Prédication sur Mt 3,16-4,11 / Ps 30.1-8 / 1Co 10,13-14+Jcq 1,12-14

Le désert du silence de Dieu ou apprendre à mieux se/Le connaître.

Bien-aimés du Seigneur,

L’autre jour je lisais le récit des tentations de Jésus et ce verset a attiré mon attention : Alors Jésus fut emmené par l’Esprit dans le désert, pour être tenté par le diable. Jésus conduit par le Saint Esprit pour être tenté par le diable… Vous en conviendrez… c’est déstabilisant… D’autant que plus loin, Jésus nous enseignera à prier : Ne nous conduis pas dans la tentation. Contradiction ? Paradoxe ?

Il y aurait donc tentations et tentations. Les bonnes tentations et les mauvaises tentations… Pourtant, dans la Bible, je n’ai pas l’impression qu’il y ait de bonnes tentations. Ça vaut bien un moment de réflexion.

Alors Jésus fut emmené par l’Esprit dans le désert, pour être tenté par le diable.

Si l’Esprit, le Saint Esprit emmène Jésus dans le désert pour affronter la tentation, est-ce possible que ce soit pour le mal ? Est-ce possible que ce soit pour mettre Jésus face à un échec possible ? Est-ce possible que ce soit en risquant de perdre Jésus ? Qu’est-ce donc ces tentations vers lesquelles le Saint Esprit emmène Jésus ? Quel est son but ? Pourquoi ?

Vous remarquez que ce n’est pas l’Esprit qui tente Jésus, mais le diable. Mais que c’est l’Esprit qui conduit Jésus au désert vers ce défi.

Je me suis arrêté sur le verbe grec emmener. Ce verbe n’est pas celui que Jésus emploie dans le Notre Père pour dire ne nous conduis pas dans la tentation. Dans le Notre Père, le verbe signifie littéralement apporter dans. Il y a comme une idée de passivité de ce qui est apporté. Le quelque chose apporté n’est pas partie prenante dans la démarche. Le quelque chose subit. Avec le verbe grec traduit par emmener c’est différent : on l’utilise pour des marins qui embarquent pour prendre le large, par ex. quand Jésus et ses disciples lâchent les amarres pour traverser le lac de Tibériade ; on l’utilise aussi pour dire ramener d’entre les morts, ou avec l’idée de conduire vers le haut. Voilà qui commence à nous éclairer. Le Saint Esprit emmène Jésus au désert où il sera tenté, mais c’est comme une traversée, un passage, vers un autre horizon ; c’est comme une expérience qui fait passer de la mort à la vie, du néant à l’expérience. Mais ce passage implique une épreuve. Quelle épreuve alors ?

Que se passe-t-il pour Jésus ? Il vient de se faire baptiser et de voir le ciel s’ouvrir et d’entendre la voix de son Père dire : Celui–ci est mon Fils bien–aimé, en qui j’ai mis toute mon affection. Et le voilà dans le désert, le lieu du silence. Le voilà en train de jeûner… Dans le désert, pas de nourriture, sauf si on organise son trek, ce qui n’est pas le cas pour Jésus. Le désert lieu de précarité, lieu de silence, lieu où il n’y a rien, rien que toi et la nature, rien que toi avec toi-même, rien que toi et tes limites. Lieu du silence qui te confronte à toi-même. Lieu qui t’interroge sur toi-même. C’est violent après l’expérience du baptême où Dieu parle, où le ciel est ouvert, où la communion de Jésus avec son Père est intense, forte, magnifique ; où le temps devrait s’arrêter. Violent comme l’arrivée dans le désert de la faim et de la soif du peuple hébreu après le passage de la mer ouverte par le bras puissant de Dieu. Violent, mais nécessaire et salutaire.

L’épreuve vers laquelle l’Esprit conduit Jésus va le confronter à qui il est vraiment. Qui est-il ? Ce que le Père lui a dit ou ce que le diviseur, le semeur de trouble veut lui faire croire qu’il est ? Il y a là comme un plongeon vers une meilleure connaissance de soi et de Dieu. Et ce qui est encourageant, c’est que cette épreuve est accompagnée par l’Esprit Saint, celui qui nous conduit dans la vérité, celui qui ne nous laisse pas seul, l’Esprit qui est capable de produire la vie à partir de l’action mortifère et toxique du diviseur. Jésus et nous devons passer par des moments où nous sommes confrontés au silence de Dieu, à nous-mêmes et à nos limites pour apprendre à mieux nous connaître. Jésus et nous devons passer par des confrontations à la fragilité pour apprendre à mieux nous connaître et à mieux connaître Dieu.

Face au silence de Dieu, je suis amené à m’interroger sur quoi ma foi se fonde. Sur la parole donnée de Dieu ou sur mon ressenti. Sur qui Dieu est et qui je suis pour lui ou sur mes impressions et mes émotions issues de mes circonstances. Sur quoi ta foi se fonde-t-elle ? Sur une conception idolâtre de Dieu, de Christ Jésus ?

