Prédication sur Mt 5.4 / 1Co 12.22-27

Nos larmes… un chemin de communion / de partage ?

Quand un Président Obama pleure, vous êtes sûr que les médias en parleront. Quand le Conseiller fédéral Didier Burkhalter pleure devant les drames de ce monde, aussi. Oui… les pleurs des grands de ce monde sont médiatisés. C’est comme si ces personnes qui sont comme éjectées du commun des mortels dans un monde surréaliste redevenaient humaines ; de par leurs larmes. Parallèlement, on ne vous parlera guère des milliers de larmes versées dans nos homes où l’on se dépêchera de les étouffer avec un calmant, comme si ces larmes-là étaient inhumaines. Etrange, non ?!

Les larmes des grands nous touchent. Elles nous disent que quelque chose ne va décidément pas… Qu’il s’est passé quelque chose de vraiment anormal ou terrible ; que quelque chose a été perdu ; que ce qui ne devait pas être est advenu.

Les larmes des petites gens sont à calmer comme autant de dérangement insupportable. C’est vrai… Les larmes des petites gens ressemblent aux nôtres ; et nous renvoient à notre impuissance et notre fragilité.

Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés, proclame Jésus à ses disciples réunis à ses pieds sur la montagne. Entourés de cette foule de gens qui souffraient de diverses maladies, étaient tourmentés par divers maux et que Jésus guérit. Foules d’affligés, de souffrants, de désespérés, n’ayant pas peur d’assumer leur faiblesse: les voilà accourant vers Jésus comme vers leur seul espoir. Et les disciples… comment vivent-ils cela ? Les disciples sont de bons juifs d’alors… habités par certaines règles et certains principes que le judaïsme d’alors leur inculquaient : pour eux, les voilà entourés de gens très souvent considérés comme impurs, maudits, punis par Dieu ou par la vie. Enfin bref, les citoyens de 3e classe. Et Jésus, promenant son regard sur la foule et ses disciples, fait cette déclaration : Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.

La Bible ne se prive pas de montrer des gens qui pleurent, y compris Jésus le Fils de Dieu, la Parole divine faite chaire. Ce mot pleurer contient l’idée de faire un deuil en grec. Pleurer une perte. Pleurer une situation qui ne devait pas être mais qui est. Pleurer une perte qui n’aurait pas dû avoir lieu. Pleurer ce que nous aurions aimé qui soit, mais qui n’est pas ou qui n’est plus. Pleurer une désillusion. J’aurais aimé que le monde fût autrement. J’aurais aimé qu’un tel vive encore longtemps. J’aurais aimé que la santé perdure, rester éternellement jeune avec toutes mes capacités. J’aurais aimé que le monde fût parfait, sans souffrance[1].

Alors quand un président pleure… ça me rassure. Lui, là-haut, il souffre des mêmes désillusions. Cela rassure et cela fait du bien… car lui, là-haut, s’il pleure… peut-être que ça me dit qu’il n’y a pas de honte à pleurer. En effet, combien d’entre nous pensent qu’il est déplacé de pleurer en public ?! A la maison ok, pas en public ! En public, il faut bétonner les apparences, être forts et courageux.

Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. Consolés par qui ? Certaines traductions ajoutent par Dieu (mais ce n’est pas dans le texte – il faut le savoir). Sans aucun doute, c’est vrai.  Mais Dieu ne va-t-il pas agir par toi et par moi ? C’est ce qui fait dire à Enzo Bianchi, le prieur de la communauté de Bozé, que nos souffrances, nos larmes sont appelées à devenir des chemins de communion[2]. Ce qui nous interpelle : quelle place pour ceux et celles qui pleurent dans notre communauté ? Quelle place pour leur consolation ?

Ce verbe consoler est intéressant. Parakaléô c’est ce qui a donné Paraclet, le mot que Jean utilise pour désigner le Saint Esprit. Parakaléô signifie venir vers, appeler, prêter assistance, consoler. Et le mot Eglise vient du verbe ekkaléô, appeler à sortir de. Nous sommes appelés à sortir de nous-mêmes pour aller à la suite de Jésus. Nous sommes inviter à sortir de nous-mêmes pour encourager les chagriner à s’approcher de Jésus. Pas avec un discours facile et des mots jetés en l’air, mais avec un souci réelle des larmes d’autrui.

