Rembrandt: La femme de Potiphar accuse Joseph. Gemäldegalerie, Berlin.

Prédication sur Joseph Ge 39 extraits et Jn 9,1-3

L’épreuve et la tentation de la culpabilisation.

Bien-aimés du Christ,

L’automne passé, je partageais avec une personne de la paroisse mon problème d’insomnie chronique, et voici que cette personne a fait une prière pour moi en demandant à Dieu de me révéler quelle situation non réglée était la cause de mon insomnie. Subtile façon de me dire : qu’est-ce qui joue pas dans ta vie, qu’est-ce que tu ne fais pas juste pour en être là ? Rien de neuf sous le soleil : les disciples de Jésus lui demandait, face à un aveugle de naissance, qui avait péché, si c’était lui ou ses parents pour qu’il ait cet handicape (Jean 9,1-2).

Pourquoi avons-nous besoin de relier épreuves ou maladie à culpabilité, le tout saupoudré du nom de Dieu ? Pourquoi pensons-nous encore trop souvent face à l’épreuve qu’une personne traverse : Mais qu’est-ce qu’elle a bien pu faire pour mériter cela ? T’as prié pour être guéri et t’es encore malade ? T’as pas assez de foi ou ceux qui ont prié pour toi n’en ont pas assez ? A moins que t’aies un péché non confessé… Intéressant parce que cela vient souvent de gens religieux. Les agnostiques ne réagissent pas comme ça. Et Jésus ne réagit en principe pas comme ça[1].

C’est comme si nous ne pouvions pas nous défaire d’une théologie rétributive : obéir soigneusement à Dieu = être béni = n’avoir pas de problème ; ne pas faire tout juste = ne pas être béni.

Joseph a quelque chose à nous dire à ce sujet. La vie de Joseph bascule quand ses frères le vendent à des marchands d’esclaves car ils sont jaloux de lui (relis le chap. 37 de Genèse): il est l’enfant préféré de leur père et en plus il a eu un double rêve lui annonçant qu’il serait un jour le chef de clan, et il a eu la naïveté de le raconter. Cela lui vaut une épreuve de 13 années, 13 années loin des siens, 13 années esclave, 13 années à la merci des uns et des autres, 13 années à être utilisé, trahi et oublié. Les mauvaises langues diront qu’il l’a bien mérité : il s’est vanté de son rêve. Pourtant à regarder de plus près, Joseph cherche des frères qu’il ne trouve pas, il cherche des frères qui le haïssent (cf. Ge 37,16). Cela dit… Genèse 39 nous montre un Joseph qui a un parcours sans faute. Il est animé par un esprit de service sans faille envers son maître, il s’occupe de ses affaires comme si c’était les siennes. Il ne semble pas être un tir au flanc qui cherche à en faire le moins possible. A tel point que Potiphar lui confie des responsabilités de plus en plus grandes, une confiance de plus en plus totale. Joseph pourrait profiter de cette position, il n’en est rien : il est intègre. Il connaît sa place, comme on dit. Ça lui vaut quoi ? Une fausse accusation de viol. Mme Potiphar semble être une perverse narcissique. Ça envoie Joseph en prison. Joseph qualifiera sa prison de citerne, comme celle où ses frères l’ont jeté. Cela en dit long sur les conditions d’incarcération. Et là, après des mois, des années – on ne nous dit pas combien de temps – Joseph acquiert la confiance du directeur et se voit confier des responsabilités : il aurait pu en profiter, mais non, il garde son esprit de service, et est attentif à comment vont les autres prisonniers. Il fait du bien, mais est aussitôt oublié. On dirait que pour chaque bon comportement, Joseph reçoit des ennuis en retour[2]. La vie de Joseph nous dit que la théologie de la rétribution ne fonctionne pas. Il n’est pas le seul d’ailleurs : la vie de Paul dit la même chose et celle de Job aussi. Job a tout juste et il n’a que des ennuis. Y compris avec ses amis qui veulent le persuader que ses ennuis sont le fruit d’une désobéissance pour laquelle il doit payer.