Face au silence de Dieu, je suis amené à m’interroger sur mes motivations. Jacques dit que c’est notre convoitise qui nous tente. Qu’est-ce que je recherche dans ma foi ? Une vie plus facile ? Un pass m’évitant la maladie et la fragilité ? Un mieux-être ? Des certitudes ? Un sésame pour être du bon côté après la mort ?…  Je réduis là Dieu à une idole.

Face au silence de Dieu, je suis amené à m’interroger sur mes vrais besoins, sur ce qui est vraiment important pour moi. Le pain ? Le confort ? L’indépendance voire la suffisance ?… Le silence de Dieu m’interroge sur qui je sers vraiment ? Lui ou moi ? Une idole à mon service ou le Dieu Vivant qui m’interroge.

Le silence de Dieu me confronte à mes zones d’ombre, aux angles morts de ma vie, à ces aspects de moi que je ne verrais jamais dans une vie facile et confortable. Si je suis en permanence sur le petit nuage rose de mes certitudes de foi, est-ce que je ne risque pas de devenir arrogant et prétentieux ? C’est l’expérience du psalmiste dans le Ps 30 qui se croyait invincible jusqu’à ce Dieu lui cache sa présence.

Le désert du silence de Dieu nous conduit à une meilleure connaissance de nous-mêmes, et donc de notre foi et de sa solidité. Cela nous conduit aussi une meilleure connaissance de Dieu. Car nous découvrons que face aux coups de butoirs du diviseur, le Saint Esprit est là avec nous et il agit en nous. C’est clair qu’affronter nos déserts et les silences de Dieu seul c’est risquer de se retrouver divisés et coupés de cet amour que Dieu nous a dit à notre baptême. Mais, affronter nos déserts avec le Saint Esprit c’est découvrir ce que veut dire être l’enfant bien-aimés de Dieu au sein de la fragilité, au sein de la vie réelle. Une foi sans tentation est une foi creuse, vide, inerte. J’ai presque envie de dire, une foi morte. La vigueur de notre foi se révèle et se forge d’abord dans nos déserts et face au silence de Dieu.

Ne craignons pas les déserts, les périodes de difficultés, les silences de Dieu. Allons-y avec la certitude que le Saint Esprit va nous conduire dans la vérité, va nous amener à mieux nous connaître pour aboutir à une plus grande confiance en Dieu, à une meilleure perception de qui il est et de ce qu’il veut, à une meilleure perception de sa présence à nos côtés. Jésus sortit de ce désert avec les anges qui le servaient. N’ayons pas peur des temps d’interrogations, mais vivons-les avec la paisible assurance que le Saint Esprit est avec nous, le Saint Esprit qui a ramené Jésus d’entre les morts. Le Saint Esprit qui a ordonné le chaos originel. Le Saint Esprit qui vient mettre la lumière dans la nuit. Le Saint Esprit qui va aussi nous conduire vers l’authentique parole de Dieu prononcée sur nous. Car il y a des paroles que nous croyons être de Dieu et qui ne le sont pas, car elles nous maintiennent dans une sorte de foi magique et infantile. La véritable parole de Dieu nous réconcilie avec nous-mêmes, avec notre fragilité et notre finitude. C’est là qu’elle raisonne de toute sa vitalité.

Nous n’avons pas à chercher la mise à l’épreuve. Mais lorsqu’elles se présentent, nous pouvons l’affronter avec cette promesse que le Saint Esprit est avec nous et s’il est avec nous, c’est pour nous conduire plus loin, au large. Vers une expérience renouvelée de sa fidélité et de sa réalité. Comme dit Enzo Bianchi : La connaissance de nos limites, accompagnée de la connaissance de Dieu peut devenir une expérience de la grâce de Dieu[1]. Car Dieu est fidèle et il ne permettra pas non plus à l’avenir que l’épreuve dépasse vos forces. Au moment de la tentation, il vous donnera la force d’y résister et il préparera une issue pour que vous en sortiez vainqueurs (1Co 10,13 PVV).

Amen.

 

[1] Enzo Bianchi, Les mots de la vie intérieure , Paris, Cerf, 2000, p138.

Le site internet de la communauté de Bose propose cet extrait du livre de E.Bianchi.

Sans vie intérieure, sans effort de connaissance de soi, la vie spirituelle chrétienne et même la prière ne seront pas possibles

