Prédication A sur Joseph Ge 37 et Jn 12,27-28 et 17,1

Oublié du temps.

Bien-aimés du Christ.

L’autre jour je demandais à mes catéchumènes quelle était la particularité de l’homme par rapport au monde animal. Etre à l’image de Dieu, me répondit-on. Je demandai alors qu’est-ce que ça voulait dire ? J’ai aimé la réponse de ce garçon : L’homme est capable de faire un projet en sachant que ça prend du temps. Pouvoir se projeter dans le temps, avoir conscience de la temporalité. L’animal le plus intelligent qui soit ne se demande pas ce qu’il pourrait bien être dans 20 ans. L’homme oui. Avoir une idée de ce que nous aimerions être ou faire en sachant que ça prendra du temps… ce temps qui se fait attendre… ce temps qui ne correspond pas à notre agenda… cette conscience de la temporalité nous met souvent à rude épreuve, quand le présent ne correspond pas à nos attentes.

L’histoire de Joseph sur laquelle nous allons nous pencher quelques dimanches nous parle entre autres de cela : une vie, une destinée mis à l’épreuve du temps.

Je résume très brièvement le parcourt de Joseph. Fils préféré de Jacob son père, car fils de la femme préférée de Jacob, Joseph à 10 frères et une sœur ayant d’autres mères qui sont jaloux de lui. Joseph, il faut le dire, est l’avant dernier de la fratrie. A l’époque la préséance appartient à l’aîné et voilà que Joseph fait un double rêve : à l’époque faire 2x le même rêve a un caractère prémonitoire qu’on prend très au sérieux, ce rêve trace comme la destinée de Joseph : il sera un jour chef du clan. Colère de frères qui s’arrangent pour le vendre à des marchands d’esclaves et à le faire passer pour mort aux yeux du père. Joseph perd alors sa position privilégiée et entame une longue descente dans l’épreuve, un calvaire d’esclave de 13 ans, avant de devenir administrateur général d’Egypte et 10 ans plus tard le sauveur de ses frères venu le supplier de leur vendre du blé : il y a famine.

La Bible résume ces 13 années de souffrance en 2 chapitre et consacre 6 chapitre aux 7 ans où Joseph règne sur l’Egypte, donnant l’impression que le temps de la souffrance est vite passé, que c’était facile. Les versets de la Bible s’enchaîne, nous pourrions oublier que 13 ans de calvaire c’est 13 ans de douleur, 13 ans de larmes, 13 ans de questions sans réponse, 13 ans de solitude, 13 ans avec un sentiment d’injustice. 13 ans à interroger ses rêves devenu cauchemar.

Joseph, l’oublié du temps. Ça nous arrive aussi. Nous sentir oublié du temps. Nous avions ou avons nos projets, nos rêves, nos ambitions, nos désirs. Et le temps nous oublie. Le temps va parfois même contre nous.

Tu te sens oublié des autres, tu avais l’impression d’avoir un rôle, une mission à jouer, tu avais l’impression d’être à ta place, et on t’ignore, pire on t’éjecte. Tes projets sont contrecarrés, contestés par la maladie, par une épreuve, par des circonstances adverses, par la mort d’un conjoint, par un échec, par le mépris destructeur de personnes en position d’autorité, par la perte d’un emploi, par une crise conjugale, etc. Il y a un tel écart entre ce que tu imaginais pour ta vie et la réalité. Tu te sens oublié du temps. Et puis, peut-être, face à cette situation, tu t’es installé dans ta réalité, tu t’es résigné, tu as oublié tes désirs.

Et puis, en tant que chrétien, nous pourrions être tenté de nous sentir oublié du temps. Jésus a promis de revenir, nous l’attendons et assistons à tant de souffrance que nous nous interrogeons. Le monde s’est déchristianisé : un chrétien sur 7 est persécuté dans le monde. Oublié du temps.

Comment Joseph a-t-il surmonté le fait d’être oublié du temps ? Y a-t-il des pistes pour nous ?

