Prédication sur Jean 14.27-31 et 16,32-33 et  1Th 5.3-6a

La paix du Christ ou oser faire face à nos violences.

Bien-aimés du Christ,

Ce matin, je poursuis notre réflexion sur la paix. Cette paix qui manque si cruellement à notre planète. Jamais le nombre de conflits armés n’a été aussi important. Jusqu’à la guerre en Ukraine, on ne ressentait pas trop le poids de ces conflits ici. Cette guerre nous a surpris, un peu comme le dit ce verset biblique : Quand les gens diront « Tout est en paix et en sécurité » c’est alors que la ruine s’abattra sur eux (1Thes 5,3). Parce que, la paix n’est jamais un produit fini, mais toujours l’enfant d’une démarche, disais-je il y a 2 semaine. S’habituer à la paix, c’est oublier de la rechercher et d’y travailler. S’habituer à la paix c’est risquer de s’installer dans une fausse paix qui peut se réduire à un bien-être matériel, économique ou un stabilité politique. Dans notre relation à Dieu, s’habituer à la paix peut nous conduire à la grâce à bon marché : Dieu a déjà tout pardonné, on est des bons…

La fausse-paix est subtile et perverse. Je ne résiste pas à l’envie de vous lire ce texte du poète français René Daumal, cité par Martin Steffens dans son livre sur le combat spirituel[1].

Voyez la paix qu’on me propose.

Fermer les yeux pour ne pas voir le crime.

S’agiter du matin au soir pour ne pas voir la mort toujours béante.

Se croire victorieux avant d’avoir lutté.

Paix de mensonge !

S’accommoder de ses lâchetés, puisque tout le monde s’en accommode.

Paix de vaincus.

Un peu de crasse, un peu d’ivrognerie, un peu de blasphème,

sous des mots d’esprit, un peu de mascarade, dont on fait vertu,

un peu de paresse et de rêverie, et même beaucoup si l’on est artiste,

un peu de tout cela, avec, autour, toute une boutique de confiserie de belles paroles,

voilà la paix qu’on me propose.

Paix de vendus !

Et pour sauvegarder cette paix honteuse, on ferait tout,

on ferait la guerre à son semblable.

Car il existe une vieille et sûre recette pour conserver toujours la paix en soi :

c’est d’accuser toujours les autres.

Paix de trahison !

C’était la paix régnant dans notre Occident et celle régnant parfois en nous.

Ce n’est pas la paix que Jésus apporte et veut nous donner. Regardons.

Alors que Jésus vient de laver les pieds de ses disciples, que Judas est sorti pour le trahir, que l’inquiétude monte dans le cœur des disciples parce que il leur a dit qu’il allait s’en aller… il leur dit : C’est la paix que je vous laisse, c’est ma paix que je vous donne. Je ne vous la donne pas à la manière du monde. Ne soyez pas inquiets, ne soyez pas effrayés. Plus loin, Jésus termine ainsi son enseignement, juste avant de prendre le chemin de Getsémané : Je vous ai parlé ainsi, pour que vous ayez la paix en moi. Vous aurez des tribulations dans le monde ; mais prenez courage, moi, j’ai vaincu le monde.  Quelle est cette paix que Jésus veut nous donner ? Quelle est cette paix à laquelle Jésus nous appelle ? Paix en son absence, paix au milieu des tribulations… Drôle de paix…

Jésus dit : je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. D’abord une petite précision. Je vous laisse : le verbe grec comporte l’idée de laisser aller sans exercer de contrôle sur ce qu’on laisse aller. Comme si Jésus disait : Je vous laisse la paix… A vous d’en prendre soin. Nombre de chrétiens limite cette paix au fait que Dieu a pardonné nos péchés et nous a réconciliés avec lui. Mais cette paix, c’est bien plus que ça…

Maurice Bellet, dans son livre, Je ne suis pas venu apporter la paix[2], écrit : Vouloir la paix… Ce n’est pas négation du conflit, c’est sa reconnaissance au contraire, et la plus aiguë. C’est démasquer la haine. Construire la paix est le combat le plus âpre qui soit, sans les armes de la mort.

Et René Daumal d’ajouter :

Celui qui a déclaré cette guerre en lui, il est en paix avec ses semblables, et,

bien qu’il soit tout entier le champ de la plus violente bataille,

au-dedans du dedans de lui-même règne une paix plus active que toutes les guerres.

Et plus règne la paix au-dedans du dedans, dans le silence et la solitude centrale,

plus fait rage la guerre contre le tumulte des mensonges et l’innombrable illusion.

Pour nous donner cette paix, Jésus a mené ce combat, pour nous, avant nous, aux yeux de tous, dans sa Passion. Il a mené ce combat à la Croix pour démasquer nos haines, nos violences, nos jalousies, nos peurs, etc.

