Je ne sais pas pour vous, mais ce texte sur les béatitudes m’a pendant longtemps rebuté.
C’est quoi cette histoire de bienheureux les pauvres, bienheureux ceux qui sont dans le deuil, etc. ? On pourrait presque se dire, comme Marx, que c’est bien la preuve que la religion, c’est l’opium du peuple. Une invention des puissants pour que les opprimés se tiennent tranquilles.
Mais avec le temps, j’ai fini par comprendre (je suis peut-être un peu lent) que ce n’est pas ça du tout.
C’est le chemin que le Christ propose à ses disciples, c’est-à-dire à celles et ceux qui ont déjà fait le choix de le suivre. Un chemin difficile, exigeant, mais un chemin de vie. Et de bonheur.
Même s’il peut exposer, parfois, à la persécution.
Tout d’abord, Jésus nous invite à reconnaître notre pauvreté spirituelle, autrement dit que nous avons besoin de l’Esprit Saint.
C’est pourquoi, au début de chaque culte, nous appelons le Saint Esprit à venir remplir notre cœur. On ne peut pas remplir ce qui est déjà plein. Il faut faire de la place.
« Heureux ceux qui reconnaissent leur pauvreté spirituelle ».
Cette première béatitude est la seule qui est suivie d’un présent : « Car le royaume des cieux leur APPARTIENT ».
Maintenant.
Pas dans le futur.
En reconnaissant notre pauvreté spirituelle, nous nous ouvrons à Dieu. Nous Lui ouvrons notre cœur. C’est pourquoi, ainsi, le royaume des cieux, autrement dit le royaume de Dieu, nous appartient. Dès cet instant.
Cette première béatitude est la seule qui est suivie d’un présent. La seule… avec la 8ème, qui reprend exactement les mêmes termes. Nous y reviendrons.
Dans notre liturgie, cet appel est suivi d’un moment de repentance. C’est peut-être à cela que nous invite la 2ᵉᵐᵉ béatitude :
« Heureux ceux qui pleurent. »
En tout cas, elle met en évidence cette nécessité vitale. Il faut lâcher prise, accepter nos émotions. Ne pas rester bloqué, figé dans nos souffrances, nos deuils, nos regrets. Il faut oser pleurer. C’est la porte de la consolation. Cette consolation qui va nous permettre d’aller à nouveau de l’avant. Vers l’Amour.
« Heureux ceux qui sont doux »
La 3ᵉᵐᵉ béatitude nous rappelle alors que la Terre est faite pour les doux.
Pas pour les violents. Pas pour ceux qui ne croient qu’en la guerre, la violence, la haine, la suprématie d’une race sur une autre. Qui ne croient qu’en l’exploitation sans fin des peuples, des ressources de la Terre. De toute la Création. Sous toute ses formes. Non.
Pour les doux.
Ça n’est paradoxal qu’en apparence. Nous voyons bien que si nous continuons sans rien changer à ignorer les souffrances de notre prochain, qui n’est pas seulement notre voisin de palier, mais aussi celui qui est victime, n’importe où dans le monde, de notre soif de consommer à outrance, d’exploiter sans aucune limite, si nous continuons à mépriser tous ces prochains que nous ne voulons pas voir, la vie sur cette planète, notre maison commune, finira par disparaître.
Par notre faute.
À cause de notre avidité. Ou tout simplement de notre ignorance, notre indifférence, notre égoïsme. Notre éloignement, notre refus de ce que nous demande le Christ.
Être doux.
Ça n’a rien de facile. Ça n’est pas la voie des faibles. Bien au contraire. C’est peut-être la béatitude la plus exigeante et la plus difficile à suivre.
« Heureux ceux qui ont faim et soif de justice ».
Faim et soif. Ces termes disent clairement qu’il ne s’agit pas de demander justice. Pour soi. Mais de se nourrir de la justice. De l’intégrer. De l’incorporer. Une justice à l’échelle du Christ. De Dieu. Une justice qui ne laisse rien ni personne de côté.
Une justice qui est entourée de part et d’autre d’amour : « Heureux les doux » et « Heureux ceux qui font preuve de bonté ».
Pas une simple justice « pour soi », qui s’apparente souvent à un simple désir de vengeance. Non. La justice de Dieu, qui englobe la Création tout entière. La justice des doux et des miséricordieux.
Oui les béatitudes sont le chemin qui nous est proposé par un Dieu d’amour. Il ne faut jamais l’oublier.
