Prédication 3 sur Joseph sur Ge 40,1-23 / Hé 13,3 et Luc 23.42-43.

Joseph, oublié du temps, oublié des autres, mais soucieux des autres.

Bien-aimés du Christ,

J’ai fait récemment une expérience qui m’a interpellée. Allant visiter des réfugiés avec un autre réfugié comme interprète, le monsieur me dit : Arrête-toi au Denner pour que j’achète un cadeau pour la famille où nous allons. Le voilà qui ressort un instant plus tard avec un gros sac tout plein. Je lui dis : Et beh, t’as vidé le Denner. Il m’a regardé et m’a dit calmement : Je sais comment c’est être réfugié ici, c’est difficile… je suis passé par là. Moi comme bon suisse, j’avais apporté une boîte de chocolat. Je me suis dit : Nous avons encore beaucoup à apprendre.

Dans Ge 40, cela fait déjà 11 ans, Joseph, jalousé par ses frères, a été vendu par eux à des marchands d’esclaves. Cela fait 11 ans qu’il a été emmené loin de chez lui en Canaan vers l’Egypte. Cela fait 11 ans qu’il doit se sentir oublié. Exilé, prisonnier, considéré comme mort par son papa – il a entendu le plan de ses frères, de le faire passer pour mort. En prison depuis un certain temps suite à une fausse accusation de viol, obtenant progressivement la confiance du directeur, il se voit confier des responsabilités. Joseph surprend par son regard attentif à la tristesse de 2 compagnons d’infortunes. C’est une constante chez Joseph : l’attention portée à ce qui se passe autour de lui, aux soucis des autres, aux intérêts des autres, et à l’injustice. Il aurait pu ignorer la tristesse de ces 2 hommes en se disant qu’il avait déjà assez de souci avec lui-même.

On retrouve cette même attitude poussée encore plus loin chez Jésus en croix : il aurait pu se laisser envahir par la haine ou la colère ou le dégout, mais il reste attentif au besoin de pardon de ses bourreaux, il est attentif au besoin de sa mère qui voit son fils être mis à mort, il est attentif aux brigands crucifiés en même temps que lui. Jésus et Joseph ne donnent pas l’impression d’être des hommes amères, renfermés. Ils ne sont pas en train de comparer leur souffrance à celle des autres, leur condition à celle des autres. Ils s’identifient aux autres sainement, sans la moindre co-dépendance ou sans la moindre fusion.

Nous avons aussi nos difficultés, nos stress, nos agendas peut-être surchargés, nos tensions conjugales ou familiales ou avec des collègues ; nous avons peut-être nos problèmes de santé. La tentation est de se replier et de ne voir plus que notre propre situation.

Martin Luther King dit que notre vie a 3 dimensions: la 1ère c’est de savoir qui nous sommes, ce que nous valons et ce à quoi nous sommes appelés. Je me suis partiellement arrêté sur ce point de la vie de Joseph il y a un mois. La 2e dimension est celle de notre relation à autrui. Et Luther King dit ceci:

Certains ne dépassent jamais la première dimension. Ce sont peut-être des individus brillants qui développent superbement leurs propres capacités, mais ils sont enchaînés par un égocentrisme paralysant. (…). Si la vie doit être achevée, elle doit (…) inclure aussi (…) la préoccupation du bien-être des autres. On n’a pas appris à vivre tant qu’on ne s’est pas élevé au-dessus des limites étroites de ses affaires personnelles pour jeter un regard plus large sur ce qui concerne toute l’humanité. Son propre développement sans le souci d’autrui est comme un fleuve sans débouché vers l’océan. Stagnant, dormant et croupissant, il manque et de vie et de fraîcheur. Pour avoir un sens et une force créatrice, notre intérêt personnel doit être marié à l’intérêt pour autrui[1].

Une eau stagnante a une odeur de mort. Joseph reste un vivant malgré les efforts de l’injustice pour étouffer la vie en lui. Joseph ne se laisse pas avoir par l’amertume. Que pouvons-nous apprendre de lui ?

La TOB traduit ainsi le verset 14: Si tu te souviens que j’ai été avec toi, lorsque tu seras bien traité, fais-moi l’amitié de parler de moi au Pharaon et de me faire sortir de cette maison, dit Joseph à l’échanson. Que j’ai été avec toi. Joseph a partagé la condition de ces 2 hommes. Il a partagé leur détresse, leur quotidien, leurs craintes. Et qui plus est, injustement sans avoir commis de crime. En prison avec eux. Joseph, même en position de responsabilité, ne s’est pas placé au-dessus d’eux, ou position particulière. Il aurait pu se dire : Ces 2 ont fautés pour être ici, moi pas

Quand le temps nous résiste, quand l’épreuve nous secoue, quand nous passons par la moulinette de la vie, nous pouvons avoir tendance à nous mettre au-dessus des autres ou à part qui ont leur propre souffrance et épreuve, en disant : Mais notre souffrance c’est pas la même chose que pour lui ou elle… parce lui ou elle a fait qqch pour le mériter, pas nous… ça va de soi, n’est-ce pas… Ou bien : J’ai perdu mon conjoint, j’avais 70 ans, mais toi… ton conjoint est mort et t’as que 50 ans… c’est pas la même chose… t’es encore jeune pour te remarier… Pourtant, chaque souffrance, chaque épreuve est unique. Chacun y réagit différemment aussi. Mais peut-être que justement, prendre conscience de cela m’évite la comparaison. Joseph est avec, au même niveau, dans la même galère, sur le même banc, à la même rame. Cela rend possible la compassion, la sympathie, sans comparaison.

