Prédication sur Luc 10.25-37 et Luc 18.18-27

On ne croit pas de pied ferme ou oser accueillir notre soif spirituelle.

Bien-aimés du Christ,

Quand je lis ma Bible, je n’ai pas encore rencontré un personnage dont la vie avec Dieu fut un long fleuve tranquille. Enfant, je lisais ces récits et trouvait ces héros de la foi fascinant, mais je ne voyais pas les drames que leur foi leur faisait traverser, je ne voyais pas les difficultés de leurs chemins spirituels. Aujourd’hui, je serais d’accord avec Jacques Rivière écrivain français mort en 1925 qui écrivait à Paul Claudel ceci :  A l’éloge de la foi, il faut encore ajouter qu’elle est plus difficile que le doute. La foi est un mouvement de l’âme qu’elle fait hors de ses murs. On ne croit pas de pied ferme[1]… On ne croit pas de pied ferme. Peux-tu réellement affirmer croire de pied ferme ? Je crois que l’amour de mon Dieu qui s’est révélé en Jésus, cet amour tellement plus grand que ce que je peux en appréhender est le fondement solide de ma vie. Mais cela ne m’évite pas de me poser beaucoup de questions. Ne pas s’interroger dans notre foi, je crains que c’est l’avoir congelée, et la priver de toute croissance. On ne croit pas de pied ferme, non.

J’ai l’impression que c’est ce que vivent le maître de la loi et le notable à ce moment de leur vie de foi. Jésus les pousse carrément hors des murs d’une foi superficielle, dogmatique, de principe… Il les renvoie dans leur retranchement. Regardons cela ensemble.

Qui est le Dr de la Loi ? Un homme qui a consacré sa vie à étudier la Thora, la Bible. Peut-être un rabbin. Un homme qui s’est consacré à la religion. Un puit de savoir. Si on lit attentivement le contexte (retour des 70), on observe que les disciples que Jésus a envoyé en mission reviennent tout enthousiastes de ce qu’ils ont même pu chasser les démons, alors qu’ils sont des gens simples, pas des érudits religieux. Jésus leur dit que leur joie doit être d’avoir leurs noms inscrits dans les cieux et il se réjouit que Dieu se plaise à révéler ses mystères aux enfants. Notre homme a dû être secoué. Son savoir biblique a-t-il inscrit son nom dans les cieux ? Son savoir lui fait-il vivre cette aventure avec Dieu ? Ce qu’il entend met à jour en lui sa soif d’une vie avec Dieu, qui fasse sens. Alors il titille Jésus : Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ?

Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ?  Qu’est-ce qu’il y a dans cette question ? On peut en rester à la superficie et dire qu’ils cherchent une assurance pour leur salut post-mortem. Moi, je crois qu’il y a bien plus dans cette question. Car Jésus lui-même élargit le sens de l’expression vie éternelle. Pour lui, c’est une réalité présente en nous et au milieu de nous (cf. Luc 17,21). Cette réalité présente s’exprime dans une relation étroite que l’on a avec lui (cf. Jn 17,3[2]). Pour Jésus, vie éternelle = règne de Dieu en toi et au milieu de nous. La vie éternelle est une réalité débutant ici-bas. Moi, je traduirais cette question par : Que dois-je faire pour être dans la volonté de Dieu et en communion avec Lui, pour vivre ma vie présente avec Lui ?

Le Dr de la Loi entrevoit que son savoir, sa maîtrise de la religion le laisse en fait insatisfait. En écoutant Jésus, il laisse surgir en lui sa vraie soif, son vrai désir : non le savoir théologique, non la religion, mais la Vie en communion avec Dieu. Notre savoir biblique ne nous sauve pas, il ne nous met même pas en communion avec Dieu. Jésus oui.

Et Jésus prend cet homme là où il en est. Il le prend par la main de son savoir. Il lui fait revisiter son savoir. En fait, il lui demande sous couvert de parabole : Toi qui connais la volonté de Dieu, et qui veut vivre pour lui et avec lui, es-tu vraiment prêt à être et faire ce qu’il attend de toi ? Tu sais que Dieu attend de toi l’amour et l’amour c’est pas un principe religieux, c’est laisser la vie se manifester en toi et par toi pour qui en a besoin.

Jésus ouvre un chemin devant le Dr de la loi pour le faire passer d’un savoir qui ne satisfait pas sa soif spirituelle et existentielle, qui ne lui donne pas la paix, à une aventure humaine de foi qui pourrait le remplir de joie. Car comme Paul le dit : la connaissance enorgueillit, la charité édifie.

