La prière de Chrysès. Terre cuite de Michel-Ange Slodtz, 18ème siècle, Le Louvre

Prédication sur Luc 17,20 – 18,8.

Quand Dieu est en retard…

Bien-aimés du Christ.

Dieu est en retard, c’est le titre d’un roman de l’écrivaine Christine Arnothy. Titre provocateur qui suscite immédiatement la réplique de certains croyants : Il n’est jamais en retard.

Je dois dire que la lecture de Luc 18,1-8 dans ma méditation personnelle m’a turlupiné. Et quand c’est le cas, je lis un commentaire ou je consulte les notes de bas de page. Mais ça n’a fait que me turlupiner davantage. Il faut parfois remettre les paraboles dans leur contexte et ici le contexte c’est bien la réponse de Jésus à des religieux qui lui demande quand Dieu instaurera-t-il son Règne sur terre… Alors la parabole s’éclaire. Parce qu’ici, Jésus prévoit qu’un temps arrivera où ses disciples – les 12 à qui il est en train de répondre et nous ensuite – commenceront à penser que le Royaume de Dieu est en retard et qu’à considérer l’histoire et le monde, ils pourraient bien perdre espoir[1].

Dieu en retard… Peut-être… Pour nous qui avons une vision si partielle de la vie et du monde. En tout cas, au temps de l’attente, Dieu semble parfois se dérober[2]. La question c’est au temps de l’attente de quoi ?

Arrêtons-nous plus attentivement sur ce que Jésus essaie de nous faire comprendre : l’enjeu, pour Jésus, ce n’est pas si Dieu va répondre à nos prières, parce qu’il va répondre ; mais c’est quand lui, Jésus, reviendra sur terre, est-ce qu’il trouvera la foi ? Sa priorité, ce qui lui est essentiel, c’est d’abord notre foi, notre confiance en Lui, notre espérance en Lui et non nos petites demandes, dans ce récit. Il nous faut aussi pouvoir entendre cela. Quand il reviendra, trouvera-t-il la foi ? Quand il répondra, trouvera-t-il la foi ? Est-ce que nous garderons la foi dans l’attente ?

Quand nous regardons le monde et ses crises… depuis notre fauteuil, regardant le téléjournal, on peut vaguement être inquiets. Quand nous regardons les détresses secouant le monde en nous mettant à la place de ceux qui les prennent de plein fouet… y a de quoi être pris aux tripes. Y a de quoi dire au Seigneur : Jusqu’à quand Seigneur ? Ça va durer encore longtemps ? Tu vois pas… Certains avancent cela pour justifier leur scepticisme. Si Dieu existe, pourquoi permet-il cela ? Moi j’ai envie de dire : Si l’homme existe, pourquoi permet-il cela ? Qu’est-ce qui cause cette impression que Dieu est en retard ? Arrêtons-nous un instant là-dessus.

1°. La 1ère cause c’est une confusion d’agenda. Nous confondons nos agendas et nos priorités avec ceux du Seigneur. Nous oublions d’abord que Dieu n’est pas tenu de répondre à nos prières tout de suite: quand il y répond c’est un immense cadeau qu’il nous fait, on appelle ça une grâce dans notre vocabulaire chrétien. L’agenda de Dieu, sa priorité c’est de pouvoir compter sur notre liberté parce qu’il nous aime et que l’amour ne s’impose pas. Sa priorité est de nous faire comprendre qu’une bonne partie de la réponse à nos prières est entre nos mains.

2°. Cette confusion d’agenda nous conduit à focaliser sur l’état du monde et non sur l’état de notre cœur. Dieu veut notre cœur, il veut pouvoir changer notre cœur, nos convictions profondes, celles-là-même qui nous font agir selon nos priorités, ou selon nos craintes. Si le monde va mal c’est parce que nous allons mal. Paul dit aux Romains que comme les hommes ont refusé de reconnaître Dieu, Dieu les a abandonnés à leur intelligence déréglée (Ro 1,28).

3°. Dieu est en retard quand je fais de lui un employé qui me reçoit au guichet de la prière pour me donner ce que je lui demande et qu’il ne répond pas à mes attentes. Dieu n’est pas d’abord là pour répondre à mes demandes, mais pour tisser avec nous une relation de confiance qui nous transforme.