La 1ère chose à dire c’est que la Bible ne nous donne pas d’aperçu de la spiritualité de Joseph, de sa vie intérieure. Par ex. on ne le voit pas prier. Contrairement à David qui étale sa relation à Dieu dans les psaumes. Pourtant, le comportement de Joseph parle de son intériorité, de sa relation avec Dieu. Regardons cela.

a Joseph est vendu comme esclave au chef de la garde de Pharaon, Potiphar. Dieu le bénit en faisant fructifier son travail et en lui faisant gagner la confiance de son maître. Joseph sait lire les signes de l’action et de la présence de Dieu même au sein de son drame personnel. Il sait reconnaître la présence de Dieu dans l’épreuve. Et cela l’arrache à l’absurdité de l’épreuve. Au point que même dans son malheur, Joseph se réfère à Dieu pour rester intègre : par respect pour son maître, mais aussi pour ne pas pécher contre Dieu, il refuse de coucher avec Mme Potiphar qui ne cesse de le harceler.

Viktor Frankl, psychiatre juif ayant survécu à Auschwitz, nous invite à ne pas nous laisser gagner par l’absurde de l’épreuve. Il compare notre vie à un plan en 2 dimensions, les événements que nous vivons sont comme des points dans ce plan. Isolons les points les uns des autres, il se peut qu’il n’y ait aucun sens à ce qui nous arrive. Mais si nous croyons qu’il y a un fil, une courbe qui relie les points entre eux, l’épreuve du temps perd son absurdité. Il ajoute : ce qui est inconnaissable n’est pas pour autant incroyable[1]. Frankl voit Dieu dans ce qui donne sens à notre vie par-delà ses épreuves.

Joseph interpelle. Il n’a pas oublié son rêve. Il n’a pas oublié ce qu’il a perçu comme sa destinée, comme le projet que Dieu avait pour lui. Il a gardé cela à l’esprit durant 13 années de calvaire. Comme si son rêve fonctionnait comme une application d’arrière-plan rendant possible sa vie. Joseph est animé de la même foi que David qui dit dans le Ps 31,14-16:  Je me confie, en toi ô Éternel ! Tu es mon Dieu ! 15 Mes destinées / mes temps sont dans ta main (…) ! 16 Fais briller ta face sur ton serviteur. Le temps peut contester ce que je crois être le projet de Dieu, mais le temps est encore dans la main de Dieu. Ne te décourage pas. Dans le Ps 33,10-11, il dit: 10 Le Seigneur déjoue les plans des nations (…). 11 Mais les plans du Seigneur sont définitifs, ce qu’il a projeté tient de siècle en siècle. Ce que Dieu veut, il le réalise, si je reste disponible

Nelson Mandela est un Joseph des temps modernes : il avait la conviction que sa destinée était de se battre contre l’apartheid. Ça l’a conduit à passer 27 ans en prison. 27 ans. Vous avez déjà imaginé si on vous avait volé 13 ou 27 ans de votre vie. Mandela, oublié du temps. Mais il n’a jamais oublié ce qu’il croyait être sa destinée. Il n’a jamais oublié ses valeurs. Il a dit : En prison, on a le temps de réfléchir à son passé, la mémoire devient à la fois amie et ennemie. Joseph en aurait dit autant : se souvenir de sa destinée dans un environnement la niant. Il a ajoute encore : J’ai pris de longues vacances, vingt-sept ans, ça a été une période de prise de distance vis-à-vis de moi-même, de la société, qui m’a permis d’observer le monde. Même si ce fut une expérience tragique, elle nous a beaucoup aidés (…) parce que (…) nous en sommes sortis mieux préparés à poursuivre notre travail et à faire face à de nouveaux défis[3]. Il n’a pas perdu de vue sa destinée. Il a cherché un sens à son emprisonnement. Au jour du bonheur, jouis du bonheur, et au jour du malheur, réfléchis, dit l’Ecclésiaste (7,14).

Quelle est notre destinée ? Quelle est ta destinée ? Il y a bien quelque chose à quoi tu t’es senti appelé à un moment donné de ta vie ? C’est quoi ? Le temps te l’a fait oublier ? Tous les obstacles qui se sont dressés te l’ont fait oublier, t’ont fait douter ? Tes états de vie ont changé ? Il ne nous est pas demandé de rester adolescent, mais de garder à l’esprit notre destinée. Joseph a gagné en maturité en 13 ans de calvaire et 22 ans de séparation des siens. La venue de ses frères lui a rappelé sa destinée. Il y a des événements qui réveillent en nous l’appel initial.

