Prédication sur Mc 6.6-7 12-13 30-42

Le repos ce n’est pas des vacances.

 

Bien-aimés du Christ,

Philippe Lefebvre, prof. de théologie à Fribourg, disait dans un article que le repos ce n’est pas des vacances[1]. Ah bon ?… A priori les vacances c’est fait pour se reposer, non ? Enfin… c’est ce qui me semble. Ah !… petit détail… Lefebvre dit : Le repos c’est pas des vacances, il parle du repos pas des vacances. Qu’est-ce que vous en pensez ? Le repos, pas des vacances ?

Voyons cela ensemble.

Jésus dit ici à ses disciples : Venez à l’écart dans un lieu désert et reposez–vous un peu. Rejoignons un instant les disciples auprès de Jésus à ce moment-là.

Les disciples de Jésus ont été envoyé en mission et ont chassé des démons et guéris des malades par la prière. Les voilà de retour vers Jésus. Imagine-les. Heureux comme des pinçons. Fiers comme des coqs. Bavards comme des pies. Ils ont tellement à raconter. Ils ont vécu tant de choses. Ils sont pleins d’émotions, tout excités. Et puis… il y a tous ces gens autour d’eux qui écoutent leurs récits avec une attention soutenue, les yeux grands ouverts. On n’avait pas encore entendu pareilles histoires. Peut-être qu’une attente se met à traverser la foule pour que les disciples réalisent ici ce qu’ils disent avoir fait là-bas. Ils ressentent peut-être une pression. Ils sont le centre des attentions. Et il y a aussi tous ces curieux qui s’arrêtent juste un instant. Ne faudrait-il pas forcer un peu le trait de ce qu’on raconte pour qu’ils s’intéressent vraiment ?…

Et voilà que Jésus leur dit : Venez à l’écart dans un lieu désert et reposez–vous un peu (Mc 6,31). Arrêtons-nous un instant sur les 3 parties de cette phrase.

1°. Venez à l’écart. Le NT utilise 2 mots pour dire aller à l’écart ou prendre quelqu’un à l’écart. Il y a un mot qui contient l’idée d’être seul[2] et un autre mot qui contient l’idée d’aller vers soi-même, vers ce qui nous est propre, vers ce qui n’appartient pas aux autres, mais à soi[3]. Ici c’est justement à ça que Jésus invite les siens.

2°. Dans un lieu désert où Jésus va avec ses 12 disciples. Il ne s’agit donc pas d’entrer en solitude, mais de prendre du recul pour se retrouver soi-même, loin du regard des autres, loin des attentes des autres, loin de notre envie de correspondre aux autres, etc.

3°. Pour se reposer. Se re-poser, se repositionner, se resituer. Se reposer consisterait donc à prendre de la distance d’avec le quotidien pour repenser son action et sa vie. Et là, il y a fort à parier que ce n’est pas des vacances.

Quitter le tumulte, quitter les attentes des autres, quitter aussi le bruit qui est en nous, quitter les feux de la rampe et de l’action. Suivre Jésus à part, là où nous sommes seuls avec Lui. Seuls, face à nous-mêmes, avec Jésus, loin de tout. Comme on dit aujourd’hui : se recentrer. Pas facile. D’ailleurs, les traversées du lac de Tibériade, dans l’évangile de Marc, sont rarement tranquilles. Et oser cet aller à l’écart n’est pas évident dans notre monde où nous sommes sans cesse pousser à l’activité. Apparemment c’était déjà difficile au 17e siècle où Pascal, le philosophe et mathématicien français disait : Le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre[4]. De ne pas savoir s’arrêter pour se repenser.

Alors, oui, si se reposer ce n’est pas des vacances, peut-être qu’un temps de vacance peut aider à prendre un temps pour se re-poser.

S’arrêter pour s’interroger sur le sens de ce que nous faisons, sur le sens de comment nous menons notre vie.

Pour se demander où nous voulons finalement aller, où nous voulons en venir avec nos options de vie.

Qu’est-ce qui nous porte ? Quels projets, quelles intentions ?

Et nos options de vie, notre style de vie, qu’est-ce que ça provoque autour de nous, dans notre famille, dans la vie de couple, dans notre environnement ?