« Heureux ceux qui font preuve de bonté »
Nous devons faire preuve de bonté, de miséricorde, de compassion. Il y a beaucoup de façon de traduire ce texte, mais son sens est très clair, nous devons avoir un regard d’amour envers l’autre.
Comme celui d’une maman envers son bébé. Comme la poule qui couvre ses poussins de ses plumes pour leur offrir son refuge.
Pas comme le riche qui donne les miettes de sa fortune pour s’en glorifier. Encore et toujours l’amour. Un amour si contagieux qu’en donnant, nous recevons. « Heureux ceux qui font preuve de bonté, car on aura de la bonté pour eux ! »
« Heureux ceux qui ont le cœur pur »
La 6ème béatitude nous conduit à rechercher un cœur pur. À débarrasser notre cœur, le plus intime de nous-même, de toutes les scories qui l’encombrent. De faire le ménage, de faire encore et encore de la place. Pour Lui. Et grâce à Lui, à son Esprit, car sans cela, la tâche serait impossible.
Et quelle merveille : ainsi nous verrons Dieu. Qui est là, qui a toujours été là.
Nous arrivons alors à la dernière étape de ce parcours : la 7ème béatitude.
« Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu ! »
Après avoir purifié notre cœur, après avoir laissé toute la place à Dieu dans notre cœur, nous devenons vraiment les fils et les filles de Dieu et nous ne pouvons alors que devenir des faiseurs de paix, des porteurs de paix.
Pas la paix des vainqueurs, des conquérants. Non.
La paix qui accueille, qui réconcilie, qui ouvre la porte au pardon. La paix du Christ, comme on le dit parfois un peu distraitement dans certaines célébrations.
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Et ce n’est qu’alors,
Devenus vraiment des fils de Dieu,
Que nous aurons la force d’accepter, sans pour autant la rechercher, la persécution, le rejet, le mépris de celles et ceux qui n’ont pas encore parcouru ce chemin. D’être heureux même si la persécution devait survenir. Sans que jamais celle-ci soit un but.
Dieu veut notre bonheur. Le bonheur de toute l’humanité, de toute sa Création. Nous devons toujours nous en souvenir.
La 8ème béatitude, c’est en quelque sorte le « jour d’après ».
Dans le judaïsme, le chiffre 7 est le symbole général pour toute association avec Dieu, Le chiffre 8, lui, symbolise les nouveaux départs.
C’est pour cela, je pense, que cette 8ème béatitude annonce exactement la même chose que la 1ère : « le royaume des cieux leur appartient ».
Au présent.
Oui, elle annonce un nouveau départ. Sur un chemin qui ne sera pas forcément facile. Pas un « long fleuve tranquille ». Mais le chemin que Dieu souhaite nous voir prendre. Quoiqu’il puisse en coûter. Un chemin où le bonheur existe, quoiqu’il arrive.
Un chemin qui n’est jamais définitivement acquis. Qu’il faut reparcourir encore et encore. Chaque jour. Humblement. En demandant, chaque jour, l’aide de l’Esprit. Sans qui rien de tout cela ne serait possible.
Ce n’est qu’alors que nous pourrons être le sel de la Terre. Qui redonne la saveur, le goût de vivre.
Le choix du sel est très parlant. Il suffit d’une simple pincée pour relever le goût des aliments. Pas besoin de beaucoup, mais le sel seul n’a aucun intérêt. Ce n’est que lorsqu’il se mélange à la nourriture qu’il prend tout son sens, qu’il révèle son intérêt.
De la même façon le Christ appelle ses disciples, nous appelle, à vivre avec. Pas à part. Pas repliés sur nous-même. Avec les autres. À aller vers les autres. A être une source de joie et de bonheur pour les autres.
Et enfin cette phrase extraordinaire : Vous êtes, nous sommes, nous devons être la lumière du monde. Qui brille pour toutes et tous.
Oui, Dieu nous demande d’être les porteurs de sa lumière. Sans crainte. Pour toutes les nations. Pour la Création tout entière. Cette Création qui, selon Paul, attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu.
Nous le disons sans cesse, dans chacun de nos cultes, « que ton règne vienne ! ». Les béatitudes nous montrent comment Dieu nous invite à contribuer à sa venue et par là-même, comment le rendre présent en nous.
Maintenant.
Je ne sais pas pour vous, mais ce texte sur les béatitudes, ce texte qui me rebutait tant, je pense qu’il va m’accompagner pour le reste de ma vie, parce je crois vraiment que c’est le chemin de Vie que nous a enseigné et que nous enseigne, encore et toujours, le Christ lui-même.
Quel bonheur !
Soyons heureux !
Cédric Castella, 21 avril 2024