Prédication sur Genèse 50,15-19 / Osée 11.1-9 / Luc 19.37-44

L’Amour m’a souhaité la bienvenue, mais mon âme a reculé (G.Herbert).

Bien-aimés du Christ.

L’Amour m’a souhaité la bienvenue, mais mon âme a reculé, coupable, dans sa poussière et son péché. Cette citation du poète anglais George Herbert[1] m’a arrêté net. Est-ce ça t’est déjà arrivé que l’Amour te souhaite la bienvenue et que ton âme recule ? Je pense que si tu es marié ça doit t’être arrivé à coup sûr. Ton conjoint t’accueille avec amour et pour une raison qui lui échappe, tu l’ignores. Expérience douloureuse de l’amour blessé.

L’Amour m’a souhaité la bienvenue, mais mon âme a reculé, coupable, dans sa poussière. C’est aussi ce qui se passe avec les frères de Joseph qui mettent en doute son amour, qui ne croient pas à son pardon, à sa bonté, qui laissent leur méfiance parler plus fort que sa bienveillance, qui se refusent à le reconnaître pour qui il est au plus profond de lui-même, un frère aimant et prévenant. Un frère qui, certes, a eu un double rêve lui disant qu’un jour il serait en position d’autorité sur ses frères –  ce qui déclencha leur jalousie assassine – mais qui ne s’est pas prévalu de sa position pour les maltraiter. 

Les frères de Joseph ont déjà eu l’occasion de vérifier plusieurs fois sa bienveillance et son pardon. Maintenant que leur père est mort, les voilà qui projettent sur Joseph malice et perversité. Joseph en pleure. Amour blessé de rejet. Bienveillance soupçonnée de fausseté. Joseph pleure. D’ailleurs Joseph a déjà pleuré plusieurs fois d’amour.

Ses frères ont déjà eu un aperçu de son cœur plein de compassion, et c’est comme si, soudain, ils s’y refermaient.

L’Amour m’a souhaité la bienvenue, mais mon âme a reculé, coupable, dans sa poussière et son péché.

Jésus, aussi, pleure. Devant Jérusalem. Si seulement tu comprenais toi aussi, en ce jour, comment trouver la paix ! (Luc 19,42).

Jésus pleure. Sans aucun doute sur nous aussi, sur notre monde. Sur son Eglise aussi.

Jésus pleure sur Jérusalem, sur ses contemporains qui ont bénéficié de ses miracles, qui ont vu son amour en action, mais qui n’ont pas été plus loin que d’en profiter, sans vouloir comprendre. Et nous, serions-nous meilleurs ?

Jésus pleure sur ses contemporains qui refusent de reconnaître sa volonté de salut pour la nation, pour chacun et chacune, du plus méprisable au plus honorable dans leur échelle de jugement. Ils voulaient un Sauveur qui atomiserait ses adversaires. C’était oublié qu’ils auraient été les 1ers atomisés. Illusion arrogante qui se prend à pouvoir se classer soi-même parmi les sauvés et les autres parmi les damnés. Serions-nous meilleurs qu’eux? Ne rêvons-nous pas d’un Sauveur qui en imposerait ?

Jésus pleure sur la dureté de Jérusalem et des conséquences que cela aura pour elle. Les pierres parleront, oui les pierres parleront quand la ville sera détruite et que les montagnes seront ébranlées. La pierre parlera aussi quand elle roulera pour libérer le passage au Ressuscité.

L’Amour m’a souhaité la bienvenue, mais mon âme a reculé, coupable, dans sa poussière et son péché. Notre âme serait-elle différente ?

Le centurion a reconnu Jésus comme le Fils de Dieu Sauveur après que Jésus rendit son dernier souffle. Quand Dieu s’est tu, quand il s’est laissé enfermé dans le silence de la mort. Combien de fois ne mesurons-nous la valeur d’un amour seulement quand on l’a perdu ? Faudra-t-il que le ce monde perde totalement le sens de la miséricorde pour valoriser ce qu’il aura perdu ?

L’Amour m’a souhaité la bienvenue, mais mon âme a reculé, coupable, dans sa poussière. C’est quoi qui peut nous amener à cette froideur ? Nous avons étudié ensemble les lettres de Jésus aux Eglises de l’Apocalypse et avons vu que le 1er danger qui nous menace comme disciple c’est de perdre notre 1er amour pour Jésus. Comment glissons-nous vers la perte de notre 1er amour pour lui ?

St. Augustin compare le 1er pas dans cette direction à un couple amoureux[2]. Le jeune homme offre une magnifique bague à sa bien-aimée. Peu à peu, regardant sa beauté, elle en est subjuguée, et son cœur glisse progressivement de son bien-aimé au cadeau qu’il lui a fait. Drame de la grâce de Dieu aimée pour elle-même, oubliant le prix que Christ a payé pour nous la donner : sa vie donnée à la Croix. Combien de bienfait notre monde doit-il à la révélation judéo-chrétienne, tout en rejetant le Dieu d’Amour. On se réclame des droits de l’homme, de l’égalité homme-femme, du respect des ennemis, de l’accueil des migrants, de la proportionnalité des peines, du droit au repos, de la démocratie, du droit à la liberté d’expression, etc. et on oublie que tout cela on le doit à la révélation judéo-chrétienne du Dieu d’Amour, qui nous accorde la liberté de même le rejeter… sans pour autant nous atomiser.