 L’un des éléments qui distinguent le mieux la spiritualité chrétienne a toujours été l’attention à la dimension de l’intériorité: la sainteté ne consiste pas en un ensemble de prestations, aussi bonnes, saintes et héroïques soient-elles, mais elle se situe sur le plan de l’être et elle tend à conformer toute notre personne à Christ. Cela signifie que suivre le Christ exige de ne jamais séparer l’humain du spirituel et d’accompagner toujours le mouvement de connaissance du Seigneur par un mouvement parallèle de connaissance de soi. C’est là un thème qui traverse toute la tradition chrétienne. Cette dernière n’a pas hésité, en effet, à reprendre et à reformuler dans ses propres termes l’inscription figurant sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes: «Connais-toi toi-même!» Ainsi Origène et les Cappadociens, Ambroise et Augustin, Grégoire le Grand, Guillaume de Saint-Thierry et Bernard, les pères Chartreux et Victorins, ont repris et approfondi le sens de ce mouvement essentiel à l’homme pour lui permettre de s’humaniser («Une vie qui ne s’interroge pas sur soi-même n’est pas digne d’être vécue par un homme», Platon) et au chrétien pour lui permettre de commencer avec authenticité sa sequela Christi (le reniement de soi auquel appelle le Christ doit pouvoir se réaliser dans la liberté et par amour, et cela implique la connaissance de soi). Sans vie intérieure, sans effort de connaissance de soi, la vie spirituelle chrétienne et même la prière ne seront pas possibles.

 On assiste malheureusement aujourd’hui à une séparation déplorable entre l’Église et la vie spirituelle, entre l’Église et la vie intérieure; et c’est un élément de crise bien plus grave que celui «numérico-quantitatif», parce qu’il indique que l’Église a démissionné de sa tâche d’initiation tant à la vie qu’à la vie selon l’Esprit. On ne peut par ailleurs pas taire que l’attention prêtée aujourd’hui au «moi» et aux exigences de la subjectivité présente de nombreuses ambiguïtés. On observe des comportements comme le narcissisme culturel («Quand la richesse est plus prisée que la sagesse, quand la notoriété est plus admirée que la dignité et quand le succès est plus important que le respect de soi, cela veut dire que la culture même surévalue l’image, et qu’elle doit être considérée comme narcissique», Alexander Lowen), comme la pornographie de l’âme (l’exhibitionnisme de l’intimité, la disparition de la pudeur lorsque l’on donne en pâture à des millions de téléspectateurs des confessions personnelles ou des problèmes familiaux), comme la compression de l’individualité par la culture technologique (qui, pour un travail déjà programmé, ne s’intéresse qu’à obtenir un exécuteur fonctionnel) qui provoque l’hypertrophie du moi dans les autres domaines existentiels. Tous ces éléments rendent le discours sur la connaissance de soi, d’une part prudent, et d’autre part urgent. Il en va en effet de la liberté de l’homme! N’est vraiment libre que celui se connaît soi-même, parce qu’il parvient à entretenir un rapport équilibré avec la réalité et avec les autres et à découvrir des motifs d’espérance et de confiance dans le futur.

 Le processus de la connaissance de soi consiste en la réponse à un appel: l’appel qui se fait entendre en nous, par exemple, quand nous éprouvons le besoin de rester seuls un peu de temps, pour réfléchir et penser, pour «se sortir» du quotidien dont la répétitivité risque de nous abrutir ou dont les rythmes exaspérés risquent de nous renverser. Il s’agit de l’appel à accomplir un exode vers l’intériorité, un voyage à l’intérieur de soi-même, un voyage dont le déroulement est fait de questions que l’on se pose, en s’interrogeant soi-même (Qui suis-je? D’où est-ce que je viens? Où vais-je? Quel est le sens de ce que je fais? Qui sont les autres pour moi?), en réfléchissant, en pensant, en élaborant intérieurement ce que l’on vit au-dehors. Ce n’est que de cette manière, à travers l’intériorisation, que l’on devient sujet de sa propre vie et que l’on ne se laisse pas simplement vivre. Assurément, ce chemin dans notre intériorité, cette descente dans notre cœur sont très fatiguants et douloureux: normalement, nous les repoussons, nous en avons peur, parce que nous craignons ce qui peut émerger de nous, ce qui peut être dévoilé de nous. Nietzsche a parlé de la grande douleur dont se sert la vérité, quand elle veut se dévoiler à l’homme.

 

La connaissance de soi exige l’attention et la vigilance intérieure, cette capacité de concentration et d’écoute du silence qui aide l’homme à retrouver l’essentiel grâce, aussi, à la solitude. On parvient alors à habitare secum, à habiter notre propre vie intérieure, et on consent à ce que notre vérité intérieure se déploie en nous: c’est alors que la connaissance de nous-mêmes devient aussi connaissance des limites, des négativités, des lacunes qui font partie de nous et que nous tendons normalement à refouler pour ne pas avoir à les reconnaître. La connaissance de notre propre misère, accompagnée de la connaissance de Dieu, peut alors devenir une expérience de la grâce, de la miséricorde, du pardon, de l’amour de Dieu. Ce que l’on connaissait auparavant par ouï-dire devient alors une expérience personnelle. Mais il s’agit de ne jamais séparer ces deux moments de l’itinéraire spirituel: la connaissance de soi et la connaissance de Dieu. En effet, la connaissance de soi sans la connaissance de Dieu engendre la désespérance, et la connaissance de Dieu sans la connaissance de soi produit la présomption.

https://www.monasterodibose.it/fr/priere/lexique-spirituel/420-connaissance-de-soi

 

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