Prédication sur Luc 6,27-40 / 1Jean 2,9-11 / Sagesse 11,21-24[1].

Devenez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.

Si Dieu ne nous aimait plus durant un millionième de seconde, on disparaîtrait dans le rien – Nathanaël 11 ans.  Dieu n’a jamais une pensée méchante contre quelqu’un. Si Dieu pensait du mal de moi ou ne pensait pas à moi, je tomberais en poussière – Thérèse 11 ans[2].

Ces 2 phrases que j’ai citées en ouverture du culte révèlent la compréhension profonde que 2 enfants ont de la miséricorde de Dieu. Cette miséricorde à laquelle le verset de l’année 2021 nous appelle… Dans la bouche de ces enfants, la miséricorde de Dieu, son amour c’est ce qui nous fait exister, ce qui nous donne une existence, ce qui nous fait vivre.

C’est vrai, eux, parlent d’amour, le verset de l’année parle de miséricorde. C’est que miséricorde un vieux mot qu’on n’entend plus beaucoup, et qui, dans la Bible, traduit différents mots grecques ou hébreux, des mots qu’on retrouve aussi traduit par : bienveillance, être favorablement disposé envers, compassion, pitié, bonté, grâce, entrailles (ce lieu où s’expriment physiquement des émotions fortes). Derrière le mot miséricorde, il y a 2 racines étymologiques hébraïques: l’une reliée au fait de faire grâce à quelqu’un, de l’épargner ; l’autre reliée à un amour viscéral au sens littéral du mot… car la racine se traduit aussi par matrice, sein maternel.

Miséricorde vient du latin et signifie littéralement avoir un cœur sensible aux misères d’autrui.

La miséricorde est donc ce qui fait exister l’autre. En effet, l’attitude contraire à la miséricorde consiste à ignorer l’autre, à ne pas le voir, à ne pas le considérer, à le sortir de mon champ de vision, de mon radar pour x raisons.

Jésus nous appelle à être miséricordieux comme notre Père Céleste l’est.

Le grec pourrait se traduire de façon moins intimidante : Devenez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux. Devenir miséricordieux, voilà un cheminement possible pour nous cette année 2021. J’aimerais m’arrêter sur 2 points.

1°. Cet appel que Jésus nous lance s’appuie sur l’être même de Dieu, sur qui il est et qui nous permet d’exister. Cet appel de Jésus se nourrit de qui Dieu est avec nous. C’est parce que j’ai fait l’expérience de la miséricorde de Dieu que je peux la transmettre à mon tour : Jésus dira que celui à qui on beaucoup pardonné aimera beaucoup[5]. En effet, dans la Bible et en particulier dans l’Ancien Testament, la miséricorde est le propre de Dieu. Elle caractérise son être profond. Le verbe avoir miséricorde a presque exclusivement Dieu pour sujet. C’est, comme on dit en théologie, un attribut de Dieu, une qualité de son être. Si Dieu n’était pas bienveillant avec nous, nous disparaîtrions. Ce n’est pas par hasard qu’il se présente lui-même à Moïse en disant: Je suis le Seigneur ! Je suis l’Eternel compatissant, miséricordieux et bienveillant, patient, d’une immense et fidèle bonté (Ex 34,5-6).

Jésus relie encore la miséricorde du Père à sa perfection, car dans Matthieu, il dit: Soyez parfait comme votre Père céleste est parfait (5,48)[6]. La miséricorde est une facette de la perfection de Dieu, elle est ce qui nous donne existence à ses yeux. Comme le rappelait le Talmud dans la parole de grâce donnée en début de culte[7]. La miséricorde de Dieu c’est la lumière à laquelle il nous regarde, à laquelle il nous considère. Il nous voit au-delà de nos comportements. Il nous voit au-delà de ce qui le dérange et l’offense, lui, chez nous. La miséricorde de Dieu est ce qui nous fait exister à ses yeux, ce qui fait que nous sommes quelqu’un et non quelque chose à ses yeux. C’est ce qui fait qu’il se préoccupe de nous, que nous occupons son attention, son cœur. Cette miséricorde s’exprime de manière suprême à la Croix où Jésus accorde sa bienveillance, son amour, sa grâce, sa compassion, sa bonté à ses bourreaux

Ce n’est donc pas par hasard non plus que Jésus place cet appel à devenir miséricordieux entre son appel à aimer nos ennemis et celui de ne pas juger autrui. Et cela me conduit à mon 2e point.

2°. Devenir miséricordieux c’est prendre au sérieux la miséricorde de Dieu pour nous. C’est un processus. Ce processus est un apprentissage consistant à reconnaître en mon prochain un semblable. L’autre est mon semblable. Ce qu’il vit, je pourrais le vivre aussi. Les circonstances qu’il traverse et le secoue, je pourrais aussi les traverser. Ce dont il souffre, ça pourrait aussi m’arriver. Ce qu’il ressent, il se pourrait que si j’étais à sa place je le ressente aussi.

