Prédication sur 1Co 11,17-33 / Jean 13.34.35 et 20.21

La Cène, une histoire à vivre entre nous en témoignage pour le monde.

Bien-aimés du Christ,

Le groupe de jeunes a réfléchi ces derniers temps à ce qu’est l’Eglise, l’ekklesia. Ekklesia signifie littéralement : l’assemblée de ceux qui sont appelé à sortir, de ceux qui se démarquent. L’Eglise, assemblée des disciples de Jésus appelés à se démarquer. De quoi ? A Corinthe les chrétiens se réunissent pour devenir pires et non meilleurs… Le constat de Paul est terrible. Essayons de comprendre et de voir si nous serions aussi un peu concernés.

L’Eglise de Corinthe est une communauté très divisée.

  • Il y a ceux qui sont adeptes de Mehdi ou de Doan, de Gérard ou d’Emmanuel… Euh… Pardon… Je voulais dire les adeptes de Paul, d’Apollos, de Cephas et ceux qui ne jurent que par leur ligne directe avec Christ.
  • Il y a ceux qui sont adeptes d’une louange moderne et ceux qui ne jurent que par l’orgue… Enfin… Je voulais dire ceux qui pensent que le culte doit tourner autour d’une forme traditionnelle d’écoute de la Thora ou du sermon, et ceux qui trouve que l’important c’est de laisser les dons de l’Esprit comme la prophétie, le parler en langue ou la guérison s’exprimer.
  • Il y a ceux qui trouvent normal d’aller à la Pride ou à la Love Parade et ceux qui estiment que ce serait se souiller… Enfin… je voulais dire : ceux qui pensent que participer socialement aux festivités païennes[1] ne posent pas problème et ceux qui y voient un péché.
  • Et il y a les riches et les pauvres, les esclaves et les citoyens libres.
  • On se bat sur une multitude d’opinions[2].

Vous comprenez donc que les divisions de Corinthe ne nous concernent pas… Cela fait mal à Paul. Cela doit faire mal au Seigneur aussi. Ce qui se passe à Corinthe ne cesse de se répéter dans l’histoire de l’Eglise.

Autre élément du contexte historique. Dans le monde antique, la famille est plus large que la famille de sang : font partie de la famille les esclaves, les affranchis, les amis ou relations d’affaires du chef de famille. A l’époque, l’Eglise se réunit chez les membres aisés qui ont de la place pour. Ces chefs de famille gèrent les rencontres selon leurs intérêts personnels, favorisant les uns et méprisant les autres. La Ste Cène étant prise lors d’un repas commun, elle devient le lieu où s’expriment les divisions.

Paul se fâche. Avec raison. Parce que pour lui, l’Eglise est le corps du Christ unissant les chrétiens ; elle est la famille des enfants de Dieu se réunissant autour du Père Céleste ; elle est le lieu choisi par Dieu pour nous faire grandir et murir. L’Eglise c’est la famille structurée autour de Jésus et non autour de nos affinités personnelles. Paul se fâche et il pose la Ste Cène comme ce qui questionne notre façon d’être ekklesia, comme ce qui doit nous rendre meilleurs et non pires.

Jésus institue la Ste Cène pour que nous nous rappelions qu’il a donné sa vie pour nous à la Croix, pour nous dire son amour et son pardon. Pour nous rappeler qu’il nous a aimés jusqu’à la mort. Elle témoigne de la grâce de Dieu, dit Calvin. Elle est la manifestation visible de la grâce invisible[3]. Elle est parole visible de Dieu. Elle me rappelle que Jésus a donné sa vie pour moi et toi car nous sommes pécheurs, tous, à côté de la plaque, à côté du projet que Dieu a pour moi… et qu’il nous fait grâce, qu’il refait alliance, une nouvelle fois, avec nous. Pour repartir à zéro.

Autour de la table de la Cène, nous sommes tous nécessiteux de la grâce. Tous. Jésus donne sa vie pour chacun et chacune d’entre nous. Parce que sans cette grâce, nous serions perdus, abandonnés à nos travers, à nos égoïsmes, à nos égocentrismes, à nos préférences mesquines. A la Cène, Dieu manifeste que dans son amour il est venu à notre rencontre, à la rencontre de notre pauvreté, de nos lenteurs, de nos résistances, de nos désobéissances, de nos incrédulités. Il s’est donné pour nous. Comment pourrions-nous donc pavoiser, jouer les fiers et nous croire meilleurs les uns que les autres ? Se croire meilleur que l’autre ce n’est ne pas voir que l’autre fait partie du corps de Christ comme moi… c’est ne pas discerner le corps du Christ.