Ou alors nous transformons l’amour de Jésus en une vérité cérébrale. L’amour de Jésus pour nous c’est un truc que j’ai appris au caté, c’est une vérité que j’ai lue dans la Bible. Mais ça ne m’impacte plus. L’amour de Jésus pour toi, pour moi, nous ne pouvons pas les saisir par la pensée, seulement par l’amour que nous lui rendons et qui nous engage. Je t’ai aimé de toutes mes forces sur la Croix, nous dit Jésus. Cela ne se rationnalise pas. Cela se reçoit.

L’Amour m’a souhaité la bienvenue, mais mon âme a reculé…  

Il se peut aussi que nous nous jugions indigne de l’amour que Dieu a pour nous. John Stroyan, évêque anglican, dit : Nous n’avons pas besoin de changer pour que Dieu nous aime, mais l’expérience de l’amour de Dieu nous changera[3]. Cela me fait penser à ce que rabbi Bounam de Pjyzha dit : La grande faute de l’homme, ce n’est pas tant les péchés qu’il commet. Non. La grande faute de l’homme, c’est de pouvoir à tout instant retourner vers Dieu et de ne point le faire[4].

Finalement, je crois que ce qui fait le plus pleurer le Christ c’est quand nous projetons sur lui notre malice et que nous attribuons au Seigneur Dieu des attitudes qui sont les nôtres : non fiabilité, opportunisme, manipulation, culpabilisation, condamnation, etc. Alors qu’à la Croix, Jésus s’est donné totalement, qu’il a pardonné sans retour, qu’il a été au bout de ce qu’il avait enseigné, au bout de son amour pour notre liberté. N’oublions jamais cela : Jésus notre Sauveur a affronté la mort parce qu’il nous laissait libre de le rejeter ; il a affronté la mort pour nous dire avec son pardon que son amour pour nous est plus fort que le mal qui nous habite. Sa mort à la Croix nous invite aussi à la repentance.

Nos vies de chrétien et chrétienne ne ressemblent-elles pas trop souvent à une sorte de karaoké spirituel ? Nous essayons de chanter une partition que nous n’habitons pas, ou qui ne nous possède pas. Nous avons besoin d’apprendre à réentendre le cri d’amour désespéré du Fils de l’Homme qui est aussi Dieu le Fils, ce cri qui traverse les âges : Je vous ai tant aimés que j’ai donné ma vie pour vous, je pardonne, j’ai soif… j’ai soif de votre confiance et de votre engagement à mes côtés. J’ai tout donné. Ce cri que Dieu fait entendre déjà dans le prophète Osée. Le cri du prix de la grâce. Le cri de l’Amour d’un Dieu qui ne veut pas nous voir nous perdre, qui attend le cri de notre foi plutôt que le cri des pierres de ce monde qui s’écroule.

Je cite encore Stroyan : L’amour de Dieu pour nous est passionné et profondément coûteux. Dieu aspire à une réponse. Bien que cela puisse paraître une formule banale, sa demande d’une réponse (RSVP !) est écrite dans le sang du Christ versé sur la croix. Il ne suffit pas de reconnaître cela ou de le recevoir comme quelque plat spirituel tout cuit à consommer. Nous sommes appelés à répondre à cet amour et à le faire de tout notre cœur.

Stroyan de citer encore un poète américain :

Rien n’est plus concret que de trouver Dieu,

que de tomber amoureux , d’une manière tout à fait absolu et définitive.

Ce dont vous êtes amoureux, ce qui saisit votre imagination, va tout affecter.

Cela déterminera ce qui vous fera sortir du lit le matin,

ce que vous ferez de vos soirées,  comment vous passerez vos week-ends,

ce que vous lirez,

qui vous rencontrerez,

ce qui vous brisera le cœur,

et ce qui vous comblera de joie et de gratitude.

Tombez amoureux, restez amoureux, et cela décidera de tout[5].

L’Amour de Dieu m’a souhaité la bienvenue, mon âme reculera-t-elle ou l’accueillera-t-elle dans un élan de joie et d’abandon de soi ?

Amen.

 

[1] Cité par John Stroyan, Retournés par l’amour divin, éd. Olivétan, Lyon 2022, p.169.

[2] Op cit, p.171-176

[3] John Stroyan, Retournés par l’amour divin, éd. Olivétan, Lyon 2022, p.181.

[4] Buber, Récits hassidiques, vol. 2, p.235.

[5] Poème de Joseph Whelan cité par par John Stroyan, Retournés par l’amour divin, éd. Olivétan, Lyon 2022, p.186.

 

Inscrivez-vous à notre bulletin d'information

Vous recevrez par mail les informations utiles et importantes de notre paroisse, ainsi que des messages de la part de nos pasteurs (prières, méditations, ...)

Votre inscription nous est bien parvenue. A bientôt !