Ce n’est pas anodin que Jésus adresse ces béatitudes aux disciples devant la foule des pauvres gens, cette foule qui les dérangent dans leur impuissance et qui pourrait les inciter à poser un jugement dégradant pour se rassurer eux-mêmes et se donner l’illusion d’être à l’abri d’un coup du sort. Jésus veut nous dire 2 choses, entre autres :

La 1ère, c’est que souffrir en bétonnant tes émotions et en colmatant ta douleur t’empêche de connaître la consolation qu’Il a pour toi. Fuir nos souffrances et nos deuils c’est se protéger des autres et de Dieu dit le pasteur Louis Schweitzer. C’est jouer à ce que nous ne sommes pas. C’est se priver de la consolation. Jésus nous encourage à ne pas fuir notre vie réelle dans une vie illusoire. Jésus nous encourage à oser regarder ce qui nous fait mal. Il nous encourage à aller chercher la consolation vers Lui. Lui qui jamais ne met dehors qui s’approche de Lui[3]. Lui qui n’a jamais éconduit aucun malheureux. Nous sommes encouragés à oser pleurer devant Lui. Isaac le Syrien, un père du désert, disait : Les larmes font poser pied sur le chemin du renouveau[4]. Qui sème dans les larmes moissonne avec des cris de joie ! (Ps 126,5). Cela nous dit aussi que la consolation est le résultat d’un processus, d’un chemin parcouru. Exposer au Seigneur la cause de nos larmes c’est l’inviter à y entrer et à agir. Tu vas découvrir un chemin insoupçonné, ou plutôt une présence insoupçonnée à tes côtés. Tu vas découvrir une source qui t’accompagne. Comme Dieu le dit par Jérémie: 9 Ils viennent en pleurant, Et je les conduis au milieu de leurs supplications ; Je les mène vers des torrents d’eau, 17  Il y a de l’espérance pour ton avenir (Jer 31,9 et 17). Imagine un instant toute cette foule qui entend ce que Jésus dit à ses disciples, parmi elle ceux et celles qui ont vécu l’intervention de Jésus dans leur misère.

Un commentaire[5] dit que Jésus nous invite ici à Lui faire confiance, à lâcher nos doutes (le doute en soi est une bonne chose quand il nous invite à chercher des réponses à nos questions, mais une mauvaise chose quand il nous fait croire que nous avons droit à toutes les réponses aux questions du mystère de la vie) et à choisir une nouvelle direction, celle de l’espoir, celle de l’ouverture à un renouveau et à l’attente de ce renouveau.

La 2e chose que Jésus dit, il le dit à ceux qui pleurent et à l’Eglise : les larmes peuvent devenir un chemin de communion pour reprendre le mot d’Enzo Bianchi. Paul le dit autrement: Lorsqu’un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui; et lorsqu’un membre est honoré, tous les membres se réjouissent avec lui (1Co 12.26) Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent. (Ro 12,15). Ceci est un défi pour chacun : qui souffre est invité à faire confiance ; et la communauté des croyants est exhortée à vivre la compassion de Christ, à être une communauté véritablement composée de chrétiens et chrétiennes, de christianos, c’est-à-dire de copies miniatures de Christ. Nous sommes invités à devenir des copies miniatures de Jésus. Posons-nous la question : agissons-nous comme Jésus face à ceux et celles qui sont en souffrance ou bien est-ce que nous les écartons, ou pire, nous pensons dans notre fort intérieur « qu’est-ce qu’il ou elle a fait pour se retrouver dans cette situation ? Il ou elle doit l’avoir bien mérité… » Ou bien trions-nous entre les souffrants qui nous sont sympas et les autres ? Ce qui revient à insulter la douleur de l’autre, mais aussi à insulter Christ Jésus et son Saint Esprit Consolateur qui nous habite. Les béatitudes ne s’adressent pas seulement à l’individu que chacun de nous est, mais à la communauté que nous formons. Et la communauté que nous formons est appelée, par sa compassion, à briller dans la vie locale où elle est ancrée.

Nos larmes, chemin de communion avec Jésus et avec les autres. Un défi, un encouragement et une promesse.  Amen.

 

[1] Jésus pleure devant le tombeau de Lazare son ami, il pleure la douleur de la mort d’un bien-aimé et il pleure devant la douleur de ses sœurs, Marthe et Marie (cf. Jean 11). Il pleure devant la dureté de cœur de Jérusalem qui ne parvient plus à voir son Sauveur (Luc 19,41).  Il pleure devant la perspective des souffrances qui l’attendent à la Croix (cf. Mt 26, Luc 22 et Mc 14). Il pleure ce qui ne devrait pas être, mais qui est. Il pleure devant cette souffrance que Dieu n’a jamais voulue : cf. Hé 5,7 : Le Christ, pendant sa vie sur terre, a adressé à Dieu des prières et des supplications, avec de grands cris et des larmes. Il a prié Dieu, qui pouvait le sauver de la mort. Et Dieu l’a écouté, parce qu’il est resté fidèle.

[2] Enzo Bianchi, Chemins d’humanité. Les Béatitudes.  Cerf, Paris, 2013, p.47.

[3] Jean 6,37  Je ne repousserai pas celui qui vient à moi, dit Jésus.

[4] Enzo Bianchi, p.58.

[5] Doug Fields, John Baker et Megan Hutchison, Blessés par la vie. Guéris par Dieu, Penthaz 2012, p.60-62. Et John Baker, Une vie renouvelée, Penthaz 2010, p.72.

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