4°. Dieu est en retard et ça me conduit à abandonner la foi et la prière quand je ne suis pas comme la veuve. La veuve, à l’époque de Jésus, c’est la personne la plus vulnérable et fragile qui soit : elle n’a personne pour la défendre, elle n’a personne pour pourvoir à ses besoins, et il n’y a pas à cette époque-là de comité féministe revendiquant pour les femmes le droit à un emploi rémunéré. Et dans cette parabole, la veuve est face à un adversaire qui lui a fait du tort. Elle ne peut compter que sur le juge. Et encore, il lui a fallu un sacré culot pour s’adresser à lui. Le culot du désespoir.  La veuve attend réellement du juge la solution, qu’il lui fasse justice et à ses yeux, il n’y a aucune raison pour qu’il ne donne pas suite à sa demande. Quand tu t’adresses à Dieu, as-tu le culot du désespoir ? Est-ce parce que tu crois que lui seul a la solution ? Ou bien, le Seigneur c’est un truc parmi d’autres que tu essaies pour t’en sortir ?

Dieu en retard… J’ai envie de dire de façon provocatrice que c’est peut-être la règle dans la Bible. En tous cas dans la vie des grandes figures bibliques. Abraham attend 25 ans la réalisation de la promesse que Dieu lui a faite. Jacob attend 14 ans pour que son oncle lui donne sa fille Rachel en mariage. Joseph le fils de Jacob attend environ 15 ans la réalisation de la vision que Dieu lui a donnée. Moïse attend 40 ans. David attend des années. Combien de prophètes n’ont même pas vu la réalisation de ce qu’ils avaient annoncés. A Paul qui lui demande d’être libéré d’un problème très sérieux, Dieu répond : Patience, Paul, ma grâce te suffit, dans ta faiblesse je suis ta force. Nelson Mandela attend près de 30 ans en prison avant de devenir l’homme qui mettra fin à l’apartheid. On ne parle pas de Marie Durand qui, elle aussi, passe environ 38 ans dans la Tour de Constance. Pardonnez-moi si ça vous choque ! Tous ces personnages ont vu leur espérance, leur foi, leur confiance, leur personne façonnée par l’attente. Une attente parfois troublée par les circonstances. Une attente qui leur a donné un regard autre sur eux-mêmes et sur le monde autour d’eux. Une attente qui a aiguisé leur foi, leur sens de la justice et du prochain.

Si Joseph n’avait pas dû attendre 15 ans, il serait resté arrogant avec ses frères. Si Mandela n’avait pas fait ce temps en prison, la vengeance aurait probablement été plus forte que la nécessité de réconciliation au moment de sa présidence. Si Jacob n’avait pas vécu cette attente, il n’aurait pas su demander pardon à son frère. Si Moïse n’avait pas vécu ces 40 ans, sa violence n’aurait pas fait place à la douceur.

La parabole de la veuve ne concerne pas d’abord nos prières pour nos petits besoins personnels. Cette parabole concerne notre prière pour la justice, la justice en nous-même aussi. Que justice nous soit faite, et ça ça prend du temps car ça implique les cœurs durs de nos vis-à-vis. Que justice soit faite dans ce monde. Que justice soit faite en nous aussi, et nous ajuste à la volonté de Dieu et à son exaucement.

Jésus nous appelle à persévérer dans la prière avec cette conviction que justice sera faite. A persévérer car la prière c’est le moyen de nourrir notre espérance, notre confiance. La prière persévérante sert à nous maintenir alerte pour discerner les signes de la présence de Dieu et de son action dans nos vies et autour de nous. Aux pharisiens qui demande à Jésus quand viendra le royaume de Dieu, Jésus répond : 20 Le Royaume de Dieu ne vient pas de façon spectaculaire. 21 On ne dira pas: Voyez, il est ici ! ou bien: Il est là ! Car, sachez-le, le Royaume de Dieu est au milieu de vous, en vous (Lc 17). Et quand je viens répondre à ta prière, sauras-tu le voir ? nous demande Jésus. Seras-tu en mesure d’accueillir ma réponse ? Seras-tu à même d’entrer dans le chemin, l’espace, la perspective que ma réponse ouvrira devant toi ?

Ne me comprenez pas mal : je ne suis pas en train de dire que nous ne devons pas apporter nos demandes au Seigneur. Il nous y encourage lui-même. Je suis en train de dire que quand il tarde à répondre, parce qu’il tarde parfois à répondre, c’est peut-être pour nous pousser à persévérer afin de le laisser nous ajuster à la réponse qu’il s’apprête à apporter.  

Quand tu vis des temps troublés, puisse ta prière demander d’abord de ne pas perdre la foi, la confiance, l’espérance, et l’amour.

Amen.

 

[1] Ed Kivitz, Talmidim, Mundo cristão, São Paulo, 2019, p.255.

[2] H.Gollwitzer, Luc, la joie de Dieu, 1955, p.187.