Comment Joseph fait-il face à tout cela ? Comment vit-il ses 13 années d’épreuve ? Heureusement pour eux-mêmes, ni Joseph, ni Job, ni Paul ne posent un regard malicieux sur eux-mêmes. Et Jésus ne soupçonne pas la faute chez qui souffre. Heureusement pour nous d’ailleurs.

Lorsque la vie telle que tu l’as imaginée vacille ou s’effondre sous les coups du sort, il y a 2 choses qui n’aideront pas :

– Te culpabiliser toi-même ou te laisser culpabiliser par les autres. Cela ne va que t’enfoncer un peu plus. Quand Jésus révèle à quelqu’un sa culpabilité, son péché, c’est pour le remettre debout, lui ouvrir une perspective de vie, d’espoir, d’encouragement. Parce que le Dieu de Jésus n’est pas un Dieu qui te regarde en pensant : Ah, tiens, Joseph, il faudrait que je lui envoie une épreuve pour qu’il apprenne à tenir sa langue et à ne pas raconter ses rêves. Il ne s’agit pas non plus de se croire orgueilleusement ok. Il s’agit simplement de ne pas établir un lien hypothétique entre épreuve et culpabilité et de relier ça à Dieu. Il ne s’agit pas non plus d’être naïf et de penser que si je sors à torse nu par moins 15, je ne suis pas responsable de la pneumonie que j’attrape.

– Croire que Dieu fait prospérer ceux qui ont une foi parfaite et totale, et finir par développer une foi déconnectée de la vraie réalité de ta vie. Le Dieu de Jésus Christ est proche justement de ceux qui n’ont pas une foi parfaite. Il est venu pour les malportants, les malades du corps et de l’âme. Il est venu pour les handicapés de l’espérance.

Qu’est-ce qui peut nous aider quand la vie se fait rude ?

    1°. Etre assuré de la présence de Dieu à nos côtés. Jamais vous n’irez là où Dieu n’est pas[3]. Je peux perdre le sentiment de la présence de Dieu, mais pas sa présence. Job s’en fait l’écho en gardant la foi : 8 Mais si je vais à l’est, Dieu n’y est pas ; à l’ouest, je ne le discerne pas ; 9 s’affaire–t–il au nord, je ne le vois pas ; se cache–t–il au sud, je ne l’aperçois pas. 10  Il connaît pourtant la voie où je me tiens (Job 23,8-10). David dit la même chose dans le Ps 139 : 7 Où irais–je loin de ton Esprit, où fuirais–je loin de ta face ? 8  Si je monte aux cieux, tu y es ; Si je me couche au séjour des morts, t’y voilà. Dieu n’est-il pas Dieu-qui-me-voit ? C’est le verset de l’année.

Etre assuré de la présence de Dieu à nos côtés et rechercher sa présence, rechercher à être présent à sa présence. Si souvent nous ne sommes pas avec lui, mais avec nous-mêmes. Un père du désert disait : soit l’homme est à ses affaires, soit il est avec ses semblables, soit il est avec Dieu.

    2°. Et être assuré non seulement de la présence de Dieu, mais du Dieu qui est Bon et souverain. Job, au milieu de sa souffrance redit : 25  Mais je sais que mon rédempteur est vivant, Et qu’il se lèvera le dernier sur la terre (Jb 19). Dieu n’est pas que le Dieu de l’au-delà, mais du présent, ici-bas. Et Jérémie au milieu de ses Lamentations se ravise et dit : 21 Mais voici ce que je veux me rappeler, voici ma raison d’espérer : 22  Les bontés du Seigneur ne sont pas épuisées, il n’est pas au bout de son amour, de sa compassion. 23  Sa bonté se renouvelle chaque matin. Que ta fidélité est grande, Seigneur ! (Lam 3). Jérémie lève son regard vers le Dieu de grâce, le Dieu de compassion et de pardon.