Quelles conséquences nos options et style de vie ont sur nous-mêmes ? Qu’est-ce qu’elles produisent en nous ? De la joie ? De la déprime ? Un assèchement ?

Quel est l’effet boomerang de nos options de vie ? Suis-je heureux ? Et qu’est-ce que je tire de ces réflexions pour grandir et aller de l’avant ? Et quelle place pour ma foi, pour Jésus dans mes options et style de vie ? On voit bien que traverser ces questions ce n’est vraiment pas des vacances.

Jésus retire ses disciples des feux de la rampe et de l’action. Pas pour en faire des ermites. L’écart a été de courte durée. Les voilà qui retrouvent la foule. Mais cette fois c’est Jésus qui gère. Les disciples sont cette fois-ci pris au dépourvu. Comme si Jésus voulait leur enseigner le but ultime de ce temps passé à l’écart : la dépendance à l’égard du Seigneur. Ils ne pourront rien faire si ce n’est mettre à disposition le peu qu’ils ont et sont, et Jésus bénira Dieu, c’est-à-dire remerciera Dieu pour ce que les disciples sont et lui offrent. Il remercie Dieu car c’est Dieu qui fait grandir ce que nous lui donnons de nous-mêmes.

Le but d’être allé à l’écart et de s’être confronté à toutes ces questions c’est de pénétrer l’univers de la bénédiction. Ce lieu où je reçois ma vie, ma vie très réelle, pas ma vie rêvée, mais ma vie réelle des mains de Dieu et où je peux lui dire merci et lui faire confiance pour ce qu’il a déjà fait et ce qu’il fera encore avec moi et en moi et de moi. Ce lieu où j’entre dans la confiance en ce qu’il sait faire. Ce lieu où j’entre en gratitude. Ce lieu où je me découvre co-réalisateur de la vie avec le Seigneur. Lieu d’humilité aussi où je découvre que sans Dieu je ne suis rien et ne peux rien, comme disait Jésus : Sans moi, vous ne pouvez rien faire (Jn 15,5). Ou comme disait David : L’Eternel exerce mes mains au combat (Ps 18,34), Il fait briller ma lumière (Ps 18,28), car auprès de toi est la source de la vie (Ps 36,9).

La citation complète de Philippe Lefebvre est d’ailleurs : Le repos ce n’est pas des vacances, c’est vivre avec Dieu. Il serait sans doute d’accord de dire aussi : c’est vivre de Dieu, se recevoir de lui et lui faire confiance qu’il agit dans ma vie et au travers de ma vie, que sans Lui je ne serais pas celui ou celle que je suis en devenir.

Je suis tombé sur une interview où le peintre Henri Matisse raconte sa découverte de sa vie comme don de Dieu parfait, parachevé par le Seigneur : Tout peintre qui produit atteint nécessairement le religieux. Ainsi j’ai conscience de ramasser les matériaux, de travailler pour essayer de les mettre en ordre; mais lorsque le tableau est fait, j’ai l’impression qu’alors ce n’est pas moi qui l’ai fait, mais que c’est Dieu. Moi, homme, je n’ai pu faire cela. (…). Chaque fois que j’avais fait tout ce que je pouvais avec mes dix doigts, quelque chose venait l’achever, qui ne dépendait pas de moi, qui venait d’ailleurs. Il faut faire tout ce qu’on peut, et, au moment où tout est fini, quelque influence céleste vient tout terminer[5].

Osons aller à l’écart avec Jésus loin de l’agitation qui nous entoure au-dehors et parfois au-dedans de nous. Et osons nous re-poser, nous recentrer, nous resituer sous le regard de Christ Jésus. Nous reposer dans sa main. Il fera fructifier ce que nous sommes et avons.

Amen.

 

 

[1] Titre d’un article de Philippe Lefebvre paru dans la revue Carmel de mai 2021.

[2] katamonos = kata auprès, le long de, vers + monos seul.

[3] kat’idian = kata + idios ce qui est propre à.

[4] Blaise Pascal, Pensée n°139.

[5] Matisse cité dans la revue Panorama, numéro de juillet-août 2023, p.46.

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