Le combat de Jésus dans sa Passion nous ouvre le chemin pour mener notre propre combat, en étant assuré de l’amour de Dieu pour nous, de sa bienveillance envers nous. La paix que Jésus nous donne est concomitante du combat auquel il nous invite.

Arrêtons-nous un instant sur le combat de Jésus, qui nous ouvre le chemin.

Il y a d’abord le lavement des pieds de ses disciples. Jésus lave les pieds de Judas, qui, il le sait bien, va le trahir. On a vite dit que Jésus est Dieu

et parfait. Jésus est aussi le Fils de l’Homme, humain jusqu’au bout de ses émotions et de ses craintes. Quelle lutte intérieure a dû être la sienne à ce moment-là ? Qu’est-ce qui s’est déchainé en lui à ce moment-là ? Voir en Judas cet homme digne d’être aimé et sauvé comme les 11 autres.

Puis il y a Getsémané et le fameux Père, non pas ma volonté, mais ta volonté. L’Ecriture nous montre clairement là l’envie de Jésus de fuir la souffrance qui l’attend, son angoisse, son combat où sa sueur se fait sang. Jusqu’à ce que son combat se fasse abandon entre les mains du Père. Le mouvement d’abandon suppose de voir la réalité bien en face dans la lumière de Dieu. Il commence souvent par la révolte, les larmes et le désarroi[3]. Puis tu t’abandonnes à Dieu en le laissant petit à petit assumer. S’abandonner au Dieu qui nous aime et qui nous l’a montré en se donnant à la Croix pour nous.

Puis, il y a le renoncement de Jésus à convoquer les anges pour le défendre, c-à-d pour faire violence à la violence des hommes, avec les armes de la mort. Ce renoncement culmine dans le Père pardonne-leur ils ne savent pas ce qu’ils font. Paix qui laisse à Dieu le soin de faire justice, de convaincre, de faire plier. Jésus peut aller jusque-là car il s’est lui-même plié à son Père. Il a renoncé à faire violence à Dieu. Il a renoncé à toute violence qui aurait pu sourdre en lui. Jésus va même renoncer à se justifier devant Pilate : celui qui le justifiera saura le faire en temps voulu.

Son pardon est aussi lucidité sur le mal subi. Lucidité d’un Dieu bienveillant et miséricordieux.

La paix que Jésus nous donne prend corps en nous quand nous adoptons le regard de Dieu sur les autres, quand nous renonçons à notre volonté pour la sienne – parfois dans les larmes – et quand nous renonçons à utiliser les armes de mort, ces armes qui disqualifient autrui.

Jésus nous ouvre le chemin de sa paix. Sa paix ne s’accommode pas de nos violences. Mais elle y répond par l’Amour. Nos violences ferment les yeux sur le malheur d’autrui, nos violences se donnent le droit d’écraser autrui par notre volonté d’avoir raison, nos violences refusent des pardons à autrui. Nos violences sont multiples, dit Maurice Bellet.

Et lorsque nous venons à la Ste Cène, nous devrions nous souvenir que Jésus s’est donné certes, mais il a aussi été l’objet de toutes nos violences absurdes et folles. Le pain et le vin que je reçois me disent l’amour de Dieu qui s’oppose à mes violences pour me conduire à la paix les dépassant. Le corps et le sang de Jésus dénoncent nos violences cachées, connues que de nous-mêmes, en même temps qu’ils pardonnent.

Jésus nous donne sa paix, pas comme le monde la donne. Il donne sa paix qui nous pousse à un combat spirituel avec nos propres violences et nos propres disfonctionnements, duquel elle en ressort fortifiée.  ./.

Prions : Seigneur, dans un instant, nous allons célébrer la Ste Cène. Il y a peut-être des combats que nous menons en nous avec nos violences qui prennent tant de formes différentes. Nous te demandons ta paix. Pas une paix facile. Ta paix qui nous transforme, nous guérit, nous fait renaître. Ta paix, celle-là même qui t’a rempli quand tu t’es abandonné au Père, car Tu savais que Sa puissance de résurrection serait la plus forte. Donne-nous ta paix qui nous permette d’affronter nos combats assurés que ta puissance prévaudra d’une façon ou d’une autre. Amen.


[1] Martin Steffens, Rien de ce qui est inhumain ne m’est étranger, éd. Points Sagesses, Paris, 2016, p.139.

[2] Maurice Bellet, Je ne suis pas venu apporter la paix. Essai sur la violence absolue, Albin Michel, Paris 2009, p.179.

[3] Jean-Claude Boulanger, La prière d’abandon, DDB, Paris, 2010, p.11.