Notre défi est celui-ci : même si nous sommes éprouvés, nous garder de nous croire un cas à part ou au-dessus ou en-dessous des autres. Il se peut que nous soyons là où nous sommes pour bénir quelqu’un, pour permettre une action de Dieu dans la vie d’autrui. Mais sans nous croire supérieur à ce quelqu’un. Imaginez que Joseph aie ignoré ces 2 compagnons… Qui aurait rappeler à Pharaon son existence 2 ans plus tard ?

Un commentaire[2] dit que le mot hébreu traduit par épreuve contient l’idée de scruter, de voir, d’examiner. C’est le même mot pour désigner une tour de guet, ce point d’observation. Cela pourrait signifier que l’épreuve est ce qui peut me donner un regard autre sur la vie, sur les autres ; un regard attentif en faveur de la vie. Un regard de consolation au sens littéral du mot : con-solare, avec l’autre dans sa solitude.

Joseph se sent partie prenante dans la situation de ces 2 compagnons, il se souvient de sa propre détresse quand ses frères l’ont jeté dans un puit et qu’il a supplié sans être écouté par eux (cf. Ge 42.21[3]). L’épreuve l’a fait murir depuis le moment où sa position de préféré de son papa l’avait peut-être rendu maladroit avec ses frères.

J’ai déjà mentionné que Nelson Mandela était un Joseph des temps modernes. Il disait qu’en plus des principes de l’Eglise méthodiste, ce qui l’habitait c’était une valeur venue de son éducation africaine appelée ubuntu : L’ubuntu c’est reconnaitre que nous sommes des individus seulement grâce aux autres individus. C’est respecter et servir loyalement son prochain, car sans lui on ne peut pas progresser[4]. Il reconnait qu’avant la prison, il était arrogant et prenait les gens de haut, même ceux qui étaient gentils avec lui et que la prison l’a changé : il a décidé de montrer à tous sa reconnaissance[5].

Lorsque les circonstances mettent à mal notre patience, bousculent ce que nous attendions de la vie, ce que nous en souhaitions, nous pouvons soit nous aigrir soit laisser cela modifier notre regard sur la vie et les autres, faisant de lui un regard de vie, regard qui relève et élève autrui, un regard attentif qui accompagne.

C’est ce que Jésus a fait avec nous. Le fils de Dieu devenu Fils de l’Homme. Jésus Emmanuel Dieu-avec-nous-qui-sauve. Comme dit l’épître aux Hébreux (4,15-16) : 15 Notre grand-prêtre a été éprouvé en tous points à notre ressemblance, mais sans pécher. Et parce que Jésus est proche de nous, avec nous, nous sommes encouragés à nous approcher 16 avec assurance du trône de la grâce, pour obtenir compassion et trouver grâce, en vue d’un secours opportun. Jésus qui n’a jamais regardé qui que ce soit en se considérant comme un cas à part. Il a partagé notre vie sans se situer en position de faveur. Et il est avec toi et moi toujours. Il est avec… Son regard posé sur nous est un regard de véritable compassion. Sans condamnation, sans être hautain, son regard posé sur nous le renvoie à son incarnation, son regard veut la vie pour nous, il veut nous remettre debout et nous redonner un horizon, une perspective de vie nouvelle.

Puisse notre regard à nous se construire comme ce qui sera un parachute pour notre prochain, pour reprendre l’image du début du culte. Puissions-nous être sensibles à l’épreuve de notre prochain, en nous sentant avec lui.

Amen.

 

[1] Martin Luther King, La force d’aimer, Empreinte temps présent, 2013, p.137.

[2] Max Lucado, Vous vous en sortirez, Inspiration Publishing, Québec, 2018, p.56.

[3] Genèse 42:21  Les frères de Joseph se dirent les uns aux autres : Oui, nous avons été coupables envers notre frère ; car nous avons vu la détresse de son âme, quand il nous demandait grâce, et nous ne l’avons pas écouté.

[4] Nelson Mandela, Pensées pour moi-même, éd. de la Martinière, Paris, 2011, p.467-468.

[5] Nelson Mandela, Pensées pour moi-même, éd. de la Martinière, Paris, 2011, p.405.

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