Le baptême de Corentin nous rappelle qu’à partir du moment où nous sommes baptisés, notre destinée est celle de devenir pleinement enfant de Dieu, disciple de Jésus-Christ, rien moins que cela. C’est la trame de fond de notre vie. C’est comme le thème appelé à devenir le thème récurrent de la symphonie de notre vie. Grandir dans l’amour de Dieu pour nous, grandir dans la confiance que Dieu nous fait et que nous sommes appelés à lui faire. Grandir dans la grâce, dans la conscience que son amour pour nous est plus fort que tout, plus fort que nos faux-pas, plus fort que nos maladresses, plus fort que le temps qui nous a oubliés ; ce que Jésus nous a montré. Grandir dans l’amitié de Christ. Votre responsabilité, parents, est d’initier Corentin à cette amitié.

Jésus explicite notre destinée à tous, quand il dit : vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. Siméon disait de Jésus qu’il serait signe de contradiction. Etre témoin du pardon, de l’amour, être témoin d’intégrité, d’honnêteté à toute épreuve ; jouer la carte de la vérité, oser assumer ses erreurs et ses paroles ; tout cela détonne dans le monde d’aujourd’hui. Ça c’est la destinée commune à tout chrétien.

Une symphonie n’est pas constituée que d’un thème musical. Il y en a plusieurs. Peut-être que dans ta vie, tu as eu à un moment donné le sentiment que tu étais destiné à quelque chose qui a tardé et tarde encore à se réaliser. Ne laisse pas cela s’enterrer si tu as l’impression que cela venait de Dieu.  Ça c’est la destinée que Dieu a juste pour toi.

a Jésus nous donne encore une piste pour ne pas laisser les circonstances ou le temps effacer notre destinée.

Au moment le plus crucial de sa vie, alors que la perspective de sa mort violente le trouble, Jésus prie dans Jn 12,27-28 : Mon âme est troublée. Père, glorifie ton nom ! Plus loin dans 17,1 : Père l’heure est venue. Glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie. Glorifier signifie en hébreu donner du poids. Dieu donne-moi de la consistance dans ces circonstances pour que j’honore le projet que tu m’as confié ; donne de la consistance à qui tu es dans ma vie, montre ta réalité dans ma vie… je veux te faire confiance… Fortifie ma foi, mon assurance, ma détermination.

La maladie m’accable : donne-moi force et courage et aide-moi à être témoin de ton projet dans cette situation.

Mon couple est secoué par une crise : donne-moi la force de tenir car ton projet c’est l’amour dans la durée, contre vent et marée.

L’épreuve veut me faire perdre pied : donne-moi de ne pas perdre espoir… Aide-moi à ne pas être englouti par l’absurdité de l’épreuve, mais à en tirer un sens, à en sortir plus fort. Aide-moi à garder à l’esprit que tu es ressuscité le 3e jour, vainqueur du contre-projet de la mort avec ton projet de vie, vainqueur du mal par ton projet de vie.

A tout cela s’attache une promesse : L’Éternel est ma force et l’objet de mes cantiques, Il est devenu mon salut (Ex 15,2). Parfois, nous ne voyons pas tout de suite que Dieu est notre salut. Donnons-lui le temps et la confiance pour la laisser devenir notre salut. Il saura nous le montrer [4].

Notre monde a besoin de chrétiens et chrétiennes qui croient en la destinée que Dieu a pour eux. Ton petit monde, ton entourage ne pourra que t’être reconnaissant si tu ne laisses pas tomber ta destinée. Les frères de Joseph lui ont dû leur survie au moment de la famine, 22 ans après l’avoir vendu, quand devenu administrateur général de l’Egypte, il leur a fourni du blé. Amen.

 

[1] Viktor Frankl, Le Dieu inconscient, InterEditions, Paris, 2013, p.98.

[3] Nelson Mandela, Pensées pour moi-même, éd. de La Martinière, 2011, p.379.

[4] Max Lucado dit à ses paroissiens qui traversent des épreuves remettant en question leur projet idéal de vie : Vous allez vous en sortir. Ce sera long et peut-être douloureux, mais Dieu saura se servir de ces circonstances. En attendant ne soyez ni stupide, ni naïf, mais gardez espoir. Avec l’aide de Dieu, vous vous en sortirez. Max Lucado, Vous vous en sortirez, Inspiration Publishing, Québec, 2018, p.3.

 

 

 

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