Ce qui nous empêche d’avancer sur ce chemin c’est une forme d’orgueil ou d’égoïsme : je me crois plus important que l’autre, mon intérêt est prioritaire. L’Ancient Testament balaie cette excuse car la miséricorde, la bienveillance y est le fait d’un supérieur à son subalterne. Et justement, le Seigneur Dieu nous la manifeste à nous ses créatures, à nous qu’il considère au moins aussi important que lui pour en arriver se donner pour nous à la Croix. Mais il y a plus : Jésus ne se considère même pas dans une position de supériorité où sa miséricorde serait condescendance. La miséricorde de Dieu pour nous n’est jamais condescendance, ni une sorte d’aumône qu’il nous ferait. La miséricorde de Dieu pour nous est le résultat du fait qu’il nous considère ses semblables (vous vous souvenez : créés à sa ressemblance).

Devenir miséricordieux c’est apprendre aussi à être dans la lumière comme dit l’apôtre Jean, c’est-à-dire à voir l’autre comme un semblable.

Bakhita était une esclave soudanaise avant d’arriver en Vénétie avec une famille de riches Italiens ayant dû fuir le Soudan et qui en avait fait leur bonne. Esclave, elle fut régulièrement fouettée par ses maîtres. A Venise, elle se convertit au christianisme en prenant conscience que Jésus, le Fils de Dieu s’était abaissé au rang d’esclave jusqu’à en mourir sur la Croix. Et elle dit ceci : Si je rencontrais ces négriers qui m’ont enlevée à ma mère et m’ont torturée, je m’agenouillerais pour baiser leurs mains… Les pauvres, peut-être qu’ils ne savaient pas qu’ils me faisaient autant de mal. Comme nous sommes habitués à faire le bien, les négriers faisaient ça, c’était leur habitude, pas de la méchanceté. Je prie pour ces négriers, pour que le Seigneur si bon et généreux avec moi le soit aussi avec eux, jusqu’à les convertir et les sauver[8]. On voit dans cet exemple, une femme être remplie de miséricorde car elle voit en ceux qui lui ont fait mal des semblables. Elle les voit à la lumière de Dieu, à la lumière de l’amour de Dieu pour elle.

J’aimerais conclure. Il y a fort à parier qu’en 2021 nous aurons besoin de faire preuve de miséricorde. Combien encore seront précipités dans la précarité par nos autorités obnubilées par des considérations sanitaires ?… Combien encore flirteront avec le désespoir face à l’absence soudaine de perspective d’avenir ?… Combien attendront juste une main tendue ou un regard bienveillant ?

Devenir miséricordieux c’est apprendre à voir en l’autre un semblable. Ce n’est peut-être pas sans dérangement.

Devenir miséricordieux c’est devenir un peu plus comme Jésus. C’est un exercice du regard du cœur, qui engage.

Devenir miséricordieux c’est prendre un chemin où l’autre ne finit pas poussière devant moi, ne devient pas rien, néant devant moi.

Peut-être est-ce le chemin pour que notre témoignage comme chrétien et chrétienne et comme paroisse devienne pertinent.  Amen.

 

[1] Sagesse 11,21-24 : 21 Car ta grande puissance est toujours à ton service, et qui peut résister à la force de ton bras? 22  Le monde entier est devant toi comme ce qui fait pencher la balance, comme la goutte de rosée matinale qui descend sur la terre. 23  Mais tu as pitié de tous, parce que tu peux tout, tu fermes les yeux sur les péchés des hommes, pour qu’ils se repentent. 24 Tu aimes en effet tout ce qui existe, et tu n’as de dégoût pour rien de ce que tu as fait; car si tu avais haï quelque chose, tu ne l’aurais pas formé.

[2] Olivier Bonnewijn, Petits mystiques, étincelles spirituelles, éd. Emmanuel, Paris, 2017, p.23-24.

[5] Luc 7:47  C’est pourquoi, je te le dis, ses nombreux péchés sont pardonnés, puisqu’elle a beaucoup aimé. Mais celui a qui l’on pardonne peu aime peu.

[6] Dans sa 1ère lettre, Pierre reprend la formulation du sermon sur la montagne encore autrement : Devenez saints comme celui qui vous a appelés est saint (1Pi 1,15).

[7] Tous les jours, Dieu s’installe sur le trône de la justice pour juger le monde. Mais quand il s’aperçoit que le monde mériterait tout à fait d’être détruit, il abandonne alors ce trône pour aller s’asseoir sur celui de la Miséricorde.

[8] Joséphine Bakhita, Journal, Salvator, Paris 2017, p.98.

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