Quant au notable, qu’on appelle ailleurs le jeune-homme riche, il vit quelque chose de semblable, d’après le contexte. Lui, il écoute Jésus qui raconte la parabole du pharisien qui se croit juste et du péager qui se sait indigne et ressort du temple ainsi justifié par Dieu. Puis il écoute Jésus dire que le Royaume des cieux est pour ceux qui ressemblent aux petits enfants. Lui, il s’est donné comme règle de conduite d’être intègre dans son obéissance à la Loi. Il ne connaît peut-être pas toute sa thora, mais il veut vivre une vie digne de l’éthique biblique. Il est l’homme honnête par excellence dans son travail, dans ses relations, dans ses responsabilités. Il ne veut pas porter préjudice à qui que ce soit. Il est sincèrement quelqu’un de bien. Pourtant son souci de bien faire lui laisse aussi un goût d’insatisfaction. Lui aussi aspire à la vie éternelle, lui aussi aspire à une vie en communion avec Dieu. Lui aussi n’a pas trouvé la paix et la joie véritable dans son obéissance aux commandements. Il veut la vie éternelle et Jésus le prend au mot en le faisant réfléchir : vendrais-tu tout ce que tu as – vu qu’on ne prend de tout façon rien avec soi à notre mort – pour la vie éternelle ? Difficile, non ? Sortirais-tu hors des murs de ce qui te rassure et te sécurise ? Oserais-tu miser ta vie sur moi ? lui demande Jésus.

Ces 2 hommes me touchent. A l’écoute de Jésus, ils laissent leur vraie soif spirituelle et existentielle se dévoiler. Les 2 ont un désir profond de vivre une foi vivante, une foi qui fasse sens. Les 2 ont ce désir d’une communion authentique avec le Seigneur, d’une vie qui soit portée par la présence de Dieu.

Ces 2 hommes nous interrogent. Finalement, est-ce que ta foi répond réellement à ta soif spirituelle ? Tu lis ta Bible, tu la connais peut-être de fond en comble, tu veux lui être fidèle, tu passes tout à son crible. Tu contrôle bien ce que ton pasteur dit pour voir si c’est biblique. Tu veux écouter Dieu, écouter Dieu… Mais, au fond, est-ce que ça répond à ton aspiration d’une vie en communion avec lui ?

Ou bien tu es ce chrétien qui veut transformer la société par une éthique rigoureuse. Tu veilles à être intègre, honnête, droit, juste. T’es exemplaire. Et tu passes les autres au crible de ton éthique. Mais au fond, es-tu spirituellement heureux, épanoui ? Est-ce que ça répond à ta soif de vivre quelque chose avec Dieu ? C’est ça… Est-ce que tu vis quelque chose avec le Seigneur, une expérience de vie avec Lui ?

Il est des questions que nous nous posons qu’il ne faut pas éluder. Il est des questions que d’autres nous posent qu’il ne faut pas non plus éluder. Sous peine de ne pas avancer dans notre vie chrétienne.

J’aime Jésus qui nous prend là où nous en sommes et qui nous conduit au limite de nos murs. Et là, il nous fait guigner par-dessus, vers un horizon qui interpelle notre soif spirituelle. Il nous fait entrevoir quelque chose de la liberté qu’il a pour nous. Quelque chose de la communion que nous pourrions avoir avec Dieu et qui dépasse les limites rassurantes que nous y avons mises. Le savoir rassure. L’éthique aussi. L’amour engage. La confiance aussi.

J’aime Jésus qui nous connaît si bien et nous aime sans se faire d’illusion. Et qui là encore vient à notre rencontre, avec douceur, comme il répond à Pierre : C’est vrai, ce que Dieu vous demande est impossible pour vous, mais pas pour Lui. Et tu as sans doute lu l’histoire d’hommes et de femmes qui ont vécu cet impossible avec Dieu et par sa grâce.

Bien-aimés du Christ, il est salutaire de nous interroger : est-ce que la vie chrétienne, la vie de foi que je mène répond vraiment à mon aspiration spirituelle profonde ? Cela évite à notre foi de se figer, de se congeler. Et cela répond à l’aspiration profonde de Jésus, à son désir profond pour nous : Je suis venu pour que vous ayez la vie, la vie en abondance, la vie qui dépasse les habitudes qui l’ont limitée.

Prions.   Seigneur, tu vois nos cœurs. Tu vois les soifs qui nous habitent. Celles qui régulièrement se manifestent. Celles que nous avons enterrées parce que nous ne savions qu’en faire. Aide-nous à y mettre des mots, aide-nous à les laisser nous parler et à venir à toi avec elles. Aide-nous à écouter ce que tu veux nous dire au travers des questions que nous nous posons. Merci parce que ton amour marche avec nous à notre rythme. Merci parce que tu nous veux vivants, en marche, et non figés. Amen.


[1] Jacques Rivière dans une lettre à Paul Claudel. https://maxencecaron.fr/2010/07/jacques-riviere-de-la-foi-a-paul-claudel/#:~:text=%E2%80%93%20La%20foi%20est%20un%20mouvement,il%20faut%20aller%20la%20chercher.

[2] Jean 17,3 La vie éternelle consiste à te connaître, toi le seul véritable Dieu, et à connaître Jésus–Christ, que tu as envoyé.

Luc 17,21 Car voyez, le royaume de Dieu est au–dedans de vous.