Cela fait dire à Paul : Attendez-vous les uns les autres (1Co 11,33). Attendre qqn c’est lui montrer qu’il est important pour nous. Attendre qqn c’est lui montrer qu’il a une place parmi nous ou dans notre projet. Attendre qqn pour le recevoir chez soi, pour lui faire une place dans son cœur, dans sa prière, dans sa compassion ou dans son amour. La Cène c’est un lieu où les membres de la communauté paroissiale proclament qu’ils veulent s’attendre et se recevoir mutuellement. S’attendre c’est aussi faire preuve de patience. Par ex., avec celui qui n’a pas encore compris ce que je crois avoir compris ; qui ne croit pas encore ce que je crois ; dont la vie ne reflète pas encore ce que je crois qu’elle doit refléter selon mon standard de sainteté. On attend qqn parce qu’on ne veut pas partir sans lui, parce qu’on a décidé qu’on veut arriver avec lui à destination. Attendre l’autre est signe d’amour, de charité. Ce n’est pas fermer les yeux sur les différences, c’est dire que j’accueille l’autre dans sa différence et veux construire le Règne de Dieu avec lui, avec elle.

C’est pour ça que Paul nous invite à nous examiner nous-mêmes avant de venir à la Cène. Juste pour prendre conscience que le pécheur, ce n’est pas seulement l’autre, c’est moi aussi ; que le déviant ce n’est pas seulement l’autre, c’est moi aussi. Que j’ai moi aussi besoin qu’on m’attende, car je n’ai pas encore atteint la perfection. S’attendre les uns les autres c’est aussi grandir ensemble, s’enrichir les uns les autres.

La Cène communique une histoire au monde, l’histoire d’un amour disposé au sacrifice qui a vu Jésus donner sa vie pour nous[5]. L’histoire d’un Dieu qui a choisi de nous attendre dans son amour infini, parce qu’il ne veut pas arriver à destination sans nous. Une histoire que nous voulons vivre entre nous aussi, car nous avons compris que l’autre est aussi au bénéfice de la grâce de Dieu. Une histoire qui a le pouvoir de changer le monde. Imagine un instant si on s’attendait les uns les autres… Si les forts attendaient les faibles, si les riches attendaient les pauvres, si les jeunes attendaient les vieux et vice-versa, si chacun attendait celui ou celle qui ne pense pas, ne fait pas, ne parle pas, ne réagit pas comme lui. Si dans un couple en tension on s’attendait mutuellement…  Cela changerait le monde.

Amen.


[1] C’est la problématique corinthienne du : Est-ce qu’il est juste comme chrétien de participer aux repas vécus souvent en lien avec un sacrifice offert à une divinité grecque ? Estimer que manger de la viande sacrifiée à une divinité païenne est interdit pour un nouveau chrétien, c’est l’amener à se couper d’une grande partie de sa vie sociale.

[2] 1Co 11 : 18  D’abord, j’apprends que lorsque vous vous réunissez en Eglise, il y a parmi vous des divisions* –– et je le crois en partie. 19  Il faut bien qu’il y ait aussi des dissensions** entre vous, pour que ceux d’entre vous qui résistent à l’épreuve puissent se manifester.

* schisma scisma déchirure, division, dissension

** hairesis airesiv action de prendre ou de choisir, choix, secte (groupement de ceux qui ont fait choix des mêmes principes), dissensions survenant de la diversité des opinions et buts. Vient du verbe haireomai aireomai préférer, choisir, choisir par vote

[3] Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, XIV,1-2 et 6, Kerygma, Aix-en-Provence, 2009, p.1202-1203 et 1206.

[5] Thomas Schreiner, 1 Corinthiens, Commentaires Tyndale du Nouveau Testament, Maison de la Bible, 2020, p.315.

Ed Kivitz dit que la Cène est un sermon muet, la célébration du pardon des péchés et son intégration dans et par la communauté. Ed René Kivitz, Nasce uma igreja, Sepal, Sao Paulo, 1992, p.161.