rien. Il attire par amour[6].

Ce qui m’amène à nous proposer quelques pistes pour nous encourager à enlever les cailloux de la terre de notre vie pour que la vie de Christ et son amour puissent y étendre leurs racines.

La 1ère. Repérons nos cailloux qui ne sont pas loin de la surface de notre vie. Comment les repérer ? En examinant nos blessures, nos peurs, nos expériences négatives et ce qu’elles ont fait de nous. Ces blessures, peur et expériences se manifestent dans nos disfonctionnements, dans ces façons de fonctionner que nous avons et qui nous font souffrir ou nous handicapent.

Cessons de voir les cailloux comme des sujets de tristesse, mais regardons-les comme des occasions de voir le Seigneur agir en nous. Oui, il y a des cailloux que nous n’aimons pas regarder en face dans notre vie, mais laissons le Seigneur nous surprendre si nous osons cet exercice. Dieu veut nous sortir des marécages de la désespérance, dit Christiane Singer[7]. Remercier le Seigneur pour sa présence et son action régénératrice dans ma vie facilite l’enracinement de Christ en nous.

La 2e. On ne peut dépierrer d’un seul coup un jardin. Expérience faite, chaque année je trouve de nouveaux cailloux dans mon jardin potager. Il est illusoire de penser que nous pouvons tout résoudre d’un coup dans notre vie. Seule la patience donne du fruit, seule la durée[8]. C’est aussi un exercice d’humilité. Occupons-nous d’un caillou après l’autre. Parfois, enlever un caillou prend des mois, voire des années. Mais la grâce du Seigneur, sa bienveillance nous sont acquises. Seigneur, merci parce que tu ne te fatigues pas à travailler ma vie en y prenant racine… Merci parce que tu en connais les difficultés. Je proclame ta présence et souveraineté sur ma vie.

Troisièmement. Je trouve Job touchant : il ne connaît pas toute la richesse de la grâce et du pardon de Dieu. Et il dit avec ses mots à lui : Si seulement, Seigneur, tu étais pardon et amour, tu serais comme l’odeur de l’eau qui rend la vie à mes racines desséchées. Qu’en est-il de l’eau de ton baptême ? Ce baptême qui te rappelle que Dieu t’a adopté comme son enfant bien-aimé. Qu’il a fait alliance avec toi pour que tu revives. Ce baptême, même que je ne m’en souviens pas, c’est Dieu qui m’a ouvert les bras et qui me garde ses bras ouverts ; c’est Dieu qui a prononcé son amour et sa bienveillance sur moi.

Au-delà de nos échecs, des mots auxquels nous survivons, au-delà des cailloux peuplant nos vies, au-delà des désastres de nos biographies, il existe un espace et une promesse que rien ne menace, que rien n’a jamais menacé et qui n’encourt aucun risque de destruction, un espace et une promesse intacts, l’espace et la promesse de l’amour qui a fondé notre être[9].

Ne laissons ni les difficultés de la vie, ni les résistances qui nous habitent nous empêcher d’habiter cet espace et cette promesse.

Amen.

 

 

[1] Raconté par Christiane Singer, Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ? Albin Michel 2001, p.69-73.

[2] Christiane Singer, op.cit., p.10.

[3] François Varillon, Jésus, méditations, Bayard, 2018, p.227.

[4] François Varillon, op cit. p.230.

[5] Christiane Singer, op.cit., p.57.

[6] L’amour nous offre la chance de mourir sans avoir à y laisser la vie, dit Christiane Singer, op.cit., p.52.

[7] Christiane Singer, op.cit., p.11.

[8] Christiane Singer, op.cit., p.79.

[9] Je m’inspire ici de ce paragraphe de Christiane Singer, op.cit., p.63 : Ce que j’appelle amour est entier dans cette phrase d’un rabbin rescapé d’un camp de la mort : « La souffrance a tout calciné, tout consumé en moi, sauf l’amour. » Si cette phrase nous atteint de plein fouet, c’est que nous sentons bien combien nous sommes loin des représentations, du décorum de l’âme. L’amour est ce qui reste quand il ne reste plus rien. Nous avons tous cette mémoire au fond de nous quand, au-delà de nos échecs, de nos séparations, des mots auxquels nous survivons, monte du fond de la nuit comme un chant à peine audible, l’assurance qu’au-delà des désastres de nos biographies, qu’au-delà même de la joie, de la peine, de la naissance et de la mort, il existe un espace que rien ne menace, que rien jamais n’a menacé et qui n’encourt aucun risque de destruction, un espace intact, celui de l’amour qui a fondé notre être.

 

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