    3°. Accepté la réalité de notre incarnation comme dirait Simone Pacot dans le parcours évangélisation des profondeurs. Jésus est Dieu qui s’est incarné dans notre réalité. Il a vécu sa vie de Fils de Dieu et de croyant, maître de ses disciples, en étant pleinement humain, avec les difficultés qui vont avec. Les épreuves ne sont pas le fait de Dieu. Les épreuves font partie de la vie. Cela ne veut pas dire ne pas prier, ne pas demander la guérison, ne pas demander la délivrance. Cela veut juste dire : vivre ma confiance en mon Dieu qui m’aime au sein de ma réalité. Ne pas fuir. Dieu répond au prière, pas toujours comme on veut. Dieu guérit, pas toujours comme on veut. Dieu délivre, pas toujours comme on aimerait.

    4°. Comme le dit Jean-Marie Gueulette[4], médecin et prof. de théologie à l’uni de Lyon : dire que l’épreuve ou la maladie ne sont pas dues à un péché personnel n’est pas une façon de dire que nous n’avons jamais aucune part de responsabilité dans ce qui nous arrive. La 1ère responsabilité résidant dans notre manière de vivre l’épreuve : et là Joseph est exemplaire, restant digne, disponible et fiable. La 2e responsabilité étant dans ce que nous allons en faire. Cette prière que j’ai trouvée dans une de mes lectures expriment cela[5] :

Depuis que l’épreuve est entrée dans ma vie,

il me reste à choisir, Seigneur :

ou bien maudire ce que tu as permis, ou bien gémir sur mon destin.

Mais quelle que soit la route à prendre, c’est la nuit qui se lève.

Ouvre pour moi, Seigneur, une troisième voie !

S’il est vrai que je n’ai pas souhaité l’épreuve,

apprends-moi – maintenant qu’elle est là -,

à m’en servir comme d’un instrument capable de percer les murs de ma prison

pour retrouver la lumière du jour.

Révèle-moi, Seigneur, cette troisième voie que Christ a suivie pour nous rendre la vie.

Il a pris sa couronne d’épines pour y faire fleurir les roses de l’amour,

et sa Croix pour en faire le signe du salut.

Et qu’en voyant s’ouvrir cette troisième voie, mes frères sachent enfin qu’avec toi

tout est grâce et que tout est lumière.

Joseph a vécu cette prière : il a affronté ses circonstances avec cette idée de ne pas les laisser l’emprisonner. On le verra la semaine prochaine : il fera de sa prison, un lieu où faire entrer la lumière, ce qui lui permettra d’en sortir.

Notre difficulté à concilier Amour de Dieu et coup du sort nous conduit soit à culpabiliser celui qui souffre, soit à chercher pourquoi Dieu serait en train de nous faire payer pour une faute. C’est pervers. Ne soyons pas pervers. Ne devenons pas toxique pour autrui ni pour nous-mêmes.

Dieu a dit : Je serai à tes côtés dans la détresse (ps 91,15). Le croyant répond : L’Éternel est ma force et l’objet de ma louange, Il est devenu mon salut. Il est mon Dieu (Ex 15,2). Amen.

 

[1] Une fois il relie la guérison d’un paralytique au pardon qu’il lui accorde pour ses péchés et une fois il dit à un autre paralytique de ne plus pécher pour qu’il ne lui arrive rien de pire. Sur toutes les rencontres qu’il fait, Jésus ne réagit que 2 fois ainsi, mais il manifeste à chaque fois son amour en guérissant la personne. Il ne l’enferme pas dans une culpabilité vague.

[2] Lors du happy end de l’histoire de Joseph, il nourrit ses frères et leurs familles et son père durant 17 ans, prenant soin d’eux en Egypte où il est devenu l’administrateur général du royaume. A la mort de son père, ses frères ont encore la malice de soupçonner Joseph de n’avoir été bon avec eux durant ces années que à cause de leur papa et que celui-ci mort, il allait changer d’attitude avec eux.

[3] Max Lucado, Vous vous en sortirez, Inspiration Publishing, Québec, 2018, p.30.

[4] Jean-Marie Gueulette, Malades, pas coupables, mais responsables, in Prier face à la maladie (Prier HS n°104), p.28-29.

[5] Hilaire Léonard-Etienne in Hors-série Prier n°104, p.31.

 

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